La communication est compliquée, presque impossible. Les deux aventuriers sont déjà blessés et fatigués, et la créature se trouve entre eux. Aucune possibilité d'essayer d'évaluer une tactique et une stratégie commune, chacun doit faire au mieux pour s'en sortir en essayant d'aider son comparse. Le blond ne le comprends que trop bien alors qu'il sent la chaleur de son sang se répandre sur son bras et son plastron, sous autant que sur l'armure. Il ne peut pas tenir longtemps sans soins ou au moins limiter le saignement, et une poignée de minutes à peine seront surement nécessaires pour le vider de son sang, du moins assez gravement pour le mettre hors d'état de combat.

Heureusement pour Sileas, Sia semble avoir une idée derrière la tête tandis qu'il la voit soudain disparaître quelques instants après avoir lancé quelque chose dans les airs. Ne sachant ce qu'il se passe réellement, il se concentre sur son objectif principal, le Chouettours, en espérant que la jeune femme n'ait pas simplement décidée de l'abandonner suite à leurs blessures. L'épée courte possède bien moins d'allonge, et le combattant sait très bien que chaque coup sera plus dur à parer que le précédent. La bête sent sa faiblesse et semble vouloir l'achever pour s'occuper ensuite de sa collègue. Plongeant de nouveau dans sa transe martiale, Sileas fait de son mieux pour se défendre contre ces assauts déchainés. L'animal est blessé, mais loin d'avoir dit son dernier mot. La pointe et les lames enfoncées dans ses chairs lui sont douloureuses, et le titillent d'une manière à encore exacerber son agressivité.

N'ayant qu'un seul bras pour parer, chaque coup résonne avec autant plus de force, et bien souvent le borgne est obligé de directement essayer de dévier les griffes plutôt que les pattes. Tellement préoccupé par l'urgence de ne pas se faire déchiqueter qu'il n'aperçoit même pas la première lance de jet rater sa cible. Le coup de patte suivant résonne dans son bras, les griffes léchant son armure avec assez de force pour le faire rouler sur le coté dans un grognement de douleur épuisé. La concentration nécéssaire à maintenir son Don s'effrite, assez pour que sa concentration se brise. Et c'est un mal pour un bien, car en revenant à lui, l'homme sent à quel point ses muscles le font souffrir. Outre les blessures, il approche sérieusement de ses limites physiques.

Mais avant que le Chouettours ne puisse se retourner pour charger de nouveau, la seconde lance se plante, rapidement suivie des lames de la jeune femme qui s'est de nouveau téléportée, directement sur l'animal cette fois. Le cri est terrifiant, celui d'un animal qui se sait acculé. Le sang suinte de multiples plaies désormais, et la bête se déchaine sur Sia en sentant que c'est elle le plus grand danger actuellement. L'aventurier regarde autour de lui à la recherche d'un moyen pour aider sa collègue qui se retrouve dans la même situation périlleuse que lui quelques secondes auparavant, avant de tomber sur la lance de jet qu'il avait récupéré peu avant de mettre le feu à la tanière. Sans hésiter, il s'élance dessus en priant Lucy que la jeune femme arrive à tenir les quelques secondes qui lui seront nécessaires pour mettre son plan à exécution. Arrivant au niveau de cette arme salvatrice, il range son épée dans son fourreau pour s'en saisir.

Ne pas pouvoir la tenir à deux mains est un handicap sérieux. Il pourrait utiliser son bras, mais juste tirer légèrement dessus lui arrache un léger cri douloureux, qui n'est heureusement pas suffisant pour attirer l'attention de la créature. Prenant sa dernière chance en main, Sileas cale l'arme sous son épaule en la tenant à mi-hampe avant de se mettre à charger le monstre. Il est totalement occupé à tenter de déchiqueter ou mutiler cette femme qui lui a causé tant de trouble et de douleurs, et ne prête attention au borgne que quand il arrive un peu trop proche de son champ de vision. Sa tête pivote un instant, et il allait faire suivre le corps entier quand le combattant grogne pour accélérer encore un peu. Juste assez pour enfoncer l'arme dans l'une des pattes arrière avant que le Chouettours ne puisse l'éviter, usant de sa propre masse pour la pousser bien plus profondément et venir déchirer nerfs, tendons et muscles. L'impact est violent, mais l'homme n'avait pas le choix. Avec un bras en moins et son état d'épuisement, jamais il n'aurait pu lancer son arme de jet avec assez de force pour s'enfoncer profondément dans les chairs.

Grognant à chaque respiration, Sileas vient récupérer son épée en main, sachant pertinemment qu'il ne peut pour ainsi dire plus faire appel à son don, et qu'il ne peut parer les attaques de l'animal dans son état. Jaugeant d'un regard l'état de la forgeronne, il le rapporte ensuite à la bête qui est désormais sévèrement blessée, boitant à chaque pas et se vidant de son sang par de multiples plaies. Les prochaines secondes seront vitales, et se joueront à qui arrivera à achever le plus vite son ennemi.

La créature entre dans une rage désespérée, utilisant ses forces pour essayer de se débarrasser de ses agresseurs. Nous sommes nous-même dans un état similaire, la force de désespoir. Même si mon attaque a eu un bon effet, cela a attiré toute l’attention de Pooh sur moi. Il se jette sur moi, me faisant tomber en plaçant mon bras droit pour protéger mon visage. Rapidement je sens la douleur traverser l’avant-bras, suivi du liquide rouge et poisseux qui s’en écoule. Je serre les dents et décide d’activer mon polymorphe, visualisant un brassard en titane qui vient recouvrir tout mon avant-bras. Mon bras sera plus lourd, mais protégé de l’assaut de la bête pendant un temps. Le temps que l’image mentale se fasse dans mon esprit, une nouvelle zébrure me fait souffrir et grogner de douleur.

