- Je l’ai.
Son regard planté dans le sien, il appréhendait sa réaction. Mentalement instable, elle avait plusieurs fois démontré qu’elle ne savait pas toujours être maîtresse de ses émotions et, bien souvent, il en avait fait les frais. Violence, injures, manque de communication. Ces deux âmes esseulées s’étaient heurtées à bon nombre d’obstacles et, encore aujourd’hui, elles n’étaient pas capables de se faire confiance et de s’allier. Lentement, il décroisa ses bras pour se préparer à esquiver une attaque surprise de la blonde. Mais, à sa plus grande surprise, seul un sourire vint animer le bas de son faciès. Son doigt vint tapoter le bout de son nez tandis qu’elle s’exclamait.
- Touche le bout de ton nez et Lucy réalisera ton souhait ! Hahaha !
C’était un vœu qu’elle avait fait tous les jours de sa vie pendant des lunes et des lunes. Et, tandis qu’il lui annonçait enfin que l’heure était arrivée, elle ne ressentait pas la moindre joie. Trop lasse, trop épuisée. Son visage redevint froid.
- Utilise ton objet et sors de ma vie, mercenaire de malheur, répliqua-t-elle en lui tournant le dos.
Le regard fixé vers l’horizon étrange de leur monde des rêves, elle entendit à peine ce que le mercenaire répliquait. Elle ne voulait pas l’entendre. Elle voulait juste que tout s’arrête. Elle voulait reprendre une vie normale. Inaros soupira, ce qu’elle n’entendit pas, pas plus que les dernières paroles qu’il prononçait pour elle.
- Adieu, Ivara.
La minute au pays des songes touchait elle aussi à sa fin, il allait se réveiller pour la dernière fois dans le corps de la sculptrice.
Inaros avait rédigé une série de lettres, ne sachant pas vraiment ce qu’il se passerait une fois qu’il aurait fait ce qu’il avait à faire. S’il disparaissait totalement de ce monde, il avait d’ultimes directives à donner et d’aveux à réaliser.
Warren,
Tu le sais très bien puisque c’est grâce à l’Ordre que nous avons réussi à nous procurer ce qui sera probablement mon salut. À toi, mon frère, je [les premiers mots ont été effacés puis d’autres caractères les ont remplacés] te fais confiance pour continuer de faire tourner ta compagnie ainsi que ta branche de l’Ordre et d’Althair. Elle me remplacera et sera prête à te rencontrer quand tu en auras le temps.
Nous avons fait plusieurs expériences avec cet objet et, à toi, je peux dire que j’ai peur. J’ai peur de disparaître. J’ai peur que ça ne marche pas vraiment. J’ai peur que ma chasse des capitaines se soit soldée par un échec et que mon nom ne soit pas resté inscrit dans toutes les mémoires. Je n’irais pas jusqu’à dire que je compte sur toi pour t’en assurer mais, hé, avec Sandro,
Inaros avait longuement hésité à lui parler d’autre chose et à lui révéler l’emplacement de sa tombe. Il y avait une chance minime, pour qu’il soit expédié dans son premier corps et cette perspective, effrayante, aurait sans doute été plus douce avec un ami pour le sortir de là. Mais il n’avait pas envie de l’envoyer faire une chose pareille.
PS : Même si j’ai eu des griefs contre elle, à cause de Tu-Sais-Qui, j’ose espérer que tout se passera bien avec ta dulcinée. C’est bien de te savoir aussi heureux. Tu pourras t’rattraper en adoptant, avec elle, un ou deux mômes d’une famille que t’auras décimée - c’est pas moi qui le dit, c’est le métier. Oublie pas d’prévenir Sandro, j’ai eu un mal de chien à garder le secret la dernière fois. Tu sais comment il est.
Nous nous reverrons, mon frère. Prends soin de toi.
« Prends soin de toi », pfeuh! Warren allait le prendre pour une véritable donzelle avec ce qu’il venait d’écrire. Qu’importe. Ce n’était vraiment pas facile pour lui de coucher ses sentiments sur le papier.
