"La traque commence..."
Dit-elle pour elle-même, comme un crédo, une motivation pour se lancer à l'assaut de ces individus inconnus. Encore faut-il les trouver cependant, encore faut-il qu'ils existent également! C'est le seul problème lorsqu'on évite tout contact, lorsqu'on agit sur base de rumeur : parfois, on se déplace pour rien! Reste à espérer que son voyage jusqu'au grand port ne la laissera pas repartir sans résultat. Ses yeux spectraux profitent de la clarté offerte par l'astre lunaire, s'habituant à la pénombre alors que la brume commence à se lever, phénomène météorologique étrange et qui n'a rien de naturel certes mais qui dessert parfaitement les plans de l'ombre alors qu'elle sort de la ruelle dans laquelle elle était installée jusque là.
Avant tout chose, suivre les on-dit. Hors de question de simplement se déplacer au hasard, certes elle n'est certaines de rien mais, souvent, les rumeurs sont tout de même basées sur un soupçon de vérité. Direction donc les quais, il paraîtrait que c'est effectivement là que ces criminels se réunissent d'après quelques marchands et piliers de comptoir qu'elle a pu entendre à la forteresse. L'avantage, c'est qu'à une heure si tardive, l'endroit risque bien d'être désert, sauf bien-entendu si elle tombe effectivement sur quelqu'un qui n'a rien à y faire, par extension, un potentiel criminel préparant son coup! Il faut avouer que les nombreux entrepôts - dont certains ne sont plus utilisés - offrent le couvert parfait pour quelques rencontres à l'abri des regards. La spectre espère juste ne pas interrompre un jeune couple pensant pouvoir en profiter quoi que, il doit y avoir bien des endroits plus romantiques qu'un vieil entrepôt désaffecté dans cette ville, c'est une certitude! De toute manière, c'est également à elle de faire la différence entre de jeunes amants et un groupuscule préparant un larcin ou un quelconque autre méfait.
L'endroit semble inanimé, vide de toute vie. Un contraste plus qu'évident avec la vie qui doit animer cette place lorsque les badauds font leur commerce et que les bateaux reviennent le vendre alourdi de poissons après une journée en mer. Au moins cela lui permet de relâcher sa prudence et surtout son pouvoir, il ne faudrait pas dépasser ses limites dès le début de la soirée. Si la traque est longue, il vaut mieux ne pas se fatiguer inutilement. Entrant dans un bâtiment - un grand entrepôt qui semble ne plus avoir été utilisé depuis quelques années au moins - elle entreprend de mener son enquête. Pourquoi celui-ci? Parce qu'il est le seul laissé à l'abandon dans les environs direct de l'entrée des quais, il
y a donc plus de chance qu'il soit utilisé de manière illégale! Un bâtiment abandonné dans lequel il n'y a pas de passage est une meilleur cachette qu'une bâtisse voyant du passage chaque jour. Sans crainte, manquant probablement un peu de prudence, la non-morte relâche l'utilisation de son pouvoir, laissant la brume qu'elle provoquait jusque là se disperser au gré du vent. Après tout, qu'est-ce qui pourrait arriver?
Oh, la journée avait bien commencé pourtant : une petite arrestation de malfrats assez amusante pour laquelle le régiment Al Rakija avait demandé un peu de renfort aux Belluaires – et c’était la jeune femme qui avait été désignée. Si elle ne connaissait pas très bien le Grand Port, elle avait été immédiatement séduite par son atmosphère tout à la fois chaleureuse et animée, et les quelques jours qu’avait duré leur mission étaient passés à une vitesse folle : l’enquête, les recherches, la traque, la capture… Tout avait été mouvement, vivacité, rythme, rapidité – très peu d’heures de sommeil, mais un tourbillon d’énergie qui l’avait remplie d’enthousiasme.
Quand, ce soir-là, les autres gardes de son groupe avaient proposé de fêter le succès de leur mission, c’était donc avec entrain qu’elle les avait suivis jusqu’à une taverne du port. Et puis, eh bien… Il était arrivé ce qui arrive souvent quand on se retrouve dans une taverne pour se détendre après des journées de travail particulièrement intenses : ils avaient mangé – un peu – et bu – beaucoup. Et lorsque, au détour d’une discussion, un membre du régiment d’Al Rakija avait évoqué la présence de criminels qui agiraient de nuit sur les quais du Grand Port, profitant de l’obscurité pour piller les marchandises débarquées des navires, il avait semblé tout naturel à la jeune femme d’affirmer haut et fort – d’une voix légèrement empâtée par l’alcool – qu’elle en débarrasserait la ville avant son retour au Village Perché.
Sauf que.
À présent qu’elle se retrouvait sur les quais en question, seule face à un dédale de rues qu’elle connaissait à peine, et que le petit vent frais qui lui fouettait le visage achevait de la dégriser lentement, elle était en train de se demander ce que diable elle allait bien pouvoir faire.
- Mais dans quoi tu t’es encore embarquée…
Râler à voix haute lui fit du bien, un peu. De même que le poids familier du sabre dans son dos et de l’épée à sa ceinture. Bon, de toute manière, elle ne risquait pas grand-chose – à part de se perdre et d’errer toute la nuit dans le port, à la limite. Mais elle avait déjà connu pire que dormir sous un porche en attendant l’arrivée du petit matin… Après quelques secondes de réflexion, elle finit par se mettre en marche, un peu au hasard, au milieu des bateaux. Rien que le calme clapotement de la mer endormie, le silence glacé de la lune et la masse sombre des navires assoupis. La scène aurait pu avoir un certain charme, mais la jeune garde était très peu portée sur le potentiel romantique des lieux déserts abandonnés au clair de lune, et elle finit rapidement par trouver cette occupation assez ennuyeuse. Bon, puisqu’il n’y avait de toute évidence rien à signaler du côté des bateaux, peut-être valait-il mieux s’éloigner de la mer et se diriger plutôt du côté des entrepôts…
Mais vers les entrepôts, rien non plus – rien, à part les formes imposantes des bâtiments plongés dans l’ombre et les rats qui s’enfuyaient parfois sous ses pieds dans des sifflements rageurs. Peut-être les gardes d’Al Rakija s’étaient-ils moqués d’elle, finalement. Peut-être que toute cette histoire de criminels était une vaste blague et que… Un mouvement, sur sa gauche. Instinctivement, elle se rencogna contre un mur. C’était étrange – pas une réelle silhouette, mais une sorte de brouillard indistinct qui semblait se déplacer. Elle fronça les sourcils, étonnée. Et décida aussitôt de prendre cette direction. La brume était en train de s’engouffrer dans un vaste entrepôt désaffecté et la garde y pénétra à son tour, en veillant à laisser suffisamment de distance entre elles pour ne pas se faire repérer par ce… ce quoi, exactement ? Cette fumée bizarre qui bougeait bizarrement ? Mais une fois dans l’entrepôt, il n’y avait plus ni brume ni brouillard : à la place se dressait une femme à la peau bleue, et au corps transpercé de trois lances.
La Belluaire cligna deux fois des paupières, puis une fois encore. Décidément, elle n’aurait peut-être pas dû boire autant.
Combien de temps s'écoule très exactement? Elle ne saurait réellement le dire, la centenaire reste immobile, surprise, observant cette inconnue de la tête au pied dans un silence presque malaisant avant de secouer doucement la tête pour reprendre ses esprits. Changement drastique de position et de comportement alors : l'ancienne garde de forteresse se met en position de défense, genoux un peu fléchis, arme en main mais pas spécialement aggresive, prête à faire une esquive rapide si besoin ou, au contraire, se jeter tête la première dans la mélée. Après tout, on ne juge pas une personne à son apparence, elle le sait parfaitement, et il serait stupide de se penser intouchable cependant parce que, la jeune demoiselle, semble légèrement plus petite qu'elle... Soudain, les lèvres bleutées de la femme aux cheveux de jais s'ouvrent, laissant passer un son, une voix caverneuse, gutturale, qui se laisse entendre pour former une simple phrase.