Et puis l’attention de la bête est détournée, le faisant arrêter de m’attaquer. Dès que je m’en rends compte, je baisse le bras pour voir que Sileas a réussi à porter un coup et attirer le chouettours sur lui. Je profite de ce moment d’inattention de la créature pour lui porter un coup d’épée au niveau du cou. Je crie de douleur, l’ensemble de mon bras et mon épaule me faisant souffrir, et rapidement le cri de la bête suit le mien. Quand je retire mon épée, le liquide vital de la bête vient me recouvrir, la déstabilisant. Je profite de ce moment pour me redresser en soufflant péniblement, empoignant mon arme à deux mains. Je fais un pas en levant mon épée, le regard désespéré de la bête me faisant presque pitié. Le chouettours se sait fini, la peur de la mort miroitant dans son regard.

« Je suis désolée Pooh... »

En prononçant ses mots, je viens à nouveau enfoncer mon épée aussi fort et profondément que je le peux dans son corps, appuyant ensuite dessus en hurlant pour que l’arme vienne ouvrir le corps de la pauvre bête. Il ne se laisse pas faire pour autant, laissant le soin à l’autre aventurier d’occuper son bec ou les pattes avant cherchant à me tuer. Rapidement, le sol est recouvert de sang, autant que le plumage, mon arme et mon corps. La quantité de sang perdu vient faire tanguer l’animal, qui fini par s’écrouler après deux pas d’un dernier effort. Son souffle est lourd, agonisant autant que nous. Son regard devient déjà vitreux alors que je m’approche pour essayer d’abréger ses souffrances. Un dernier cri suppliant échappe de son bec, me faisant serrer la mâchoire et fermer l’œil avant d’enfoncer mon arme dans son cou.

Je reste un moment à genoux, accrochée au manche de mon épée, attendant que le corps sans vie terminer ses derniers soubresauts. Quand tout semble terminer, je souffle un long soupir, mon regard venant se porter sur le terrier qui finit de brûler, les flammes devenues bien plus rares et moindres. Je n’ai pas la force de retirer mon épée, ni aucune des autres encore dans le corps de Pooh. Je viens glisser une main dans le pelage de son cou, poisseux et imprégné de son sang. J’essaye de me rappeler les mots d’Evelyn quand je l’avais vu faire, adressant une rapide prière pour que cette pauvre créature trouve un repos auprès de sa maîtresse tant aimée.

Quand j’ai terminé, je me tourne difficilement vers Sileas. Le blond est dans un sale état, couvert de sang, il est incroyablement pâle et au bout. Il a fini par tomber de fatigue autant que de soulagement que le combat soit terminé. Je m’approche de lui, me relevant difficilement et avançant à un rythme incroyablement lent. Même s’il semble commencer à perdre connaissance en raison de la gravité de sa blessure, il est encore là. Une fois à son niveau, je me penche, retire mon gant et porte la main avec mon bracelet de transfert à son épaule blessée, l’autre venant se saisir de sa main pour le rassurer autant que le faire réagir si possible.

« Ça va faire mal, mais essaye de rester avec moi. Je compte sur toi pour la suite. »

Je déglutis, sachant que la suite va être particulièrement douloureuse. De nous deux, autant que je sois celle qui m’évanouisse. Si nous nous évanouissons tous les deux, nous aurons fait tout ceci pour rien. Au moins, une fois soigné, il pourra s’occuper de récupérer toutes nos affaires et me porter les premiers soins. Je serre sa main aussi fort que possible, essayant de voir s’il perd connaissance ou non avant d’activer le bracelet. J’affiche un dernier petit sourire, essayant d’avoir l’air rassurante.

Le serpent à deux têtes à mon poignet s’active rapidement, il bougerait presque comme un vrai, ondulant rapidement autour de mon poignet. Il descend le long de ma main, la première tête cherchant la peau de sa cible. Quand il a trouvé, ses crocs viennent se planter au niveau la blessure béante du blond. L’autre tête vient me mordre au niveau du poignet, le petit pincement me faisant serrer la mâchoire. J’inspire un bon coup et fais affluer ma magie sans attendre.

La douleur irradie d’un coup mon épaule, me faisant hurler alors que le blond souffre en même temps que moi. Je ressens tout, la façon dont chaque nerf, chaque muscle, chaque morceau de peaux se régénèrent rapidement pour refermer la plaie. L’hémorragie s’arrête rapidement, la plaie se refermant ensuite, ne laissant qu’une fine cicatrice encore rouge, mais très fine. Je pousse encore un peu ma magie, essayant de redonner quelques forces supplémentaires au blond ayant perdu beaucoup de sang. Quand enfin j’ai fini, je pousse un petit soupir, le serpent revenant rapidement s’entourer autour de mon poignet.

Mes forces me quittent rapidement, je sens la fatigue me prendre d’un coup. J’accumule la douleur de mes propres blessures, celle du soin que je viens d’effectuer, mais aussi la fatigue du combat et de la baisse d’adrénaline. Je suis complètement vidée. J’ai épuisé toute mon énergie de réserve, ayant même commencé à tirer sur celle de ma fleur, cette dernière ayant perdu un peu de sa superbe. J’esquisse un dernier sourire fatigué avant de m’effondrer sans même me retenir, laissant le blond gérer la suite.

