Sa fuite l'avait menée sur les quais. Songeuse, elle observa les bateaux ammarrés là. Avec un sourire, elle eut une idée : son quinzième anniversaire approchait. Pourquoi ne demanderait-elle pas un bateau comme cadeau ? Ses parents penseraient peut-être qu'elle voulait s'en servir pour aller faire du commerce à plus grande échelle, et le lui offriraient probablement sans faire d'histoires, peut-être même en louant son envie d'indépendance... Son sourire s'élargit alors qu'elle se perdait dans ce rêve. Une fois en possession de son bateau, elle pourrait voyager, découvrir le monde... Sans commercer le moins du monde, bien sûr. Cela faisait longtemps qu'elle savait que ce métier n'était pas fait pour elle. Mais inutile d'en parler avec ses parents... Et, par extension, elle se disait qu'elle ne devait pas non plus en parler au reste de sa famille, même si elle se doutait que dans sa famille plus éloignée, peut-être se trouvait-il des personnes ayant un autre emploi...
- Mais qu'est-ce que fait une gamine ici ?? Dégage, y'en a qui travaillent !
Elle se fit pousser sans ménagement par un marin visiblement occupé à charger quelque chose sur l'un des bateaux proches. Cela eut deux effets. Le premier, le plus positif : cela la fit sortir de ses songes et revenir à la réalité. Le deuxième : cela la mit dans une colère noire. Non, si les bateaux étaient peuplés par de telles personnes, elle n'en voulait pas. D'un pas vif, elle s'éloigna et alla plutôt s'accouder à un mur, un peu plus loin, faisant face à la mer. Ici, elle ne dérangerait personne, n'est-ce pas ?
Néanmoins, alors que son regard se perdait à l'horizon, elle suivit un bateau des yeux. Cela lui plairait néanmoins beaucoup de pouvoir voyager... Mais pas par bateau. Pas avec des marchands. Il fallait qu'elle y réfléchisse un peu plus, elle savait qu'elle tenait là quelque chose d'important, qui pourrait définir son futur. Mais elle savait que toutes les conversations importantes avaient aussi besoin de temps. Elle se remit donc en route, ayant pour but de finalement rentrer chez elle... Mais en prenant le chemin le plus long. Elle ne tenait pas à revoir ses parents plus tôt que nécessaire.
Au cours de sa promenade, à un moment donné, elle sentit soudain une sensation familière. Enfin, familière... Disons qu'elle ne connaissait qu'une personne capable de créer immédiatement une atmosphère aussi sereine. Et autant dire que cela lui faisait du bien, après sa crise de rage encore très récente. Regardant autour d'elle, elle finit par le localiser. Lui faisant un signe de la main pour qu'il la remarque, elle laissa échapper sa surprise dès qu'elle fut certaine d'avoir son attention :
- Jack ? Tu n'es pas censé vivre à la Capitale ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
Du calme, Kasha, attends un peu avant de le noyer sous les questions !
Après s'être fait cette remontrance mentale, confuse, elle se tut. C'était vrai, elle ne savait pas ce qui l'amenait, peut-être qu'il n'était pas d'humeur à discuter... D'un autre côté, elle connaissait peu sa famille éloignée, et quelque chose lui disait qu'elle était bien plus appréciable que sa famille proche... Et puis, si elle passait du temps avec lui, elle restait en famille, ses parents ne pourraient pas lui en vouloir, n'est-ce pas ?
Elle savait bien que si. Mais tant pis. Elle ferait ce qui l'arrangeait. Elle n'était plus une gamine, après tout.
« Qu’est ce que c’est que cette histoire, Jack ? Tu ne nous as jamais parlé que tu avais de la famille ?! En dehors de tes parents, évidemment. De chic gens. Comment va ta mère ? »
Bah oui, mais c’est peut-être parce que je n’en ai jamais eu l’occasion et que, justement, l’occasion se présente enfin.