"Qui es-tu?"
Une simple question, parfaitement naturelle vu la situation - si on oublie que la personne la posant ne devrait techniquement pas être vivante - mais qui pourrait avoir des conséquences nombreuses et variés : une innocente qui s'est perdue dans les vapeurs du port? Une criminelle venant sur le lieu de son crime? Une amante épleurée à la recherche de son compagnon qui l'aurait abandonné sur les quais après lui avoir promis une escapade sensuelle? Nombreuses sont les possibilités en cette soirée mais chacune possède un dénouement différent : elle peut être une ennemie, une amie ou une simple personne de passage ayant eu la chance - ou malchance après tout une telle vision laisse forcément des marques - de croiser son chemin. Relevant un peu son bras, la justicière laisse clairement voir la point de son arme, brillante malgré le faible éclairage, menaçante, visant à agir comme une mise en garde face à cette inconnue.
"Et plus important encore... Que fais-tu ici?"
Oublier tout réflexe de la plus élémentaire des prudences en entrant dans cet entrepôt, sous le seul prétexte qu’elle était en train de suivre de la fumée et que tout, jusqu’alors, était totalement désert… Certes, la légère ivresse qu’elle ressentait encore expliquait peut-être une partie de sa négligence, mais cela n’excusait ni ne justifiait rien. Et le résultat était là : elle était arrivée dans l’entrepôt sans prendre la moindre précaution pour dissimuler sa présence, et elle se retrouvait à présent nez-à-nez avec une femme armée qui luisait d’une étrange lueur bleutée. Et qui la fixait sans la moindre aménité, le poing refermé sur sa lance. Pas spécialement agressive, mais de toute évidence sur ses gardes, et prête à riposter en cas d’attaque. Menaçante.
Il ne fallut qu’une fraction de seconde à la jeune garde pour adopter à son tour une posture défensive, la main frôlant le pommeau de son épée – du coin de l’œil, elle nota en un éclair les différentes issues de l’entrepôt et les éventuels objets qui pouvaient lui être utiles en cas de combat. La conscience qu’elle avait de son sabre, dans son dos, se fit aussitôt plus aiguë, comme à chaque fois qu’elle s’apprêtait à le dégainer.
Qui es-tu ?
La question de la femme bleue résonna dans l’entrepôt vide avec un aspect caverneux, spectral, qui déconcerta la Belluaire. Sa main se referma sur la garde de son épée – mais elle ne la tira pas de son fourreau. Pas encore.
- Une garde.
L’autre n’avait pas besoin d’en savoir plus sur son identité – et encore moins de connaître son nom.
- On m’a dit que des groupes criminels agissaient par ici… J’suis venue pour le vérifier.
Cette femme à la lance en faisait-elle partie ? Enfin, aux lances, étant donné celles qui dépassaient de sa poitrine… Un bref instant, la Belluaire se demanda si la personne qui lui faisait face n’était tout simplement pas une hallucination provoquée par l’alcool – mais, à ce qu’elle savait, les hallucinations ne parlaient pas. Et puis, elle n’était pas sûre d’avoir assez d’imagination pour inventer une telle créature.
- Et maintenant, j’te retourne ces questions. Qui es-tu, toi ? Qu’est-ce que tu fais là ?
De toute évidence pas pour flâner innocemment ou cueillir des pâquerettes, en tout cas, au vu de son équipement et de son apparence pour le moins… détonante.
- Ces criminels, t’en aurais entendu parler ?
Face à elle, la femme ouvrit la bouche, sans doute prête à lui répondre – mais un bruit sourd retentit alors dans l’entrepôt.
Une garde? C'est ce qu'affirme la demoiselle tout en mettant sa main sur la poignée de sa lame, un geste qui pourrait paraître offensif mais qui, dans ce cas, est de toute évidence plus une prise de position défensives. Les deux femmes font preuves de prudence et la spectre observe l'inconnue en plissant des yeux. Elle cherche du regard un insigne, une preuve d'appartenance au corps militaire, n'importe quoi qui puisse confirmer ses paroles et finalement, vient plonger son regard dans les pupilles de la prétendue garde : est-ce qu'elle détourne les yeux? Est-ce qu'elle semble hésiter? Non, du moins rien ne le laisse croire... Une autre affirmation termine cependant de faire légèrement relâcher sa vigilance à la vigilante : elle serait ici pour enquêter sur des criminels? Pourquoi, si elle faisait partie de l'organisation, en parlerait-elle aussi ouvertement? Ce serait attirer le regard sur tout un groupe sans savoir si son interlocutrice est au courant de leur existence. Un léger soupire, elle espère ne pas le regretter mais elle va la croire.
Cependant, alors qu'elle s'apprête à répondre, un bruit sourd se fait entendre, forçant la centenaire à tourner son regard dans la direction de ce son, lâchant un instant la prétendue garde des yeux... Resserrant sa main sur son arme, la revenante hésite un instant, utiliser son pouvoir maintenant? Ce serait sans doute trop tard autant se préparer à quoi que ce soit. Sortant de l'ombre, deux hommes s'avancent. L'un se gratte la tête en semblant grommeler des excuses alors que l'autre l'invective, lui reprochant d'avoir révéler leur position en faisant tomber une caisse de marchandise.
- Le boss va pas être content! Il avait dit de pas faire de vague et toi tu fais ce bordel alors qu'il y a une garde!
-Désolé...
-Bah, pas grave! Mais va falloir faire le ménage maintenant!
Donc il y avait bien des bandits! Pourtant, la traqueuse est formelle, elle n'a vu aucune trace qui laisse présager d'un passage récent! Il doit donc y avoir un autre chemin pour entrer dans l'entrepôt ou une partie dérobée? Quoi qu'il en soit, voici des adversaires bien plus concret, autant s'assurer que la belle ne se méprennes pas sur les actions de l'ancienne garde.
"Je pense qu'on vient de les trouver... On se débarrasse de ceux-là et ensuite, je promets de répondre à toutes tes questions." Affirme-t-elle avant d'offrir un clin d'oeil à la garde et de se jeter d'un mouvement rapide vers le plus pitoyable des deux bandits : celui qui se confondait en excuses.
- lancé de dés:
- Le bruit a-t-il été provoqué par des humains : résultat : Oui
Qui sont-ils : Résultat : 3-4 : des bandits qui observaient les deux demoiselles.
Sauf que… Il restait le problème de la femme bleue. Avec LA question qui se posait en cet instant précis : qu’allait-elle faire ? S’il se trouvait qu’elle était alliée aux deux autres, ça allait lui compliquer la tâche, sans nul doute… La jeune garde lui glissa un regard en coin, attentive à sa réaction – et sentit ses muscles se détendre légèrement quand celle-ci prit la parole. On se débarrasse de ceux-là. Bon, apparemment, elle était de son côté. C’était de bon augure pour la suite – au même titre que son petit clin d’œil et la férocité avec laquelle elle se jeta sur l’un des deux malfrats. Visiblement, elle pouvait lui faire confiance. À elle de jouer, maintenant.
Le deuxième criminel – le plus autoritaire – la jaugeait du regard, et la jeune femme lui renvoya un coup d’œil de défi. Il était plutôt grand et bien bâti, mais son expression assurée et un brin condescendante la renseigna aussitôt : comme tant d’autres adversaires avant lui, il la sous-estimait. Sans doute soulagé que la femme percée de lances ait engagé le combat avec son partenaire, il n’avait pas l’air de considérer la petite garde svelte et fluette qui lui faisait face comme une menace – un désagrément, tout au plus. Qu’il lui serait facile d’écraser du talon ou du revers de la main. Un mélange de colère et de jubilation anticipée embrasa la Belluaire – et, sans plus attendre, elle s’élança vers lui.