Le souffle d'excuse de Sia fait écho à ce que ressent le borgne en cet instant précis. Cet animal n'a rien fait pour mériter de mourir, de son fait du moins. Il a simplement été poussé dans cette situation par l'inconscience des hommes, et surtout l'arrogance d'un doyen qui a préféré faire passer sa crédibilité avant la possibilité de sauver ce Chouettours qui n'aurait finalement eut besoin que d'être éduqué correctement. L'animal enchaine les cris de détresse et d'une rage qu'il n'arrive pas à diriger, ne comprenant pas réellement ce qu'il se passe, si ce n'est qu'il vit les derniers instants de son existence. Et cette réalisation est loin de le rendre docile, bien au contraire. Malgré ses blessures, Sileas est obligé de reculer et de dégainer de nouveau sa lame, encore poisseuse de sang. Laissant la lance plantée dans sa patte arrière, le combattant s'occupe d'empêcher celles avant de déchiqueter la forgeronne ainsi logée sous cette masse se débattant pour les derniers instants de sa vie. La douleur est terrible, son bras et son flanc ouvert le vidant rapidement de sa propre énergie vitale, chaque geste projetant des éclairs à travers tout son torse. Heureusement pour eux, le blond arrive à tenir le temps nécéssaire pour permettre à sa comparse de finir leur tâche et leur mission.

La suite, il ne sait réellement de quoi il s'agit et ce qu'il se passe. Même l'adrénaline n'arrive plus à le tenir debout, et il finit par lâcher son épée qui heurte le sol avant que ses genoux ne suivent. Il reste ainsi, maintenu plus par la rigidité des articulations et le poids même de son corps que ses muscles. Ces derniers abandonnent, n'ayant plus la force de déplacer le combattant qui est désormais obligé de compter sur le Don de l'étoile d'argent pour le maintenir en vie. N'ayant plus conscience de rien, Sileas n'a qu'a léger sursaut mental en sentant cette main se saisir de la sienne. Les mots semblent lointains, comme murmurés dans une pièce adjacente et ténue par des rideaux. L'homme répondrait bien, mais il n'y arrive pas. A peine ses lèvres s’entrouvrent que sa force le quitte, n'arrivant même plus à les bouger pour articuler un murmure. Il est présent, mais de plus en plus loin. Son corps réagit légèrement aux stimuli appliqués par la forgeronne, uniquement concentré sur arracher quelques minutes de plus à ces ténèbres réconfortantes qui se rapprochent. Il sait que si il sombre, il y'a des chances non minces qu'il n'émerge jamais de ce sommeil sans fond.

Il est néanmoins toujours la quand Sia vient presser ses doigts. Et définitivement éveillé quand la magie afflue. Sa bouche s'ouvre en grand, et il crie, silencieusement. Pas un son s'échappe de sa gorge, ce qui est encore plus terrible. Il sent cette douleur irradier de son être entier, dévorer d'un feu crépitant ses blessures pour les refermer de force, violant les limites de son corps pour les repousser. L'efficacité est certaine, mais rien n'est pire au monde que de souffrir un tel martyr sans pouvoir l'exprimer. Si cela ne remplace pas le sang perdu, c'est très efficace pour arrêter l'hémorragie et lui rendre l'usage de son bras. Avec certaines limites, vu que la plaie est encore finement cicatrisée. Mais peu à peu, Sileas sent qu'il revient à lui, de la manière la plus violente possible. Quand enfin cette sensation s'arrête, il tombe en avant avant de se rattraper sur les bras, finissant à quatre pattes pour reprendre sa respiration en un rythme rapide, la gorge douloureuse d'avoir crié si longtemps sans avoir pu laisser échapper aucun son. Mais la douleur cesse, la raison reprends ses droits. Jetant un regard à la jeune femme inconsciente, il se rapproche d'elle en avançant toujours à quatre pattes avant de souffler quand il la surplombe, examinant ses blessures.

-"Merci de m'avoir sauvé... Et ne t'en fais pas, je me charge de la suite..."

Une poignée de secondes de plus et son regard fait le tour de la scène. Le sang les baigne, mais ce n'est pas le plus important. Tout en se redressant, il se presse de son mieux pour récupérer le sac sans fond de la forgeronne et le sien. Malgré la magie ayant afflué en lui, son corps reste particulièrement affaibli par cette perte de sang. Portant le tout jusqu’à l'emplacement ou Sia est allongée, il fouille ensuite rapidement dans sa propre trousse de premiers soins, extrayant de quoi faire bandages et garrots. Les blessures sont rapides à déterminer, et il vient toutes les bander avec force, n'hésitant pas à installer des garrots un peu plus haut si jamais la perte de sang est trop importante. Une fois ces premiers soins terminés, il comprends bien qu'il lui faudra un peu plus de matériel pour s'occuper de tout. Retourner à leur campement devient sa priorité, tandis qu'il finit par juste glisser son paquetage dans le sac de la jeune femme, retirant ce poids de ses épaules.