La famille, c’est important. Autant la Guilde peut être considéré comme une belle et grande famille que l’on se doit de protéger, autant les liens du sang ne doivent pas être négligés. Mes parents ont des frères et sœurs. J’ai évidemment des cousins et des cousines. Plus ou moins éloigné dans la lignée généalogique et plus ou moins géographiquement même si dans le Royaume, tout n’est jamais très loin. Du côté du Grand Port, c’est quelque chose comme des cousins germains ou remués de germains. Autant dire que ce n’est pas proche, mais le sang reste le sang, on ne ment pas avec. J’ai eu peu de contact avec ce côté-là de la famille. Habitant aux Grand Port et nous à la Capitale, l’aller-retour nécessite une dizaine de jours ce qui n’est clairement pas la meilleure idée quand on tient une boutique familiale, surtout dans le domaine de la taxidermie : il faut être présent quand le client se présente, il n’attendra pas. Les rencontres avec ce côté de notre grande famille ont été assez restreint, au profit de rares événements réunissant toute la famille et qui mérite bien qu’on ferme boutique pendant cette période. C’était comme des vacances, parcourant les routes, campant à leurs bords, respirant le bon air de la campagne. Même si on est une famille, il y a toujours des points de frictions. Les cousins du Grand Port sont marchands, ce qui semble être plus prestigieux que taxidermiste aux yeux des ancêtres de la famille qui en sont fier. Mes parents ne sont pas dénigrés, mais ce n’est pas non plus la grosse fierté, il faut se le dire. D’où un peu de jalousie même si mes parents n’en ont jamais laissé rien paraitre. Parce que la famille, c’est important.
Tout ça, c’était quand j’étais jeune. Depuis, j’ai volé de mes propres ailes. J’ai rejoint la Guilde des Aventuriers et en particulier les examinateurs de la Guilde, certainement le service le plus indispensable à la Guilde et malheureusement le plus sous côté, n’en déplaise aux mauvaises langues qui se moquent sans cesse de ces fiers fonctionnaires travaillant chaque jour à faciliter la vie de nos frères et sœurs aventuriers. Il y a dix ans, donc, j’étais déjà un examinateur relativement expérimenté malgré le fait que j’allais sur mes vingt-cinq ans. Je sortais d’une semaine au Grand Port pour vérifier la solvabilité de plusieurs armateurs. Une mission de routine, ces différents clients de la Guilde étant des habitués aux comptes plutôt solides, mais ce n’est pas parce que tout roule comme il faut qu’il ne faut pas respecter les règles et les exempter de contrôles. Pas de passe-droit. Ce genre de contrôle est indispensable pour que les aventuriers soient effectivement payés pour leur labeur, même si dans les faits, la Guilde avance les paiements avant de se faire « rembourser » par les clients. Si la Guilde est une famille, il ne faut pas non plus négliger l’aspect économique qui fait hélas tourner le monde.
Je sortais des bureaux portuaires de mon client du jour quand je suis tombé dessus.
Je vous avoue que sur le coup, je ne l’ai pas reconnu.
C’est ça aussi de connaitre beaucoup de monde, on finit par se perdre dans les noms. Puis, ça m’est revenu assez vite grâce à un moyen mnémotechnique de premier choix. Au Grand Port, il y a l’océan, évidemment. Dans l’océan, on trouve des créatures marines. Parfois immense. Maintenant, je sais que vous savez de quoi je parle.
-Kasha ! Quelle surprise !
Bref.
A la différence du cétacé, elle n’était pas bien grande, mais en même temps, elle devait avoir quoi ? douze ? Treize ans ? Quelque chose dans ces eaux-là. S’approchant, je bombais le torse pour mettre en lumière l’emblème de la guilde que j’arborais. A l’époque, je n’étais pas aussi musclé que maintenant, mais à parcourir le monde, difficile de ne pas être un minimum sportif.
-Le travail pour la merveilleuse et formidable Guilde des aventuriers. Et toi, qu’est ce que tu fais ici ? C’est dangereux, le port, pour une gamine.
C’est assez universel de s’inquiéter pour la sécurité des plus jeunes tout en sachant qu’on a soit même fait l’idiot à se mettre en danger sans cesse dans notre prime jeunesse. Faut que jeunesse se fasse, qu’on se dit, même si on ne veut certainement pas que les remontrances de la lointaine famille vous tombent sur le coin de la figure si leur progéniture est mise en danger.
Bon, autant vous le dire tout suite, ça ne m’arrangeait pas trop de la croiser, principalement parce que je voulais m’en jeter une ou deux au troquet du coin et qu’en la présence d’une ado, ça ne se fait pas trop, évidemment. Mais je vous l’ai déjà dit, je crois.
La famille, c’est important.
- Je ne suis pas une gamine ! Je vais avoir quinze ans très bientôt !