Elle dégaina son épée au moment où son adversaire esquivait son attaque d’un pas sur le côté – du coin de l’œil, elle le vit glisser la main dans son manteau pour en tirer un long couteau, dont elle évita la lame en tournant agilement sur elle-même. Elle para une nouvelle offensive du plat de son arme, avec assez de force pour ébranler celle de l’homme – si elle ne parvint pas à le désarmer, elle distingua en revanche nettement le mélange d’étonnement et d’inquiétude qui assombrit son visage. Le nuage passa, mais l’inquiétude demeura, tout au fond des prunelles. Pendant quelques secondes, ils échangèrent encore quelques passes – et puis, alors que l’homme cédait insensiblement du terrain, l’ouverture se présenta. Une défense hâtive, bâclée, un mouvement un peu trop précipité – la jeune femme en profita aussitôt. Feinter, l’épée pointée en avant – et au dernier moment, changer de pied et dégainer souplement son sabre de la main gauche pour faire voler au loin le couteau de son adversaire, qui ne s’attendait pas à voir surgir une seconde arme. L’instant d’après, le criminel avait perdu de sa superbe et, acculé contre un mur, sentait la lame du sabre de la Belluaire lui caresser la gorge. Caresse qui, à chaque déglutition, se métamorphosait en morsure.
- Bien, maint’nant que le ménage a été fait, comme tu dis, et si on causait un peu ?
La garde lui décocha un sourire carnassier.
- Première question, vous travaillez pour qui ? Deuxième, vous faites quoi, comme genre de trafic ?
- Si tu crois que j’vais te répondre, tu t’fourres le doigt dans…
Une goutte de sang perla le long de son cou, et son grommellement se transforma en borborygme. La Belluaire fit claquer sa langue contre son palais avec agacement.
- J’veux pas te blesser pour rien, mais s’il le faut j’hésit’rai pas. Alors si tu veux pas finir amoché, tu ferais mieux d’parler.
Un mouvement, sur sa droite, lui fit tourner la tête. La femme bleue, qui avait elle aussi mis hors d’état de nuire son adversaire – ce dernier, en bien plus mauvais état que son compagnon, gisait au sol, inconscient –, venait de la rejoindre. La garde la salua d’un signe du menton, assorti d’un léger sourire.
- Si t’as d’autres questions à lui poser, vas-y. Oh et d’ailleurs, troisième… Vous vous cachiez où, tous les deux, quand on est arrivées ici ?
De nouveau, l’homme ne répondit rien, mais son regard le trahit – un bref geste de la tête, une œillade involontaire mais assez appuyée pour que la Belluaire la surprenne. En direction des hauteurs de l’entrepôt.
La frappe suivante gagne en intensité, la lame de la lance vient flirter avec celle de l'épée de l'homme pataud, grattant contre celle-ci dans le bruit caractéristique de deux lames qui s'entrechoquent. Il recule d'un pas et la justicière en profite. Un tour sur elle-même alors que l'homme tente de frapper à son tour lui permet d'esquiver une attaque verticale. Dans le mouvement, elle lance son arme, la lâchant de sa main droite pour la récupérer de la gauche, profitant de sa rotation pour venir planter la pointe de sa vieille amie dans l'épaule du criminel. Un premier cri de douleur, intensifié lorsqu'elle tourne la pointe dans la plaie, suivi du bruit du métal qui tombe au sol. L'homme a lâché son arme! Elle se tourne vers lui, arrachant son arme plantée dans une gerbe de sang et d'un coup rapide du manche de bois, elle vient frapper sa nuque, l'envoyant inconscient au sol. Se penchant sur le corps, un sourire mauvais sur le visage, elle murmure d'une voix lascive bien que caverneuse.
"Tu as beaucoup de chance, je ne veux pas montrer mes mauvais côtés devant la demoiselle..." Léger rictus avant de se relever, de remettre sa lance dans le carquois se trouvant dans son dos et de rejoindre sa compagne d'infortune dans cette enquête qui semble en avoir également terminé avec son adversaire personnel même si, de toute évidence, cela a été plus modéré de leur côté. Première constatation, elle apprécie la manière de faire de sa "collègue". Sans doute une technique qui serait décrier par bien des membres de la garde du royaume mais, on n'a pas de résultat sans se montrer convaincante après tout. A-t-elle d'autres questions? Généralement ses questions se résument à deux : quelle est la cible? Comment l'éliminer? Mais elle ne peut définitivement pas dire cela à la jeune femme qui, par ailleurs, lui sourit le plus sympathiquement du monde, en menaçant un homme de sa lame! Définitivement, cette garde lui plaît!
"L'étage donc..." Affirme-t-elle alors que l'homme écarquille les yeux en tournant la tête vers elle, se blessant un peu plus au passage. "Une seule question avant d'aller voir en haut : je n'ai vu aucune trace de passage! Comment pouvez-vous vous déplacer sans que cela ne laisse de traces? Oh et au fait, je te conseil de répondre à mon amie ici présente!" Affirme-t-elle en passant sans aucune gêne son bras autours des épaules de la garde inconnue. "Elle est bien plus gentille que moi et les règles des vivants s'appliquent à elle alors que moi..." Affirme-t-elle, laissant la fin de sa phrase en suspend en se contentant de désigner son complice gisant au sol derrière elle d'un mouvement du pouce.
Si la jeune femme ne put s’empêcher de couler un regard interrogateur à sa nouvelle coéquipière à la mention des « règles des vivants », sans comprendre ce qu’elle voulait dire par là, elle ne tarda pas à reporter toute son attention sur l’homme qui était toujours tenu en respect par la pointe de son sabre. Elle poserait des questions à sa collègue d’un soir plus tard. Pour le moment, seules les réponses du criminel l’intéressaient.
- Suffit peut-être de les maquiller, ces traces… Ou de les faire passer pour autre chose que ce qu’elles sont réellement…
Cette fois, la garde ne retint pas le soupir franchement agacé qui s’échappa de ses lèvres. Il était mignon, avec ses devinettes, mais elle n’avait pas le temps de jouer aux rébus.
- Bordel, t’es entouré de deux personnes armées et dangereuses qui te disent de t’dépêcher de dire c’que t’as à dire, et toi tu nous composes des énigmes ? Tu t’crois où, dans un concours de charades ? Parle clairement, bon sang !
Bon. Pour le rôle de la gentille garde, c’était raté. Mais ce fut, contre toute attente, plutôt efficace.
- Les échafaudages, finit par maugréer l’homme avec une mauvaise grâce évidente. C’est pas des vestiges d’anciens travaux inachevés, comme on peut le croire en entrant dans l’entrepôt, mais notre manière de monter.
Ah ben voilà, avec un peu de bonne volonté… La Belluaire le lâcha brièvement du regard pour chercher des yeux les échafaudages en question. Tout au fond de l’entrepôt, rendus difficiles d’accès par une masse de vieux objets encombrants et hétéroclites, ils permettaient effectivement de grimper jusqu’à l’étage… à condition d’avoir en réserve un minimum d’adresse et d’agilité. Ce qui, par chance, était le cas de la jeune femme. Depuis toute petite, elle avait toujours adoré escalader – et son enfance au Village Perché n’était évidemment pas étrangère à la situation.
Si elle s’était écoutée, elle aurait laissé son acolyte terminer l’interrogatoire pour partir aussitôt à l’assaut des échafaudages, mais la discipline de la Garde – et quelques sermons qu’elle avait déjà essuyés de la part de ses supérieurs dans de semblables circonstances – la retint sur place.
- Bien. Il reste donc mes deux premières questions.
L’homme se mordit les lèvres, la fusilla du regard mais, sous la double pression de sa lame et du visage impitoyable de la femme bleue, dut finalement rendre les armes.
- Contrebande, laissa-t-il échapper d’une voix rauque. On détourne des caisses de marchandises des bateaux qui arrivent au port, ce genre de trucs. Les Côtiers. C’est comme ça que s’appelle le groupe. Mais m’en demandez pas plus sur la hiérarchie et tout le reste. Mon seul travail – ‘fin, avec l’autre imbécile, là, se reprit-il en désignant le corps inanimé de son complice, c’est d’intercepter les caisses, c’est tout. J’ai jamais eu affaire aux chefs, j’les ai jamais vus… Là-dessus, je peux rien vous dire.