Se sentant d'attaque, Sileas grogne en glissant les bras sous la nuque et les genoux de la forgeronne pour la soulever aussi délicatement que possible. Le cadavre peut attendre, la survie de celle venant de le sauver passant avant tout. Chaque série de pas est suivi d'un grognement, et heureusement que l'orée de la forêt est proche. Ce qui prenait normalement cinq minutes en prends le quintuple, le forçant même à faire un arrêt pour vérifier l'état des plaies. Une fois vérifiées que ces dernières n'empirent pas, le blond termine le trajet en ahanant d'épuisement, tombant presque à genoux pour installer la jeune femme sur sa propre cape dont il arrache presque la broche. N'hésitant pas à fouiller dans le sac de Sia, le combattant récupère gourde fontaine, pierre de feu et tout ce qu'il estime nécéssaire. Un coup de pierre, une casserole sur le feu qui nait et la gourde est vidée pour chauffer l'eau. De quoi nettoyer les plaies de manière certes rustique, mais efficace. Retirant les bandages déjà souillés, l'homme attends que l'eau commence à bouillir avant de tremper un linge dedans et venir nettoyer les blessures les unes après les autres. Pas de désinfectant, mais cela permettra surement d'éviter les infections jusqu'au retour à la capitale.

-"Reste avec moi Sia, reste avec moi. Repose toi, on a fini la mission et on va bientôt pouvoir rentrer."

Une fois les premiers soins fournis, Sileas grogne en usant du peu d'énergie qu'il lui reste pour venir la porter, elle et la cape dans leur tente. Récupérant ensuite toutes les fourrures qu'ils avaient rangés, il vient l'enfouir de nouveau dans un cocon doux et chaud au meilleur de ses capacités, ressortant juste pour mettre autant de bois que possible sur le feu et l'entendre crépiter des flammes léchant avec avidité cette nouvelle source à consumer. Dès la tâche terminée, l'homme vient s'effondrer d'épuisement à coté de la forgeronne sans même retirer les restes endommagés de son armure, bien trop épuisé par tout cela et ne pouvant qu'espérer que personne ne soit trop curieux...

Je me réveille le corps lourd et particulièrement douloureux. Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi. Mon sommeil n’a pas été tranquille, parcouru de cauchemars et une légère fièvre ayant dû me prendre. J’ouvre péniblement l’œil, essayant de grogner en sentant mes membres endoloris, mais ma gorge est trop sèche pour cela. J’essaye de péniblement humecter mes lèvres, la paupière encore lourde. Je ne sais plus où je suis, ne reconnaissant pas immédiatement le toit de ma tente.

Je sens alors une source de chaleur à mes côtés. Je tourne légèrement la tête sur le côté, voyant un homme blond endormi, couvert de sang et avec une armure en mauvais état à mes côtés. Il me faut un moment pour revenir à moi, me rappeler la mission, Sileas, le village, le chouettours, notre combat, et surtout le soin que j’ai porté à l’aventurier pour le sauver. J’essaye de bouger, le poids des fourrures me semblant presque insurmontable. Avec un grognement qui m’irrite la gorge, je sors mon bras droit de mon cocon.

Mon avant-bras a été sommairement nettoyé et bandé, un garrot ayant même été posé par sécurité. Les doigts de l’autre main tremblants, je viens défaire le nœud de la bande qui diminue l’afflux sanguin dans mon bras, sentant des fourmis le parcourir. Après plusieurs minutes de bataille, je sens enfin que j’y suis arrivée. Je soupire avant de me tourner sur le côté. Chaque mouvement est douloureux, tout mon corps souffrant d’une extrême fatigue. Je ressors ma main et vient la porter au visage du blond, vérifier que je sens son souffle. Quand je suis rassurée, je me détends légèrement, mon regard se portant au tatouage sur ma peau. J’ai utilisé toute mon énergie de réserve, il me faudra plusieurs heures pour la recharger.

Je porte ensuite la main à mon visage, essayant de tâter le végétal qui remplace mon œil borgne. La fleur n’est pas en forme, mais bien présente. Je me remets sur le dos, un combat intérieur faisant rage alors que plusieurs de mes idées s’affrontent. J’essaye d’évaluer les dégâts sur mon corps, de réfléchir à si je sacrifie la fleur et son énergie solaire accumulée pour aider ma guérison ou essayer de profiter du peu de lumière qu’offre la saison. Je grogne, me rendant compte que la première option est la plus viable.

Je me concentre donc sur mes plaies les plus graves, activant ma magie pour toutes les guérir. Je puise jusque dans mes dernières ressources pour me panser le plus possible, la douleur me traversant me faisant trembler et pleurer tout en serrant les doigts sur ce qui me reste de vêtement. Quand je sens que la majorité des plaies n’est plus douloureuse, je laisse mon corps se détendre, la fatigue m’envahissant en même temps que ma fleur tombant sur ce qui sert d’oreiller. Je prends le temps de défaire grossièrement mes bandages pour vérifier mes blessures. Quand je suis rassurée, je me laisse absorbée par le cocon qu’offre les peaux dans lesquelles je suis enroulée.

Je me tourne à nouveau vers le blond, profondément endormi. Il devait être aussi épuisé que moi, si ce n’est plus. Je me glisse contre lui, venant défaire les lanières de son armure les plus accessibles, grimaçant à chaque mouvement. Je suis épuisée, tirant sur mes forces pour lui retirer autant que possible son armure de métal. C’est à peine s’il bronche durant tout le processus. Quand presque tout est retiré, je viens ouvrir les fourrures pour le couvrir avec moi et me rendors pour un sommeil sans rêve.

Quand j’émerge à nouveau, j’entends une voix, lointaine, mais visiblement inquiète. Une voix féminine que je ne connais pas. Je grogne, me serrant contre la source de chaleur qui m’enserre. J’ouvre doucement l’œil alors que le blond semble aussi émergé péniblement.

« Il y a quelqu’un ? »

Nous grognons quasiment en même temps des mots à peine compréhensibles. J’entends un soupir étouffé, soulagé. La voix reprend ensuite, légèrement coupée par un sanglot.