... Râler comme ça, ça fait pas mal gamin, quand même, non ? Mais bon, peu importait. Il lui avait dit ce qu'il faisait là, à elle de le faire aussi, surtout qu'il le lui avait demandé.
- Moi ? Je rentre... Mais je n'en ai pas envie. Très honnêtement, le commerce, c'est pas pour moi... Je veux voyager, mais pas avec ce genre de marins...
En disant ces mots, elle glissa un regard vers le bateau près duquel elle s'était fait chasser. À la réflexion, si elle pouvait éviter de voyager par la mer, ça l'arrangerait. Oui, elle devrait vraiment l'interroger par rapport aux aventuriers. Mais d'abord, si elle voulait prouver qu'elle n'était plus une enfant, il lui fallait respecter les règles élémentaires de la politesse :
- Du coup, puisque tu es là... Tu veux passer à la maison ?
Elle ne savait absolument pas si ses parents la féliciteraient de l'avoir ramené, ou seraient polis pendant qu'il serait là pour lui reprocher cette proposition après son départ. Mais bon, Kasha était certaine de faire ce qu'on attendait d'elle dans cette situation... Pour une fois qu'elle faisait ce qu'elle devait faire... Et d'un autre côté, il n'était pas dit qu'il accepterait. Peut-être qu'il avait déjà des plans, après tout, leur rencontre n'était pas prévue... Et elle était plus qu'improbable, en y repensant. Quelles étaient les chances de rencontrer par hasard un membre de la famille qui ne vivait pas dans le coin et qui voyageait probablement beaucoup ? Bon, d'accord, du côté de Kasha, personne ne bougeait vraiment beaucoup, donc peut-être qu'il avait envisagé la possibilité de passer... Ou pas. Après tout, savait-il seulement où ils vivaient ? Aucune idée.
Après lui avoir laissé un peu de temps pour répondre à sa question précédente, elle ne put s'empêcher de lâcher un nouveau flot de questions :
- Alors du coup, tu es aventurier ? ça doit être super, non, de pouvoir voyager un peu partout, j'imagine aussi que tu fais plein de choses différentes ! Et à quoi ressemble la vie dans la Guilde ? Vous êtes nombreux ? Tu aimes ? Est-ce que c'est pareil que ce que tu imaginais avant d'y entrer ? Et... Est-ce que je pose trop de questions ?
Elle émit un petit rire gêné. Il allait vraiment falloir qu'elle apprenne à se contrôler...
Après un moment, elle commença à faire quelques pas vers chez elle, imaginant cette fois un itinéraire plus direct, la présence de Jack lui offrant le temps supplémentaire qu'elle voulait avant de se voir obligée de rentrer.
- Il va falloir que je rentre, par contre. On peut discuter sur le chemin, surtout si tu veux venir aussi. J'adorerais rester, mais j'ai aussi peur de la réaction de mes parents, je suis dehors depuis trop longtemps...
Elle espérait juste que ce départ ne mettrait pas fin à la discussion, qui venait à peine de commencer...
-Oh bah pourquoi pas. Ce n’est pas une sotte idée que de voir la famille.
Même si la proposition de Kasha ne paraissait pas nécessairement la ravir. Visiblement, son intérêt était davantage concentré sur la Guilde. Et comme vous me connaissez si bien maintenant, pour certains, pas besoin de me presser pour parler de cette véritable institution dans tout Aryon. Beaucoup trop de questions, mais comment en vouloir à la fougue de la jeunesse en manque de connaissance ? Même s’il fallait préciser quelques points au préalable.
-Du calme, du calme. Une question à la fois. Et puis, ce sont des questions auquel on ne peut pas répondre si facilement en une phrase ou deux. Et puis, ce sont aussi des réponses qui varient selon les gens.
Il faudrait un cours. On n’apprend pas ça à l’école ? Surement qu’ils ne veulent pas influencer les jeunes et faire du favoritisme pour une guilde et pas pour les autres, même si très certainement, les cours de la Guilde des Aventuriers auront plus de succès que ceux de la Guilde Marchande. Comme ce n’est pas ce qu’elle attendait, surement, j’ai complété assez rapidement, parce qu’il ne s’agirait pas de perdre l’intérêt trop vite par des réponses pragmatiques. Même s’il ne vaut pas vendre trop de rêves. Les faits, rien que les faits.