Devaient-elles le croire ? La jeune femme échangea un regard avec sa coéquipière.
- Qu’est-ce qu’on en fait ?
Il n’avait pas l’air de jouer la comédie, mais elle n’avait jamais été très douée pour être certaine de ce genre de choses. Et puis, en cet instant, ce dont elle avait surtout envie, c’était de grimper enfin en haut de cet échafaudage.
Étrangement pourtant, il ne semble pas si inquiet que cela, se permettant même de répondre sous forme d'énigmes, jugeant visiblement que les deux demoiselles lui faisant face ne sont pas specialement inquiétantes? Pourtant, l'une l'a vaincue et l'autre a l'habitude que son apparence provoque de reactions de terreur mais pas une telle provocation... Il est sans doute temps de se montrer plus insistante? Cependant, alors qu'elle s'appréte à se montrer plus menaçante encore, voici qu'un soupire lui fait tourner légèrement la tête. Un léger sourire s'affiche sur les lèvres de la revenante. C'est un fait, la jeune garde n'a pas sa langue dans la poche, plus encore, son tempérament apparemment "explosif" est des plus rafraîchissant. Ce n'est pas spécialement habituel...
Le criminel se met finalement à table : les échafaudages? Réellement? Un regard vers le haut la pousse à froncer légèrement les sourcils. Cet homme est-il véritablement assez agile pour une telle prouesse physique? Sans doute ne faut-il pas juger sur les apparences? Une remarque qu'elle devrait sans doute mettre en pratique vu sa propre apparence? Quoi qu'il en soit, lui et son compagnon ne sont, paraît-il, ignorants de leur employeur. Rien de plus à ce niveau donc. Et soudain une question : que font-elles? Cela à un côté marrant de se dire que la demoiselle demande l'avis de la justicière sur ce point mais elle ne se fait pas prier. D'un mouvement, elle écarte doucement sa partenaire et se retrouvant face à face avec l'homme, elle lui décroche un puissant coup de poing dans la mâchoire, l'envoyant dans le royaume des songes.
"Ah ça soulage! Il était agaçant au final et au moins, pas besoin de le surveiller maintenant!" Un nouveau clin d'oeil alors qu'elle tourne le dos à l'autre jeune femme pour faire quelques pas en direction des échafaudages. "Plus haut donc... Bon, certes cette histoire concerne la garde visiblement vu ta présence mais je suppose qu'un petit coup de main ne te derangera pas? Après tout, je suis une ancienne de la maison d'une certaine manière..." Affirme-t-elle en faisant volte-face, sa crinière corbeau virevoltant dans son dos alors que son regard spectrale se pose sur le visage de sa compagne. "J'étais garde de la forteresses il y a... quelques années dirons-nous. Bref... je t'offre mon aide ma mignonne! Tu peux m'appeler Lacey d'ailleurs et toi? C'est quoi ton petit nom? Puisqu'on sait que nous ne sommes pas ennemies, je suppose qu'on peut se présenter?" Demande-t-elle en refaisant la route la séparant de la jeune garde pour venir se planter devant elle.
- Agaçant, c’est le mot ! acquiesça-t-elle sur un ton mi-complice mi-irrité.
À la question de la femme bleue, la garde se passa la main dans les cheveux – geste instinctif qu’elle avait l’habitude de faire lorsqu’elle réfléchissait, et qui avait pour résultat d’ébouriffer encore davantage sa courte tignasse blanche.
- J’vois pas d’inconvénient à c’qu’on fasse équipe, non, au contraire ! On a l’air d’avoir le même objectif, après tout…
Une « ancienne de la maison » ? La jeune femme soupesa un instant cette information – une ancienne garde de la forteresse, donc… Qui avait décidé de quitter le Blizzard, apparemment ? Mais qui continuait malgré tout à jouer les justicières ? Intriguant. Puis sa partenaire lui donna son nom, et la garde haussa un sourcil :
- Lacey ? Ça a un rapport avec les lances qui… euh…
Ah ça, bien joué, ma fille. Bravo la subtilité. Voilà ce qui se passait, quand on parlait sans réfléchir – ou plutôt, quand sa langue était plus rapide que son cerveau…
- Désolée, oublie c’que j’ai dit, c’était stupide. Moi c’est Caheera.
En un geste un peu formel, elle fit un pas en avant pour tendre la main à la femme. Réflexe de garde protocolaire – adouci cependant par un franc sourire.
- T’étais donc à la forteresse, avant ? Mais t’as décidé de partir ?
Tout en discutant, elles avaient commencé à se diriger vers les échafaudages, d’un accord tacite et silencieux. Sans cesser d’écouter son acolyte, la Belluaire détaillait d’un regard scrutateur les immenses structures métalliques qui se dressaient face à elles – plus impressionnantes que réellement difficiles à escalader, toutefois. Des systèmes de poulies et de montes-charges agrémentaient le tout, et expliquaient sans doute comment les Côtiers réussissaient à transporter jusqu’en haut les caisses de marchandises qu’ils rapportaient du port.
- Et tu fais quoi, du coup, maint’nant ? Tu continues quand même à… traquer les criminels ? Parc’que si j’ai bien compris, c’est pour ça qu’t’es là, toi aussi ?
Elles étaient à présent arrivées au pied des échafaudages – et, alors que la jeune femme s’apprêtait à se saisir d’un échelon pour se hisser sur la première plateforme, une question qu’elle s’était posée un peu plus tôt lui traversa l’esprit :
- Puis, aussi… Si c’est pas indiscret… Tu voulais dire quoi, tout à l’heure, en parlant des lois des vivants ou de je sais plus trop quoi ? Est-ce que ça a un rapport avec ton… apparence ?
La garde avait un peu hésité avant d’interroger sa partenaire à ce sujet – mais si elles devaient faire équipe, toutes les deux, elle ne pouvait pas se permettre de laisser de tels questionnements en suspens.
Une question, du moins un début de question qui s'arrête bien vite lorsque la garde se rend compte de ce que cela peut impliquer. La justicière observe la demoiselle de son regard spectral et, contre toute attente, laisse échapper un petit rire, rauque, caverneux, étrange d'une certaine manière alors qu'il provient du corps d'une dame. Pas réellement outragée par le questionnement de sa "nouvelle amie' bien au contraire, elle secoue doucement la tête avant de répondre aussi simplement que si elle parlait du temps qu'il fait actuellement en dehors de cet entrepôt dans lequel elles se déplacent sur un même rythme. "Ce n'est que le nom que mon père m'a donné à la naissance. Aucun rapport donc avec ceci." Confirme-t-elle en désignant d'un mouvement de la main les trois têtes de métal rattachés à des bouts de bois qui transperce son corps. "Ces "ornements" ne sont apparus que bien après." Affirme-t-elle avant d'hausser les épaules. Après tout, pourquoi le cacher? Elle suppose que certaines choses sont évidentes comme son état même si, d'un certain point de vue, certains s'entêtent à refuser la réalité qu'une cadavre marche parmi eux... Et puis, n'a-t-elle pas donné sa parole de répondre à "toutes" ses questions - dans la mesure du possible bien-entendu - précédemment?
Sa partenaire se présente également, la belle n'est donc plus une soldate inconnue et voici que la revenante possède un nom à mettre sur son visage. C'est étrange de se dire que les présentations se soient faites si simplement, il faut croire qu'en dehors des montagnes, son propre nom est encore un mystère? Si son interlocutrice avait fait partie de la forteresse, nul doute que cet échange aurait été plus compliqué. Une chance donc, peut-être la déesse s'est-elle penchée un instant sur la justicière pour lui offrir son œil bienveillant? En tous les cas, tout en écoutant les question de son équipière d'une soirée, la spectre observe les alentours. Monter à ces échafaudages n'aura rien de bien compliqué, c'est tout un système qui a été mit en place par des criminels qui rivalisent d'ingéniosité il faut bien leur laisser cela! Seront-ils prêts pour l'arrivée de deux "gardes", cela est une autre question et d'ailleurs...