« Lucy soit louée... Nous étions si... Nous avons vu de la fumée... Trouvé du sang... On vous pensait... Vous avez besoin de quelque chose ? »

Je soupire en somnolant à moitié, le bruit de mon ventre répondant pour moi. Finissant par réussir à m’humecter les lèvres, j’arrive à grogner d’une voix enrouée et faible un mot à peine compréhensible.

« Manger... »

Je laisse le blond faire ses propres demandes s’il en a la force. Je me roule difficilement pour me mettre sur le dos, me décollant de l’aventurier. Quand la femme parait repartir, je me force à rester éveillée pour souffler doucement et difficilement au blond.

« Merci Sileas. »

Combien de temps le borgne dort-il ? Il n'en a pas la moindre idée. Son sommeil est profond, immaculé de rêves et de cauchemars. Son corps a besoin de récupérer et de régénérer, tant le sang perdu que l'énergie dépensée durant le combat. Ses muscles sont endoloris et particulièrement durs, et rien n'émerge de tout cela. Il sent bien une forme s'agiter contre lui, revenir. Vaguement les pièces les plus lourdes de son armure être retirées, libérant un peu d'espace à son corps. La chaleur revient, et le temps passe. Finalement, c'est un éclat de voix qui vient lentement mais surement l'arracher des bras de Morphée, et ceux bien plus matériels de Sia. Clignant des yeux, un long grognement échappe de ses lèvres. Ses muscles le tirent, et il aurait besoin d'une liste de choses assez longues. La forgeronne laisse échapper la plus logique d'entre-elles, et l'homme enchaine d'une voix rocailleuse.

-"A boire, si vous avez quelque chose qui rends un peu d'énergie. De quoi se laver aussi..."
-"On vous rapporte ça dès qu'on peut."

Difficile de rester éveillé, et il finit par tourner la tête vers la forgeronne si proche de lui. Aucun des deux n'a envie de quitter ce petit cocon de chaleur. A vrai dire, le blond est content d'être la, avec la jeune femme. Ce n'est clairement pas la chose la plus désagréable au monde possible, si ce n'est ses pièces d'armures souillées qu'il vient attraper pour les jeter dehors avec un grognement mécontent. Finalement, il se laisse retomber sur le dos en soufflant avec un sourire vite éteint.

-"Tu m'as sauvé la vie, c'était bien la moindre des choses..."

Les muscles particulièrement endoloris, il sent bien qu'il n'a que trop puisé dans son don. Il est totalement épuisé, et le retour à la capitale risque de ne pas être des plus agréable. Prenant ces quelques minutes de calme le temps que les villageois ne parlent, il se contente de somnoler à moitié, essayant de récupérer au mieux pour arriver à se relever et sortir quand la jeune femme reviendra. Son œil se pose de nouveau sur sa comparse et il finit par lentement se redresser pour la détailler plus longuement, observant la fleur tombée sur leur oreiller de fortune.

-"C'est... Normal pour ta fleur ? J'espère que ce n'est rien de grave..."

Sileas est légèrement inquiet, et ça transparait même dans son ton malgré l'épuisement. Puis dehors, des bruits se font entendre. Cette fois, la femme n'est pas seule et ils discutent à voix basse. Prenant sur lui, le grognon arrive à entrouvrir les pans de la tente pour sortir, et il ne sait pas ce qui le frappe le plus. L'air froid qui mord avec force sa tenue de cuir et sa peau, ou bien les yeux exorbités de la femme et des deux hommes qui aperçoivent le combattant, sa tenue déchirée en plusieurs endroits, le sang maculant son corps entier. Le sien comme celui de Sia ou encore de la créature. Il a même fini par maculer sa chevelure, la teintant d'un carmin des plus odorant. Finalement, c'est la villageoise qui arrive à reprendre la parole, après avoir pris quelques goulées d'air précipitées.

-"Vous... Vous allez bien ... ? Il s'est passé quoi la bas ... ? On doit appeler un médecin, il vous fait autre chose ?"

Elle est clairement dans un état de panique avancée en voyant quelqu'un en si mauvais état. Peut être des souvenirs des attaques du village qui remontent. Et pourtant, tout ce que voit Sileas est ce bac qui commence à se faire remplir d'eau apporté par le trio, ainsi que les petits paquets de nourriture qui sont déposés sur le sac de Sia, suivis d'une carafe d'hydromel. Levant la main pour la faire taire, le borgne laisse échapper sa voix, toujours aussi caverneuse.

-"Ca va, ça va. Blessés, fatigués, mais on survivra. Et ne vous en faites plus, vous n'êtes plus en danger à cause de la créature."

Le regard des villageois se teinte de nouveau, la peur remplacée par un certain soulagement. Comprenant que les deux aventuriers ont surement beaucoup à faire et surtout ont besoin de repos, ils finissent par s'incliner légèrement pour repartir, non sans laisser échapper une dernière phrase.

-"Si il vous faut quelque chose de plus n'hésitez pas à demander... Merci vraiment pour ce que vous avez fait pour nous."

Sileas ne prends même plus la peine de répondre, pivotant pour voir comment Sia se débrouille. Si besoin, il se penchera pour lui tendre la main et l'aider à se relever et sortir des couvertures, manquant de rester ainsi coincé pour lui souffler.

-"Allez, file te nettoyer en premier. Quand je vais plonger dans l'eau, je risque de m'endormir. Je peux bien attendre cinq minutes."