Violette,
Ma sœur. Comme j’ai pu te l’expliquer dans une autre de mes lettres, j’ai sûrement trouvé un moyen de quitter le corps de la sculptrice. Je t’ai parlé de l’incertitude des effets et que je pourrais sûrement y trouver la mort. Je dois le faire. Malgré tout ce que cela peut impliquer. Je pense que je n’aurais pas de meilleures fenêtres que celle-ci, et je suis désolée que nous n’ayons pas pu nous voir, seuls, ces derniers temps. Si tout fonctionne, tu retrouveras ton grand-frère, je te le promets. Je t’ai aussi dit que je ne t’abandonnerai plus et c’est ce que je fais. Si c’est Lucy ou n’importe quel dieu qui m’accueille près de lui, alors sache que je lui demanderai qu’il garde une place pour toi près de moi. C’est bien maigre et tu connais mon pragmatisme, mais je fais ça pour que nous ne l’ayons plus entre nous deux.
[L’écriture est un peu plus compacte, comme s’il s’était souvenu d’inscrire ça quelque part] S’il-te-plaît, ne la blâme pas. Elle n’est pas responsable de mes décisions. Si tu veux récupérer quelques-unes de mes affaires, tu peux toujours la contacter.
PS : Sois heureuse, Violette. Toi plus que moi l’a toujours méritée. J’espère que ta vie d’aventurière te comblera et que, peut-être, un jour, tu auras le bonheur de me faire tonton - que je sois physiquement présent ou non.
Ton frère, Niko
Zahria,
Nous avons longuement discuté. Tu sais déjà ce qu’il en est. Je vais partir et, quand tu auras reçu cette lettre, il sera trop tard. Je ne serais plus. Ou alors, je serais ailleurs. Je ne sais pas encore ce qu’il va vraiment se passer. C’est pas tous les jours qu’on a deux âmes coincées dans un corps, hein ? Je suis pas vraiment doué pour faire dans les sentiments et faire des jolies phrases, mais je voulais te prévenir. Tu pourras probablement toujours la croiser dans L’Atelier. Elle aura peut-être quelques affaires à moi qu’elle pourra te refourguer, si Vio est pas passée les chercher avant. Je vais pas te demander de pas me chercher, mais je pense vraiment que j’en reviendrai pas. Fais comme bon te semble, t’as toujours été libre comme l’air.
PS : Te rencontrer a été une véritable bouffée d’oxygène, dans ma vie. Merci d’être venue, merci d’avoir cherché à nous rencontrer. Merci pour cette soirée pyjama. Merci pour tout. Prends soin de toi, pose-toi et sois heureuse.
Ton (un de tes nombreux) frère
Kit,
Je t’écris pour te signaler que je vais devoir m’éloigner quelques temps. Je ne sais pas combien de temps je vais disparaître, c’est encore très incertain. As-tu bien reçu ma dernière missive, celle concernant l’affaire du meurtre de Kathemia et Nikolaos Lehnsherr ? J’ai laissé une importante somme de cristaux que tu pourras venir récupérer à l’endroit habituel. Je te ferais signe si je reviens dans les environs de la Capitale.
PS : ton aide m’a été très précieuse ces dernières lunes et je t’en remercie encore. J’espère avoir pu te rendre la pareille.
Kat
Chloé,
Tu as tellement appris en si peu de temps et, je peux l’affirmer avec conviction : tu es prête. Peu importe les épreuves qui se dresseront sur ton chemin, tu pourras les affronter avec le courage d’une lionne. Je dois te dire une chose : je pars. Je ne sais pas combien de temps je vais être hors de la Capitale, mais je te préviendrai sitôt que je reviendrai. Si je reviens. En fait, j’ai une mission très périlleuse à accomplir. Si tu as besoin de quelque chose, tu connais le chemin vers la planque.
PS : N’hésite pas à aller voir Ivara si tu en as besoin, elle sera toujours là pour toi. Elle prépare tous les jours quelques gâteaux au chocolat en espérant que tu viennes la voir. Tu lui manques, je crois.
(Madame) Niko
Une lettre est adressée individuellement à chaque Archonte. La formulation et le texte d’introduction diffèrent au début mais le contenu principal est identique : continuer de faire prospérer leur branche de la Compagnie et de l’Ordre malgré son absence.
Oscar,
Tu le sais. Tu l’as deviné. T’es trop intelligent pour pas l’avoir compris - et Warren aura beau râler, j’ai toujours eu confiance en toi et je connais tes capacités. Je vais donc utiliser l’une des dernières trouvailles de l’Ordre pour me sortir de cette situation. Je ne sais pas ce que ça va donner, ni même si on se reverra un jour.
Je compte sur toi pour continuer de faire tourner la branche du Village Perché de la Compagnie et de l’Ordre. Faites-vous confiance les uns les autres et écoutez-vous. Ensemble, vous êtes invincibles.