"Disons plutôt que j'ai été forcée de partir? Cependant, une vocation ne se perd pas ainsi tu ne crois pas? Je ne peux plus être garde mais cela ne veut pas dire que je désire voir ce royaume tomber aux mains de la criminalité! J'ai juste trouvé un autre moyen de continuer le combat..." Explique-t-elle restant pour le coup évasive quant aux détails de l'affaire ou également sa manière d'agir à présent. Répondre aux questions oui, mais toutes les vérités ne sont pas forcément bonnes à dire. Elle s'apprête à suivre sa partenaire lorsque celle-ci fait volte-face avec une interrogation qui fait arquer un sourcil à la revenante... N'était-ce pas évident? Pourtant, plutôt que de s'en offusquer - notamment concernant la fin de la question - elle préfère s'en amuser, voir même adopter un côté "joueur" comme pour désamorcer une situation qui pourrait subvenir.
"Mon apparence? J'espère que c'est une manière très maladroite de me dire que je suis charmante et de me faire des avances... Si c'est le cas... Qui sait?" Demande-t-elle avec un sourire en coin avant de passer à coté de sa partenaire, la frôlant de son épaule, pour saisir d'une main l'une des barres de l'échafaudage et se hisser avec une agilité toute féline, décidant visiblement d'escalader par la structure même plutôt que par l'échelle prévu à cet effet. Observant son équipière, elle continue cependant sa réponse, ne prenant pas spécialement de pincette pour affirmer l'évidence même. "Je suis morte! J'ai été assassinée dans l'exercice de mes fonctions et ces lances qui transpercent mon corps et qui m'ont ôté la vie sont également la raison de mon existence actuelle... Le pouvoir d'un homme mort depuis longtemps et qui me maintient "en vie" les parcourt... Ce qui explique effectivement la peau bleu, le regard presque luisant, le toucher froid et mon charme exotique absolument indéniable!" Conclue-t-elle en laissant passer un léger rictus alors qu'elle termine son ascension, se hissant d'un dernier mouvement au second étage de l'entrepôt. Pour l'heure tout est calme bien que des voix étouffées se fassent entendre au loin. "D'autres questions te viennent à l'esprit avant que l'on ne joue les troubles fête? Pour les plus personnelles je conseil de m'offrir un verre avant cependant!" Rajoute-t-elle en accompagnant ses paroles d'un clin d'œil, plaisantant ou non seule elle le sait, avant de venir se saisir de son arme. Mieux vaut se tenir préparer après tout, elles ignorent combien d'hommes elles devront affronter...
Mais, par chance, sa coéquipière de la soirée semblait maîtriser à merveille l’autodérision. Ce qui recelait au moins deux avantages : d’une part, cela lui évita de se vexer des propos de la garde, et d’autre part, elle n’en monta que davantage dans l’estime de la Belluaire. Cette femme était décidément déroutante, mais plus le temps passait, plus elle l’appréciait.
Après avoir laissé échapper un bref éclat de rire, son acolyte s’efforça de répondre à ses questions, et la jeune garde se contenta d’écouter en hochant la tête. Continuer le combat même à l’extérieur de la forteresse… Pourquoi pas ? Elle demeurait évasive sur les raisons de son départ, mais elle paraissait sincère en affirmant son désir de lutter contre la criminalité… Et ses actions de la soirée en témoignaient. Puis vint la dernière interrogation… À laquelle la femme bleue répondit lentement, au fil de leur ascension de l’échafaudage. Un ton amusé, qui tranchait cependant avec les paroles qui résonnèrent dans l’entrepôt. Heureusement que la Belluaire était occupée à grimper, concentrée sur ses prises et la structure métallique qu’elle escaladait souplement, car si elles avaient été à terre elle n’aurait sans doute pu s’empêcher de dévisager sa partenaire avec des yeux aussi ronds que des billes. Et encore moins de discrétion qu’un peu plus tôt.
Donc. Récapitulons.
La femme qui montait à ses côtés, avec tout autant d’agilité qu’elle-même, avait été assassinée des années plus tôt. Et ramenée à la vie. Ce qui faisait d’elle une… une quoi, exactement ? Un cadavre ? Un fantôme ? Une morte-vivante ? La Belluaire en avait déjà vu, des choses étranges, dans sa vie de garde, mais faire équipe avec une revenante, elle devait avouer que c’était la première fois.
Mais bon, cela avait au moins le mérite d’élucider le mystère des trois lances, effectivement. Et d’un paquet d’autres choses.
- J’avoue qu’la peau bleue, ça apporte une touche d’originalité des plus charmantes, plaisanta-t-elle, en réaction au sourire en coin de sa coéquipière.
Puisque cette dernière prenait le parti d’en rire, autant faire de même, non ? Et puis, cette situation était si déconcertante qu’elle en devenait presque amusante, finalement. D’une bizarrerie… cocasse.
- Mais du coup, est-ce que ça veut dire que tu n’peux plus mourir, maint’nant ? interrogea-t-elle spontanément, comme la question venait de lui traverser l’esprit. Ce serait pratique !
Ce faisant, elles s’étaient hissées jusqu’à l’étage et détaillaient les lieux d’un œil vigilant, prêtes à réagir à la moindre alerte.
- Écoute, j’te promets que si on s’en sort bien tout à l’heure, j’te paie un verre pour fêter ça ! assura la jeune femme, en réponse au clin d’œil de sa partenaire.
Bon, trêve de bavardages, maintenant. C’est qu’elles avaient des criminels à arrêter, tout de même. Tendant l’oreille, la Belluaire demeura silencieuse pendant quelques secondes, essayant d’identifier de quelle direction provenaient les rumeurs étouffées qui leur parvenaient.
- Ils sont sur notre droite, apparemment…
À présent qu’elles surplombaient l’entrepôt, elles avaient une vue privilégie sur l’immense salle qui s’étendait sous leurs pieds et l’étage qui se profilait devant elles. L’esplanade où elles se tenaient se muait en couloir, un peu plus loin, et quelques portes entrebâillées pouvaient se distinguer dans la pénombre. C’était de là que venaient les voix.
- J’te laisse l’honneur d’ouvrir la marche, si tu veux ? Je couvre tes arrières, proposa la jeune garde, le regard résolu et la main fermement posée sur le pommeau de son épée.
"Je ne suis pas immortelle non... Ces lances m'ont offertes une seconde vie il est vrai mais elle n'est pas éternelle et puis..." Un instant d'hésitation, comme si elle n'était pas certaine de devoir révéler l'information suivante. Un léger soupire, elle a donnée sa parole après tout. "Ma vie est liée à ces armes... Si quelqu'un venait à les arracher de mon corps, non seulement ce serait d'une douleur sans nom, mais ma vie s'échapperait avec chacune d'elle..." Révèle-t-elle finalement avant de poursuivre l'ascension en silence.
Une plaisanterie, un clin d'oeil et cette fois, sans réellement pouvoir se concentrer sur l'escalade, elle a difficilement du mal à cacher sa surprise lorsque cette-dernière lui répond : lui offrir un verre pour fêter ça? Cela peut sembler n'être qu'une phrase prononcée ainsi, une simple réponse au petit jeu de "séduction" faussement installée par la justicière pour rendre la situation moins malaisante - non pas que la jeune garde ne pourrait pas intéresser la revenante! D'un point de vue purement factuel, il est vrai qu'elle a toutes les qualités physique pour intéresser la bleutée cependant, elle reste une inconnue et de toute manière, mort et vivant sont deux états incompatibles - cependant, il y a une chose, une parole qui fait plisser les yeux de la spectre : "J'te promet"! Une parole qu'on engage, un "serment", ce n'est peut-être rien mais pour une personne comme la brumeuse, une femme qui a été trahie par l'homme censé la soutenir en permanence, une promesse n'est pas quelque chose que l'on fait à la légère. Elle sourit doucement, plongeant son regard dans celui de la demoiselle.