Laissant à la forgeronne le luxe de retirer cette couche qui macule ses vêtements comme sa peau en premier, l'homme fait couler une nouvelle fois le contenu de la gourde dans la casserole, rallumant une nouvelle fois le feu. Les paquets sont emplis de nourriture venus droits de leurs celliers, et même de deux soupes au lard particulièrement riches et bien fournies. Pile de quoi se remettre d'aplomb alors qu'il tend sa part à la demoiselle. Maintenant que la mission est terminée, il est temps de s'occuper à la valider, même si ils sont en piteux état.

Le calme revient et nous soufflons un peu, restant silencieux un moment. Finalement, c’est le blond qui le brise en s’inquiétant pour moi. Je tourne la tête, récupérant la fleur fanée qui part en poussière quand j’essaye de la prendre en main. Je hoche doucement la tête tout en portant une main à l’orbite vide de mon œil droit. De la peau se trouve à l’emplacement de l’œil, signe que je suis née et qu’il ne m’a pas été retiré. Une légère cicatrice est toutefois maintenant à peine visible en son centre, une marque de ma rencontre avec Vivianne. Presque instinctivement, je viens mettre ma chevelure devant pour cacher ma difformité, mais cette dernière est collante, emmêlés et teintée de sang séché.

Quand la voix revient, accompagnée d’autres, l’homme s'occupe de les accueillir. Je profite de ce répit pour me relever et constater mon état. Il ne me reste que des blessures superficielles et de nombreux hématomes, mes muscles douloureux de fatigue et courbaturés. Je remarque aussi que mes vêtements ont été très abimés et qu’ils ne gardent plus vraiment le nom de vêtements. Ils cachent tout juste ce qui doit l’être pour respecter la pudeur et décence. Je soupire alors que le blond vient ouvrir la tente pour m’inviter à prendre un bain.

Je souris, hochant de la tête. Je sors, accueillie directement par le froid mordant de la saison froide. Je serre les dents et retire mes vêtements avant de commencer à me laver. Je récupère du savon et me frotte entièrement le corps et la chevelure tandis que l’eau chauffée refroidit rapidement. Je n’ai même pas cherché à plonger dedans, la voyant se teinter rapidement de rouge et marron.  Quand je semble à peu près détacher, je viens me rincer complètement en grelotant. La source chaude la forge me manque terriblement en ce moment même. Dès que j’ai fini, j’essore ma chevelure, récupère un linge dans mon sac et vais m’abriter du vent dans la tente.

Une fois à l’intérieur, j’entreprends de me sécher, en profitant aussi pour sortir les nombreuses fourrures couvertes de sang. Il y aura du travail de lessive. Je soupire, récupérant d’une main mon sac sans fond pour en sortir mes derniers vêtements de rechange propres. Pas question de remettre mon armure, elle est dans un sale état. Même mon polymorphe parait avoir beaucoup souffert. J’enfile ce dernier sur mon bras, le laissant sous forme de brassard pour le moment.

Quand je suis habillée et à peu près sèche, je sors tout le contenu de la tente. Je retrouve un Sileas qui profite à son tour de pouvoir se laver. Sans aucune gêne, je commence à ranger les diverses peaux et autres équipements tâchés et abimés. Je jette un regard dans sa direction en soufflant un petit rire.

« Je me permets de tout récupérer. J’ai de quoi laver tout ça. »

Nous nous occuperons plus tard de ce détail, une fois rentrés à la Capitale. Je pense qu’autant lui que moi souhaitons la chaleur d’un foyer, d’un bon lit et de nourriture consistante. Mais hors de question de dormir plus longtemps ici. Je me nourris comme je peux, mon corps souffrant même de manger tant je suis épuisée. Je continue de ranger nos affaires et lentement, mais sûrement, nous replions notre petit campement. Nous avons certainement dormi toute une journée complète, étant au début de l’après midi du jour suivant désormais.

Quand il ne reste plus rien de nos affaires et que la majorité est maintenant dans mon sac sans fond -même le bain improvisé que nous devons rendre au village- nous prenons la route du lieu de combat de la veille. Nous sommes détachés, mais pas non plus complètement propres, avec des vêtements qui eux le sont, pour ma part je n’ai plus d’armure et qu’une épée fine à la ceinture. J’ai aussi mis un bandeau sur mon œil aveugle, cachant ma difformité pour ne pas choquer. Nous marchons progressivement et presque silencieusement, tous deux fatigués, mais sachant aussi ce que nous allons trouver.

Et bien vite, nous finissons sur le lieu du carnage. La tanière détruite et dorénavant éteinte, de rares braises rougeoyantes à peine, le cadavre du chouettours ayant gelé sur place alors que tout autour la neige a tout juste recouvert les marques du combat. Je viens doucement chercher et récupérer tous nos équipements et armes laissés sur place dans la précipitation. Je laisse mon compagnon s’occuper du cadavre pendant que je remplis mon sac de tout ce qui nous appartient. Je le rejoins ensuite, venant retirer mes épées et l’arme du blond du cadavre avant d’aussi les ranger. Nous aurons beaucoup d’entretien à faire aussi en rentrant à la capitale.

« Il n’y a plus qu’à faire valider le formulaire pour la quête par le doyen... »

Je soupire, sortant le papier en question que j’ai gardé dans un de mes carnets à l'abri dans mon sac pour qu’il ne soit pas abimé. Une formalité pour que nous recevions notre récompense une fois de retour à la guilde.