PS : Elle va prendre ma place et je te demanderai de garder une absolue discrétion sur son identité. J’ai parfaitement foi en ses capacités. Elle saura se débrouiller.
Niko
Lady Belmont,
Je suis ravi du partenariat que nous avons établi. Tu fais un travail formidable et j’ose espérer que l’Ordre et la Compagnie t’aident à accomplir tes objectifs personnels. Ces mots sonnent comme un adieu, tu l’auras probablement aussi deviné. Je dois partir et j’ignore pour combien de temps. Je suis traqué et il vaut mieux que je prenne mes distances pour un temps incertain.
Je compte sur toi pour continuer de faire tourner la branche de la Ville Aquatique, avec notre cher Rufio, de la Compagnie et de l’Ordre. Faites-vous confiance les uns les autres et écoutez-vous. Ensemble, vous êtes invincibles.
PS : Il est probable qu’une colocataire de longue date et en qui j’ai toute ma confiance vienne se présenter à vous et reprenne le flambeau pendant quelques temps. Jefferson est au courant et l’introduira auprès de vous dès que possible.
Inaros
Sarah,
Nos différents sont nombreux et je te demanderai de les mettre de côté le temps que tu lises ces mots. Tu es une jeune femme incroyable et je suis certain que ton père est extrêmement fier de toi - tout comme je le suis de toi. Tu diriges ta branche avec une volonté de fer et une efficacité hors du commun. Entre nous, je pense même que tu pourrais rendre jaloux n’importe qui avec tes talents de businesswoman ; même ce bon vieux Warren. Mais je ne t’écris pas simplement pour te complimenter. Je dois partir. Je suis traqué et je vais devoir prendre mes distances pour un temps incertain.
Je compte sur toi pour continuer de faire tourner la branche du Grand Port de la Compagnie et de l’Ordre. Faites-vous confiance les uns les autres et écoutez-vous. Ensemble, vous êtes invincibles.
PS : Il est probable qu’une colocataire de longue date et en qui j’ai toute ma confiance vienne se présenter à vous et reprenne le flambeau pendant quelques temps. Ton père est au courant et l’introduira auprès de vous dès que possible. Je te rassure, elle est bien différente de moi et à bien des égards. Elle ne fait pas dans les pratiques illégales.
Inaros
Inaros ne savait pas vraiment dans quel état d’esprit il était. Il était à la fois impatient de se libérer de ce corps mais avait aussi très peur de disparaître. Il se sentait aussi libre. Il n’avait plus de poids sur les épaules. Une fois ses lettres rédigées, il passa une grande partie de la journée à… Ne rien faire. Ce n’est qu’une fois le soir venu qu’il décida de sortir pour passer un peu de bon temps ailleurs. Il avait cependant oublié une chose pourtant capitale, sûrement bien trop amoché par tout ce qu’il avait déjà dû rédiger : envoyer les lettres.
Il avait aussi appris une chose, au fil du temps, c’était qu’il pouvait se permettre de résister quelques fois à l’attrait du sommeil qui l’obligeait à se retirer dans le monde des rêves pour laisser la place à Ivara. Il avait utilisé cette technique plusieurs fois, notamment pour mener à bien quelques missions mais, une fois les presque quarante-huit heures atteintes, il lui devenait impossible de résister et il était, d’ailleurs, extrêmement fatigué les heures qui précédaient son endormissement. Il usa de cette technique pour la dernière fois, pour profiter à la fois de sa journée et de sa nuit.
C’était le petit matin et Inaros était retourné dans L’Atelier. Dans ses mains, il tenait la garde d’une épée brisée. Cet objet avait été retrouvé grâce aux recherches assidues des célonautes pendant plusieurs lunes. Enfin, il l’avait entre les mains. Ils n’avaient pas vraiment compris quel était l’effet de cet artefact, mais les textes trouvés et déchiffrés par Oscar mentionnait la séparation d’âmes - ou bien la mort, cette partie du texte était laissée libre à l’interprétation et représentait donc un danger pour le mercenaire. Pourtant, il avait choisi d’en faire fi et de faire face à peu-importe ce qui lui arriverait.
Inaros activa l’objet et une lame éthérée transperça son corps. Il ne ressentit aucune douleur, seulement sérénité et, tandis que ses yeux observaient - sûrement pour la dernière fois - la pièce où il avait vécu durant tant de temps, il sentit une force supérieure l’arracher au corps de la sculptrice.
Puis, tout disparut.
Il faisait noir.
Il était seul.
Il n’était pas mort.