"Voilà qui me motive plus encore à arrêter ces criminels... Comptes sur moi pour te rappeler cette promesse!" Conclue-t-elle en se détournant enfin pour ouvrir la voie comme demandé par sa partenaire du soir. Silencieuse, la revenante s'avance, arme en main, prenant soin de ne pas faire craquer le bois sous ses pieds. Rien n'est visible sous elle, pas immédiatement du moins. L'entrepôt en lui-même est totalement désert, si elle n'avait pas interrogé cet homme, nul doute qu'elle serait partie sans même chercher l'étage! Une grave erreur qui lui fait remettre en question ses méthodes parfois trop terre à terre apparemment. La première porte sur la droite, elle observe l'intérieur : quelques caisses, quelques objets placés ça et là mais les voix ne viennent pas de là. Seconde porte et les paroles sont plus aisément audibles : une histoire de trafic, une affirmation également : son contact dans la garde? Encore une histoire de corrompu donc? Elle regarde par l'entrebâillement et fait signe à sa partenaire : Trois? Non, peut-être plus! Elle voit deux hommes mais distingue bien deux voix différentes quand les deux qu'elle voit ne bougent pas les lèvres... Fermant les yeux, elle prend une grande inspiration et voici que le brouillard se lève : générer directement par son propre corps, une épaisse fumée ponctuelle fait son apparition avant de se déplacer, se rependant dans le couloir, entrant dans la pièces petit à petit quand une voix se fait entendre.
"Qu'est-ce que...ARG"
Un cri de douleur alors que la porte s'ouvre d'un coup et que la lance part des mains de la revenante, venant se planter dans l'épaule de l'homme, l'envoyant au sol dans ce cri. L'affrontement est lancé!
La Belluaire fronça les sourcils, mais à cet instant une épaisse fumée cendrée s’éleva autour du corps de sa nouvelle collègue. Un brouillard en tout point semblable à celui qu’elle avait suivi jusque dans l’entrepôt… Ainsi donc, c’était la revenante qui avait le pouvoir de convoquer cette étrange brume – bien pratique pour se dissimuler aux yeux des adversaires, effectivement… La jeune femme comprit ce que cela signifiait une fraction de seconde avant que son acolyte n’ouvre d’un violent coup d’épaule la porte entrebâillée : elles passaient à l’attaque. Maintenant.
Profitant de l’effet de surprise, elles n’eurent aucun mal à se débarrasser des deux premiers hommes – la femme bleue en en transperçant un avec sa lance, la garde en en assommant un autre du plat de sa lame. Égarés par le brouillard qui s’était répandu dans la pièce, les deux hommes qu’elles n’avaient pas encore affrontés jetaient autour d’eux des regards stupéfaits et effrayés, apparemment indécis quant à la manière de réagir à cette intrusion. Si l’un d’entre eux, armé, essayait de faire preuve d’un minimum de sang-froid, son compagnon s’élança soudain en avant – son objectif était clair : prendre la fuite. La Belluaire se précipita dans sa direction une infime seconde trop tard : se fondant à son tour dans le brouillard, il parvint à rejoindre la porte et à se faufiler dans le couloir avant qu’elle n’ait pu l’atteindre. Sans hésiter, la jeune femme se lança à sa poursuite – si elles voulaient réussir à surprendre le reste du groupe, il fallait absolument éviter qu’il ne donne l’alarme.
- ALERT…
Il courait vite, mais elle était plus rapide. Et plus agile. D’un bond, elle fut sur lui, et tous les deux tombèrent au sol dans un roulé-boulé qui aurait sans doute été cocasse à regarder. Elle fut la première à sauter de nouveau sur ses pieds, et lui balafra la cuisse d’un coup d’épée assez profond pour lui ôter le goût de se remettre à courir. Autant le clouer au sol une bonne fois pour toutes.
- J’te déconseille de crier si tu veux pas que…
- Mais qu’est-ce qui se passe, ici ?
Et merde.
La garde fit volte-face, en position défensive, tous les muscles tendus – prête à tirer son sabre ou à se jeter en avant. Face à elle, une grande femme à la mine patibulaire, entourée par un barbu au crâne rasé et…
Un poids s’écrasa dans son estomac lorsqu’elle découvrit l’homme qui se tenait à sa gauche. Jeune, la peau sombre, les cheveux noirs et frisés. Avec, au fond des yeux, une stupeur qui devait sans doute constituer un miroir fidèle à celle qu’elle-même ressentait en cet instant précis.
Lui ?
- Toi ?
Sous le choc, c’est tout ce qu’elle réussit à dire.
Heureusement, cela n'a rien de particulièrement compliqué dans cette situation : l'avantage de son pouvoir c'est qu'elle peut agir dans la brume comme en plein jour, une force que ne possède pas son adversaire actuel. Alors qu'il semble chercher son chemin, avançant à tâtons son arme en main, la guerrière peut suivre sans aucune difficulté chacun de ses mouvements, elle pourrait sans aucun doute s'en amuser, cependant elle n'a pas le temps pour cela! Avec agilité et discrétion, elle se déplace, glissant telle une ombre dans le dos de ce personnage, cette fois au moins la garde n'est pas là pour assister à la scène... Elle pourrait l'éliminer, lui tordre le cou, finir son attaque d'un mouvement unique! Ses bras viennent passer autours du cou de l'homme, l'enserrant avec une force étonnante vu son gabarie, elle pourrait sans doute le tuer avec facilité mais... Même si l'envie la démange, cela pourrait poser problème à sa nouvelle amie... Elle se contente de serrer jusqu'à ce que sa victime arrête de se débattre, le souffle coupé, évanoui! Il aura la chance de vivre, pour l'instant...
Pas une seconde à perdre, il faut maintenant retrouver la belle garde! Elle n'a pas du partir bien loin. Un passage rapide par sa première victime encore au sol pour s'assurer de son inconscience après avoir reprit sa lance, la lame sanglante, qui était plantée dans son épaule et elle quitte la pièce pour partir sur les traces du trouillard et de sa poursuivante. Comme prévu, les rejoindre n'a rien de compliqué malheureusement, ils ne sont pas seuls : deux hommes, une femme, sans doute ceux responsables de cette situation mais, alors que cela semble s'approcher du dénouement de cette affaire, le regard du plus jeune des deux hommes semble annonciateur d'un nouveau problème, plus encore lorsque la demoiselle ne prononce finalement qu'un unique mot : toi... Ils se connaissent! Le barbu s'apprête à faire un pas lorsqu'une lance vient se planter juste devant son pied, s'ancrant dans le plancher comme une menace silencieuse alors que la voix rocailleuse s'élève en même temps que la revenante ne fasse son entrée en scène.
"Un pas de plus vers mon amie et la mort semblera une douce délivrance!" Affirme-t-elle, cinglante, brutale, énervée? Sa compagne dans cette affaire connaît l'un des hommes! Elle est surprise de le voir ici, au point de ne plus agir face à trois opposants... Cela lui rappel de mauvais souvenirs, la trahison d'un homme, la morsure de l'acier dans sa chaire, les lances dans son corps lui semblent lourdes, douloureuses, brûlantes alors qu'elle se poste aux côtés de la demoiselle, légèrement plus avancée que cette-dernière, comme un bouclier protégeant la garde. "Caheera? Est-ce que ça va?"
Face à elle, la jeune garde vit le visage de la femme se fermer encore davantage tandis que ses yeux se réduisaient à deux fentes glacées – une expression nullement effrayée mais brutale, implacable. Dangereuse. Il leur faudrait s’en méfier, c’était une évidence. Ce n’était cependant pas elle qui retenait l’attention de la Belluaire, mais le jeune homme – toujours immobile à ses côtés. Il avait finalement réussi à surmonter sa surprise, mais la mimique gênée qui déformait ses lèvres témoignait d’une nervosité palpable. Puis l’interrogation préoccupée de la femme bleue brisa le silence embarrassé qui menaçait de s’installer, et la garde hésita quelques instants sur la formulation à adopter.