« Laissons-leur le corps... Je n’ai pas envie de le récupérer... »

Je fais quelques pas, fouillant un instant dans la neige pour en sortir une petite boite, le dernier souvenir de la fille du doyen. En l’ouvrant, je constate que la figurine à l’intérieur s’est décrochée, le bois a souffert de la proximité de l’incendie tout autant que de la neige, le mécanisme ne cherche même plus à s’enclencher. Je peux certainement porter ce dernier objet au père de la fillette, comme un dernier hommage à cette enfant qui ne souhaitait sûrement pas que son meilleur ami finisse ainsi.

Le blond laisse sa partenaire se laver, glissant rapidement son regard sur elle pour jauger son état. Sa nudité ne le dérange pas, mais rien dans son œil ne laisse penser la moindre lubricité. Non, il s'inquiète juste sincèrement de voir si elle va bien. Et ses blessures semblent aller bien mieux qu'auparavant. Elles ont régénérées à un rythme accéléré, et Sileas commence à se demander si son pouvoir ne marche pas aussi sur elle. Ou si il ne les a pas régénérés tous deux en même temps. Difficile à dire, et il ne compte pas la questionner sur la minute à ce propos. Il est trop occupé à alterner entre manger, boire, et vider l'eau bouillante de la gourde et de la neige qu'il fait fondre dans la casserole dans le bac pour assurer que la température de ce bain improvisé reste acceptable le temps qu'elle finisse de se laver.

C'est ensuite à son tour, et la teinte déjà trouble de l'eau ne le motive guère, mais il en a besoin. Sauf que contrairement à sa comparse, il n'hésite absolument pas à y plonger jusqu'aux épaules, avant de commencer à se laver et se frotter vigoureusement. Comme Sia, un second lavage sera bien rapidement nécéssaire, mais juste pouvoir retirer les plaques de sang séché et surtout cette odeur tenace qui s'était engravé à même sa peau est une sensation plaisante. Tournant la tête vers la demoiselle quand elle lui parle, il vient simplement hocher.

-"Fais, j'ai des rechanges et absolument pas la tête à faire le tri dans nos affaires. On pourra voir ça une fois confortablement installés, et après avoir pris un vrai bain chacun."

Et pour une fois, pas question de trainer dans l'eau. Elle refroidit vite, surtout sans nouvel apport bouillant régulier, et même si ses muscles supplient d'une longue séance dans un  bain brulant, ils ne peuvent ni réaliser ce rêve ni se le permettre. Sortant à son tour en frissonnant et claquant des dents, il récupère son sac dans celui sans fond de la femme, sortant rapidement de quoi se sécher et des rechanges. Une fois totalement habillé, il observe son armure. Ne s'embête même pas à la remettre et se contente de récupérer sa seconde veste de cuir, la resserrant sur son corps. Sa cape lui manquera, mais il fera avec. Quelques heures sont tout ce qui les sépare du retour, après tout.

Le trajet jusqu'au sous bois est accompli dans un silence de mort. Les deux sont trop épuisés physiquement et mentalement. Avoir ainsi frôlé la mort laisse toujours sa trace. Et la faucheuse vient rapidement se rappeler à eux, quand ils aperçoivent enfin le cadavre de Pooh. Le pauvre animal n'a rien demandé, et sa carcasse commence déjà à congeler. Sortant son épée qu'il doit forcer hors de son écrin de cuir, le sang ayant presque scellé le fourreau et déjà commencé à endommager la lame, il grogne. La partie la moins amusante est désormais à venir. Sia récupère les armes, et lui même s'occupe du Chouettours en lui même. Les coups résonnent rapidement, et il vient tout simplement séparer la tête  du reste du corps. Heureusement que ce dernier a déjà commencé à geler et que le sang s'en est presque totalement échappé de ses nombreuses blessures, car cela permet au borgne de réaliser cette tâche en ne se tâchant pour ainsi dire pas. C'est brutal, mais impossible de nier la réussite de leur mission maintenant. Une fois que tout est prêt et que le blond tient  d'une main la tête de cet animal qui n'avait absolument rien demandé, il soupire pour sa comparse en reprenant la route vers le village.

-"Il a pas interêt à jouer les mijaurées. Déjà que le prix devrait être au bas mot triplé pour tout ce qu'il nous a caché. Outre tout l'entretien et le lavage qui nous attends, c'est un rapport salé à la guilde et à la garde que l'on risque de devoir livrer. Mais demain. Je veux juste rentrer à la capitale, et me poser dans une auberge pour prendre un bon repas, un bon bain, et une chambre confortable."

Malgré la fatigue, une colère sourde tonne encore. Elle n'éclatera surement pas aujourd'hui, mais elle est présente. Se sent dans la poigne avec laquelle il maintient le trophée au gout amer de leur quête. Le village est rapidement atteint, dans un silence de mort. Si le mot est déjà passé que la bête a été terrassée, voir l'état dans lequel les aventuriers sont et la tête ainsi décapitée de ce qui était presque la mascotte locale tend à calmer les esprits. Sans plus de procédures, Sileas tend la main pour récupérer le carnet de quête.

-"Je m’occupe de la validation, si cela ne te dérange pas. Et il a interêt à ouvrir la porte, sinon je fais aussi cramer sa tanière, à ce vieux fou."

Une fois tout ce dont il a besoin en main, le blond vient frapper de nouveau à la maisonnée d'Aradesh. Un premier coup, un temps sans réponse. Un second, et le visage de l'aventurier retrouve des couleurs d'une teinte écarlate. Alors qu'il s'apprêtait à frapper avec bien plus de force, quitte à s'épuiser pour faire de cette porte un pont levis improvisé en l'éclatant de ses gongs, le Doyen finit par ouvrir, le visage fermé et une mine indescriptible sur le visage. De la tristesse, d'avoir perdu ses enfants ? Possible. De l'appréhension de son avenir ? Probable. Une certaine froide acceptation des évènements et de sa responsabilité dedans ? Nul ne saura jamais. Du moins, pas Sileas qui rentre sans plus de forme dans la bâtisse en mettant sous la tête de l'ancien celle décapitée de l'animal ayant causé la mort de son fils.