Liberté. Le premier mot qui lui vint à l’esprit lorsqu’elle se réveilla. Au plus profond d’elle-même, elle le sentait. Il n’était plus là. Il était parti et elle était libre. Il lui fallut de longues minutes pour vraiment s’en rendre compte. Elle passa un temps fou devant son miroir, à s’observer et à toucher les moindres parties de son être, comme si elle se découvrait pour la première fois. Elle n’arrivait pourtant pas à être heureuse. Elle avait attendu ce moment pendant si longtemps et maintenant elle ressentait le poids de la culpabilité.
Pourquoi ?
Il ne lui fallut pas plus de temps pour le découvrir. Elle venait de récupérer absolument tous les souvenirs d’Inaros. De façon très claire et précise, elle voyait, ressentait, tout ce que le mercenaire avait vécu et pensé. Elle comprenait chacune de ses décisions et, surtout, saisissait toute la gentillesse et la bienveillance dont avait voulu faire preuve le mercenaire avec elle. Même s’il avait été un sacré enfoiré sur la fin. Et qu’elle avait fait preuve d’une sacré bêtise en refusant de coopérer avec lui. Elle comprenait qu’elle était aussi actrice de sa propre descente aux enfers. Il n’était pas le seul responsable.
Elle fouilla longuement son appartement pour tenter de remettre la main sur l’artefact utilisé par Inaros mais elle devait se rendre à l’évidence : il s’était évaporé, tout comme l’âme du mercenaire. Dans ses derniers instants, elle ressentait beaucoup de calme et de sérénité. Ses ultimes pensées étaient allées à ses proches qui se comptaient sur les doigts d’une main. Ivara failli lâcher une larme, sincère, en s’en rendant compte.
En fouillant, elle avait trouvé autre chose : des lettres rédigées par Inaros et qu’il avait oublié d’envoyer. Hé, elle pouvait bien lui faire ça, non ? Cependant, la jeune femme se permit de lire chacune des missives et tous les post-scriptum, les caractères effacés puis remplacés et l’écriture un peu plus compacte furent de son fait. Inaros n’aurait jamais rédigé ça lui-même. Il avait déjà eu bien du mal à écrire ces dizaines de lignes à chacun. Mais, puisqu’elle avait maintenant exactement son ressenti et ses avis sur chacune de ces personnes, elle y alla donc de son petit commentaire… Qui était donc celui d’Inaros, en réalité. Ce qu’Inaros n’avait pas osé écrire.
Elle rédigea elle aussi une autre missive. Son écriture était un peu tremblante. Elle était toujours partagée entre la tristesse et l’euphorie.
Luz,
Il est parti ! Je suis libre. Libre, mais si seule. Comme il est étrange de n’avoir personne d’autre dans sa tête. J’avais oublié cette sensation. Mais… Il y a juste un problème dont j’aimerais te faire part. Peut-on se voir rapidement ?
Ivara
Ivara n’était plus la jeune femme frêle et fragile qu’elle avait été. Avec les souvenirs d’Inaros s’était aussi inscrit en elle toute son attitude et son caractère. Elle était devenue un savant mélange de la sculptrice et du mercenaire et, même si elle ne se rendait pas encore compte de tout ce que cela signifiait, c’était une nouvelle vie bien différente de celle qu’elle avait eu avant Inaros qui allait s’offrir à elle.
Dans la journée, elle se rendit aux locaux de la Compagnie Althair pour faire livrer tous les messages. Ainsi, elle était certaine qu’ils seraient tous distribués sans encombre.
Il était aussi l’heure, pour elle, de récupérer les clés de la Compagnie et de l’Ordre.
Inaros n’était plus, mais Ivara non plus.
Elle était devenue Ivaros.
Encart HRP :
Ce solo permet de comprendre comment Inaros et Ivara ont pu « défusionner » et comment Inaros a pu réintégrer son ancien corps et redevenir @Nikolaos Lehnsherr, avec pratiquement aucun souvenir de sa vie passée.
Pour savoir ce qu’a fait Inaros de sa dernière journée c’est ici.
Pour savoir quels sont les événements dont parlent Inaros sur la chasse aux capitaines c’est ici.
Inaros se réveille donc dans son corps d’origine, Nikolaos Lehnsherr, quelques heures plus tard. Pour plus de précisions sur ce qui lui est arrivé c’est ici.
Merci d’avoir suivi les aventures loufoques de notre duo d'âmes coincés dans un seul corps jusqu'ici (mais, promis, c'est loooooin d'être fini) !