- Je… Ça va, oui. T’en fais pas pour moi. C’est juste que…
- Je suppose qu’on a affaire ici à une petite connaissance, Ezekiel ? Peut-être même une connaissance de la Garde, si j’en juge par la… manière de procéder de ces deux intruses ?
Le ton de la femme était d’une ironie glaciale, et mordante. Le regard du jeune homme se fit fuyant, et il hésita une poignée de secondes avant de se résoudre à lui répondre.
- Ça faisait longtemps qu’on s’était pas vus, mais dans la Civile…
Sa voix, bien qu’étouffée par ce qui ressemblait à un mélange de peur et de honte, était restée la même. Une bouffée de colère embrasa la poitrine de la Belluaire, qui l’interrompit d’un ton sec :
- T’avise pas de révéler sur moi quoi qu’ce soit que tu pourrais regretter.
Hors de question de donner des informations supplémentaires à leurs adversaires – savoir qu’ils s’étaient rencontrés à l’époque où elle faisait encore partie de la Garde Civile était déjà une indication de trop.
À ses côtés, elle sentit sa coéquipière s’agiter, et elle se rappela soudain qu’elle n’avait que partiellement répondu à sa question. Autant la mettre en courant, histoire qu’elle sache définitivement à quoi s’en tenir.
- Ezekiel… est dans la Garde. Ou était, en tout cas. Ce qui en fait… un traître ? Un espion ? Un vendu ? Quel est l’bon qualificatif, Ez’ ?
Sa voix et son regard s’étaient durcis.
Peu importaient les souvenirs. Peu importait qu’elle et lui se soient si bien entendu alors qu’ils travaillaient tous les deux dans la Civile, qu’ils aient échangé tellement de rires, de discussions et de bons moments. Peu importait que durant les derniers mois qu’elle avait passé dans la Garde Civile ils aient même eu une relation un peu plus qu’amicale, et qu’ils aient à la fois partagé des missions et des nuits. Elle l’appréciait sincèrement, mais l’attachement qu’elle éprouvait pour lui n’avait pas été assez profond pour qu’elle souffre réellement de leur séparation. Le temps et la distance avaient fait leur œuvre et, pour tout dire, cela faisait un bon moment qu’elle n’avait pas repensé à lui.
Mais tout de même.
Ils se connaissaient, ils avaient eu de l’affection l’un pour l’autre – et une trahison restait une trahison. Surtout pour la Belluaire. Elle avait toujours eu horreur de la duplicité.
Le regard de la spectre se fixe sur ce garde, cet ancien membre de la maison, ce traître qui a vendu son honneur contre quelques poignées de cristaux cela ne fait pas vraiment de doute. Elle se moque de la femme ou du chauve, elle se moque de sa lance encore plantée dans le bois de l'entrepôt, elle se moque de ce qu'il adviendra car elle n'a plus qu'une idée en tête : empêcher que sa collègue d'un soir puisse subir ce qu'elle a subit car elle le sait : si des sentiments ont existés alors, le risque qu'elle retienne sa lame n'est pas de zéro! Ne jamais tuer devant un membre de la garde, éviter les vagues, agir avec discrétion et calme... Des principes essentiels à sa survie! Des principes qui viennent de voler en éclat alors que la spectre vient de trouver en cet homme qui lui est pourtant un connu, un point commun avec son ancien amant : il est trop dangereux pour son amie pour rester en vie! Cependant, alors que la discussion se poursuit, le chauve décide de passer à l'offensive! Après tout, ce ne sont que deux femmes face à lui et même si l'une semble étrange avec ses lances sortant de son corps, elle n'est plus armée puisque son arme de jet est plantée devant lui! Un pas, suivi d'un second, discret au départ puis, il bondit son arme sortie, il frappe verticalement tentant de blesser voir de tuer... Le bruit caractéristique de deux lames qui s'entrechoquent se fait alors entendre dans l'entrepôt
"Dégage de mon chemin!" Clame-t-elle alors que d'un mouvement, elle tourne sur elle-même, son arme venant se planter derrière l'épaule de l'homme, se plantant dans celle-ci et déchirant sa chaire alors qu'elle sort sans ménagement du bras de cet individu. Certes, la revenante aime sa lance, c'est son arme de prédilection mais, a-t-elle un jour dit que c'était la seule? Elle s'est saisit rapidement des deux dagues courbes attachées à sa ceinture, leur forme rappelant des crochet ou des serres de rapaces par leur arrondie permettant d'aisément déchirer la chair avec violence, arrachant les tissus plus qu'elle ne les découpe. Un hurlement de douleur qui s'arrête rapidement quand elle vient frapper de sa paume dans le plexus de l'homme, lui coupant le souffle avec violence, se moquant bien de le mettre inconscient ou de le laisser mort. Elle contrôle généralement sa colère mais cette fois... Non, les mauvais souvenirs sont bien trop nombreux! Faisant tourner ses lames entre ses mains, son regard dévie de sa victime pour se poser sur la garde légèrement en retrait derrière elle.
"Désolée, je crains qu'après ce qu'il va se passer ici, notre verre ne soit annulé..." Dit-elle avec un sourire sincèrement désolée sur le visage. Après tout, ce n'est pas pour rien que certains gardes la considère elle-même comme une criminelle! Elle aurait aimé que la jeune femme ne soit pas témoin d'un tel spectacle mais il est évident, vu sa première attaque, que cela est déjà trop tard... Cependant, aura-t-elle seulement l'occasion d'approcher l'ancien garde? Peut-être pas, la femme qui n'a toujours pas bougé garde ce sourire détestable sur le visage, comme si elle ne craignait rien des deux demoiselles lui faisant face...
Mais étaient-ce aussi les intentions de sa coéquipière ? Ou désirait-elle seulement en exterminer un maximum possible ? Et si c’était le cas… La Belluaire savait qu’elle ne pourrait pas le lui permettre. Sans compter que la présence de son ancien ami – amant – dans tout ce foutoir… eh bien, ça n’arrangeait rien à la situation. Au contraire.
Comme en écho aux pensées qui se heurtaient dans son cerveau, son acolyte lui glissa une phrase qui aurait pu passer pour un nouveau trait d’humour mais qui, au vu de son ton désolé, sonna plutôt comme une excuse. Ou un avertissement.
- Oh mais je vous en prie, il ne faudrait pas que notre rencontre fortuite ne vous empêche de passer une belle soirée… Si vous le souhaitez, nous vous raccompagnerons vers la sortie avec plaisir…
La femme, face à elles. Toujours ce sarcasme glaçant, au fond de la voix. Et cette assurance inextinguible, dans le regard. Sur le visage.
- Ma collègue vient de lacérer un d’vos hommes en quat' secondes et vous vous sentez en position d’plaisanter ?
Elle n’avait pu taire l’énervement qui montait en elle, et qui transparaissait clairement dans le ton de sa voix – d’un coup, tout s’emballait, son ex, le barbu mis en pièces par sa partenaire, le risque que cette dernière ne tente de réitérer la pratique… Ce qui, évidemment, n’échappa pas à son interlocutrice. Qui se contenta d’esquisser un sourire féroce. Et encore plus irritant pour la Belluaire.
- Décidément, vous me semblez être une jeune fille bien impatiente… Mais puisque vous paraissez si sûre de vous, qu’attendez-vous pour venir à nous ?
La jeune femme se mordit la lèvre – elle savait pertinemment que c’était une provocation, mais tant pis. Si elle ne réagissait pas, elle sentait que l’agacement finirait par la submerger… D’un geste fluide, elle posa la main sur la garde de son sabre, dans son dos, leva le pied pour faire un pas en avant… Enfin, essaya de lever le pied. Car d’épais tentacules sombres avaient jailli du sol pour s’enrouler autour de ses jambes et de celles de sa coéquipière, les immobilisant solidement. Qu’est-ce que…
Elle jeta un coup d’œil incrédule en direction de la criminelle et du garde qui leur faisaient face, et eut le temps de capter le regard alerté de son ancien compagnon juste avant que les tentacules ne resserrent leur prise autour de ses chevilles et ne commencent à monter à l’assaut de ses genoux. Devant elles, la femme souriait toujours. C’était donc elle.