Aradesh hoquette et recule, s'installant dans son fauteuil pour encaisser le choc. Profitant de l'avoir sous la main, l'homme dépose le formulaire de la guilde avec de quoi signer à coté.

-"L'animal est mort et le contrat à été rempli. Signez pour que la guilde puisse le valider, et vous serez débarrassés de notre présence."

Colère, peur, consternation, acceptation. Les émotions s'enchainent sur le visage de l'homme qui devient blanc, et surement pas très loin d'une crise cardiaque. D'une main tremblante, il vient signer le papier qui n'a même pas le temps de voir l'encre totalement sécher sur son support. Sileas se saisit de la preuve écrite de la réussite de leur mission avant de pivoter pour sortir d'un pas sourd, s'arrêtant juste pour déposer sur l'une des armoires la tête du monstre responsable de tous les malheurs du Doyen, soufflant à sa comparse.

-"Si tu veux lui parler ou faire quelque chose, je t'attendrais à la sortie du village."

Sileas sort ensuite, ne prêtant plus attention à personne. Sauf à la jeune femme leur ayant apporté tout a l'heure de quoi manger, boire et se laver. Cette dernière aura droit à un léger signe de tête suivi d'un début de sourire fatigué mais reconnaissant. Et c'est ainsi, patientant tranquillement en attendant la forgeronne que Sileas fait enfin le point sur cette quête qui va bientôt prendre fin, dès qu'ils auront su avaler la route jusqu’à la Capitale pour se rendre à la Guilde.

Sileas traine le trophée jusque chez le doyen et je le suis de peu. Il ne cherche aucun détour, visiblement énervé au plus haut point autant qu’il est épuisé. Nous sommes à bout. Nous avons à peine récupéré de nos blessures, mais nous avons encore beaucoup à faire. L’aventurier va tonner chez le doyen, lui offre la tête de l’animal de compagnie de sa fille et repart avec la preuve que nous avons accompli notre tâche. Je fais un petit signe de tête au blond avant de rejoindre un Aradesh blême. Je lui tends le petit coffret récupéré dans la tanière de Pooh et lui offre une voix aussi froide que fatiguée.

« J’espère que cela vous aura servi de leçon. »

Je me détourne sans un mot de plus, entendant juste l’homme commencer à sangloter derrière moi. Je referme la porte alors que je suis dévisagée par les habitants. Je m’avance et sors ensuite le bain improvisé de mon sac, le rendant à ses propriétaires. Une jeune femme s’avance et je la reconnais. La mère du gamin qui m’a révélé l’existence de Pooh. Je souffle de manière amère. Aujourd’hui elle semble bien plus fébrile et sensible à tout ceci que le jour où je l’ai aperçu. Je récupère autre chose dans mon sac et viens-le-lui mettre dans les mains. Une petite épée en bois que j'ai taillé.

« Pour votre fils. Et remerciez-le, il a permis de corriger la connerie des adultes. »

Je ne mâche pas mes mots, tournant les talons pour rejoindre Sileas. Je souhaite quitter ce village maudit au plus vite. Je retrouve le blond qui m’attend, légèrement pensif. Ses traits sont aussi tirés que les miens. Nous n’avons même pas envie de parler plus que cela. Nous préférons le silence. Seul le bruit de nos pas perturbe le silence donne le rythme de notre avancée. Le froid est mordant et rapidement la luminosité décline. Je glisse un regard vers mon compagnon qui n’est pas armuré depuis la première fois depuis cette mission.

Mon regard se glisse instinctivement vers l’endroit où il était blessé la veille. Même si son corps s’est parfaitement régénéré et qu’il m’en gardera aucune séquelle au niveau des sensations ou des muscles, il gardera la marque de ce combat. Une cicatrice tracera l’ancienne blessure, mais elle aura l’avantage d’être plus fine et légère que toutes celles qu’il pourra porter. De même, je vais garder celles à mon bras. Contrairement à lui, d'ici à quelques jours mon corps reprendra sa régénération accélérée et sous peu la cicatrice sera à peine visible, seuls les personnes en connaissant l’existence pourront la repérer, tout juste perceptible au toucher, presque invisible.

Quand la Capitale est enfin visible, je sens un certain soulagement m’envahir. La promesse d’un bon repos, un repas chaud, un lit confortable, la chaleur d’une auberge, et surtout de l’alcool. Je vais avoir besoin de ce dernier élément dans les prochains jours. Nous avons beaucoup à faire : du repos, de la lessive, l’entretien de nos armes et armures et de nombreuses réparations. Je glisse un nouveau regard vers le blond, osant perturber le silence pesant qui nous entourait.

« Je sais qu’on n’aura notre prime que demain, mais on se paye de quoi fêter la fin de ce calvaire ? Je pense que l’on doit chacun beaucoup à l’autre maintenant. »

Je réajuste la sangle de mon sac tout en réfléchissant. Pour la première fois de ma vie, j’ai risqué ma vie pour un autre, je l’ai sauvé et il en a fait de même. Depuis toutes ces lunes à parcourir le royaume jamais je n’ai fait une telle rencontre. Je dois beaucoup au blond, mais ceci est peut-être le début d’un beau duo.