La Belluaire serra les dents.
Putain de pouvoir.
Elle a fait preuve d'un manque de jugement sur ce coup c'est une certitude, elle aurait dû calmer sa colère envers l'ancien garde et s'occuper de la plus grande menace : toujours éliminer le chef en premier, une fois la tête coupée le reste n'est que détail! Elle le sait pourtant. De plus, elle n'a plus sa lance, plantée au sol, si proche et pourtant si loin! Cela aurait pourtant été parfait pour éliminer cette menace rapidement, aucun doute que si elle l'empalait sur son arme, son pouvoir s'estomperait rapidement... Les tentacules montent rapidement, cependant elle n'est pas du genre à attendre en silence que la fin vienne la chercher! Elle a survécu une fois à la mort, ce n'est pas pour périr dans cet entrepôt malodorant au main d'une petite criminelle n'ayant même pas de nom! Faisant tourner ses lames dans ses mains, elle s'attaque à ces deux appendices qui l'assaillent, frappant l'ombre, tentant de les trancher, les déchirer mais cela semble inutile. Elle parvient bel et bien à trancher mais ces saletés repousses aussi vite, tel la tête d'une hydre qui ne peut se faire éliminer de la sorte. Il faut trouver une solution mais laquelle? Lancer sa dague dans cette situation n'aurait aucune chance de toucher, ce serait le meilleur moyen de perdre son arme mais elle ne peut pas attendre trop, bientôt ses bras seront également immobilisés vu la vitesse de progression des tentacules... À moins qu'elle ne puisse profiter d'être camouflée mais elle a déjà trop utilisé son pouvoir... Et après? De toute manière si les tentacules atteignent sa poitrine, pas sûr que les lances restent en place et donc, elle risque de mourir! Autant se mettre hors de combat mais offrir une chance à sa partenaire non?
"Je peux t'offrir une fenêtre de tir... Fais-moi juste le plaisir de pas m'abandonner ici si je m'écroule d'accord?"
Léger sourire, pas du tout sûre d'elle mais qu'importe? La brume, une nouvelle fois, s'élève. Elle ne perd pas de temps, une fois camouflée elle lance sa dague sans hésitation, pas besoin de tuer, juste de blesser! Une cri de surprise, de douleur également, la lame se plantant dans l'épaule de celle qui se croyait intouchable. Ce n'est pas grand chose mais c'est suffisant pour qu'elle sente la force retenant ses jambes se desserrer. Assez pour que la jeune garde puisse se libérer et mettre un terme à cette affaire alors qu'elle maintient autant que possible son pouvoir bien que l'effet secondaire commence à se faire sentir : elle ne va pas tarder à suffoquer...
La jeune femme n’eut pas le temps de s’interroger sur ce que sa comparse voulait dire : une fraction de seconde plus tard, la brume qu’elle avait déjà invoquée un peu plus tôt s’élevait de nouveau, aussitôt suivie d’un cri de douleur et de surprise. Les tentacules, qui emprisonnaient les jambes de la Belluaire et commençaient à atteindre ses cuisses, relâchèrent légèrement leur pression – cela lui suffit. D’un coup de sabre, elle s’attaqua à ceux qui résistaient encore et, cette fois-ci, ces derniers s’effondrèrent au sol, tranchés en deux. Sans repousser ensuite. Leur adversaire avait donc été suffisamment touchée par sa coéquipière pour perdre le contrôle de son pouvoir, au moins partiellement… C’était une bonne chose.
À elle d’en profiter.
Le brouillard qui flottait à présent dans le couloir l’empêchait de distinguer clairement ce qui l’entourait, mais elle avait se souvenait à peu près de l’emplacement où se tenait la femme qu’elles affrontaient. Et puis, celle-ci était blessée, probablement à terre, ou en tout cas en mauvaise posture… Et elle aussi désavantagée par l’épaisse fumée blanche qui s’était refermée sur elles. L’attaquer à l’aveuglette n’était pas un si grand défi.
S’élancer en avant, essayer d’éviter les résidus de tentacules qu’elle sentait se décomposer lentement sous ses pieds… Un sifflement, sur sa droite – elle plongea sur la gauche en roulé-boulé, esquivant ce qui devait être une dague ou un poignard jeté dans sa direction. Parfait. Cela lui donnait une indication sur l’endroit où se trouvait son adversaire.
Se redresser, courir en zigzagant, de manière à éviter un autre éventuel projectile… Elle aperçut la silhouette accroupie de la femme juste avant de lui tomber dessus – littéralement parlant. La lame de son sabre rencontra une épée tenue d’une main plutôt solide, mais guère endurante. La criminelle essayait de résister mais elle souffrait, cela s’entendait aux gémissements qui lui échappaient parfois, bien que rapidement étouffés – sans compter que vu la manière dont elle vacillait à chaque coup de la Belluaire, elle avait de toute évidence de la peine à tenir sur ses jambes… En quelques minutes, la jeune femme avait pris l’avantage – l’autre se contentait de parer sans lui renvoyer ses attaques, à bout de souffle. Une feinte, un dernier mouvement du poignet, et elle se retrouva finalement désarmée – elle tomba à genoux dans un bruit sourd, chute qui se transforma en effondrement quand la garde l’assomma de la poignée de son sabre. Étendue sur le flan, aussi inerte et inoffensive qu’une poupée de chiffon. Impeccable.
Toute à sa satisfaction, la Belluaire ne remarqua pas immédiatement que quelque chose, dans l’atmosphère, avait changé. Et puis, lorsqu’elle se fut relevée, eut rangé son sabre dans le fourreau qui lui ceignait le dos… Ça lui sauta aux yeux. Le brouillard avait disparu. Sans doute son acolyte, ayant compris que le combat était terminé, avait-elle décidé d’arrêter son pouvoir ?
Sauf que quand elle se retourna… Eh bien, elle ne s’attendait pas à ce qui lui faisait face. Vraiment pas.
La femme bleue était à genoux, visiblement épuisée – la jeune garde supposa qu’elle avait trop forcé sur son pouvoir – et, derrière elle, l’immobilisant fermement, une dague posée contre sa gorge… Le traître. Son traître.
Pendant quelques instants, elle avait oublié son existence – ou, plutôt, avait sauté sur l’occasion du combat et de l’action pour l’écarter momentanément de sa mémoire. Repousser sa présence aux lisières de son cerveau et de son attention, faire comme si sa tromperie n’avait jamais eu lieu… Faire comme si. Mais la réalité finit toujours par vous rattraper.
Pour la première fois depuis leur rencontre, leurs regards se croisèrent. Se croisèrent vraiment. Mélange de colère, de rage et de ressentiment, au fond de son ventre. Mais de peur, aussi. De peur pour sa collègue de la soirée. Et, étrangement – oh, comme elle aurait aimé étrangler ce sentiment… De peur pour lui. De peur que sa conduite ne finisse par mettre non seulement en danger la revenante, elle-même… et lui. Parce qu’il n’était pas capable de se rendre sagement, comme tout le monde. Par les fesses de la déesse, pourquoi venait-il encore une fois tout gâcher ?
- Fais pas l’idiot, Ez’. Lâche-la.
Voix tendue à l’extrême. Tissée d’exaspération, de rancœur et de frayeur.
- Je suis désolé, Caheera.
Il y avait aussi de l’effroi, dans ses yeux – de l’effroi, mais également de la lassitude. Et un immense regret.
- J’ai pas envie de te faire du mal, je le jure devant Lucy… Mais je peux pas te laisser me dénoncer. Je perdrais tout. Alors t’as le choix…
Ses doigts se resserrèrent autour du manche de la dague, mais sa main tremblait.
- Ou bien tu me promets que vous allez toutes les deux quitter les lieux sans faire d’histoire et oublier notre existence, et elle repart avec toi… Ou bien je la tue. Maintenant.