-La Guilde des aventuriers, c’est un peu une grande famille. Tous différents. De différents horizons. Réunis autour d’une ambition : celle d’aider notre prochain. Il y a des centaines de boulots, de quêtes différentes. Chacun peut y trouver son bonheur. Parcourir le monde. Rester à la Capitale. Servir la Guilde. A la fin, on aide des gens. Il y a une rémunération, car il faut bien vivre, mais là est l’essence de la Guilde. Être le lien entre les femmes et les hommes de notre Royaume, qui ont besoin de protections, d’aides, d’une main secourable, d’ouest en est, du nord au sud. Nous sommes la grande famille du Royaume l’aider à voir plus grand.
Rien que les faits.
Mais pas assez, très certainement, heureusement qu’il y a la route pour continuer à papoter. Une nouvelle fois, Kasha exprima son besoin de rentrer chez elle, mais que ce n’était pas quelque chose qu’elle voulait, elle. Une nouvelle preuve qu’elle est davantage mature que nous autres : on n’aurait pas hésité à rentrer tardivement. On se serait pris une rouste, évidemment, mais on était comme ça, quand on était jeune. Dans les bandes de la Capitale, des histoires que je vous raconterais un autre jour. Alors, avant même de partir, j’ai décidé de prendre les devants d’une autre solution, qui ne sera peut-être pas au gout de la parenté, mais merde, faut que jeunesse se fasse et se décide tout seul.
-J’ai une meilleure idée. Je te propose d’aller voir la branche locale de la Guilde et qu’on en parle en chemin. On ne sera pas long et tu pourras te faire ton propre idée.
Une idée qui parait intéressante, même maintenant, non ? J’ai bien vu dans son regard que ça l’intéressait bien, mais l’autorité parental est une notion bien inscrite dans les esprits des jeunes. A raison. Mais parfois, faut tordre un peu cette notion. Je lui ai alors fait un clin d’œil complice.
-T’auras qu’à dire que je t’ai incité à aller voir et que tu ne voulais pas, mais que ça n’aurait pas été poli de dire non.
Et bim, avec une défense en béton, comment dire non ?
Je savais qu’elle ne dirait pas non avec argument pareil.
Alors, on y est allé. En chemin, je lui ai davantage causé de la guilde. Des choses que les gens connaissent peu. Des généralités. Puis un peu de moi, en toute modestie.
-Moi, je suis examinateur de la guilde. Je ne fais pas de quêtes à proprement parlé. Je ne rends pas service aux gens, je rends service aux aventuriers. C’est bien beau d’avoir des gens qui proposent des quêtes, il ne faut pas que ça soit des choses interdites par la loi. Les aventuriers ne doivent pas devenir des criminels pour ce qu’ils sont payés à faire. C’est un des rôle des examinateurs, de vérifier que les clients, les donneurs de quêtes, sont des personnes honnêtes et que les taches à réaliser, c’est du travail honnête. C’est bien aussi que les quêtes soient rémunérées, mais les clients paient après service. Et qu’est ce qui arrive s’il y a des défauts de paiements ? ça complique les choses. Alors, les examinateurs vérifient que lesdits clients disposent des fonds pour payer les aventuriers. Plus globalement, les quêtes reposent beaucoup sur la confiance entre aventuriers et clients, mais on ne peut pas laisser nos aventuriers seuls face à leur commanditaire. Il faut s’assurer qu’on peut avoir confiance en eux. Nos plus jeunes aventuriers ont seize ans. Même si ce ne sont pas des « gamins », il y a partout des gens peu recommandables. C’est notre devoir d’examinateurs d’identifier ses individus et qu’il ne se retrouve jamais sur le tableau des quêtes de la guilde. Pour le bien de nos aventuriers.
J’ai essayé de bien vendre le truc, même si dans l’esprit des plus jeunes, les trucs cools, c’est être saphir et défendre les innocents face à des monstres très dangereux. Protéger les aventuriers des monstres de l’humanité, c’est beaucoup moins prestigieux. Mais c’est pourtant mon métier.
Puis, lorsque vinrent les explications au sujet de la Guilde, elle écouta presque religieusement, à un point tel que quelqu'un l'ayant vue rechigner à toutes sortes de cours par le passé pourrait se demander s'il s'agissait bien là de la même personne. De la diversité ? Des voyages ? De l'entraide ? Même si elle ne savait pas si ce dernier point lui correspondait, elle était certaines que les autres étaient presque parfaits pour elle. Alors oui, pourquoi ne pas se tourner vers cet avenir ?
La proposition d'aller voir l'antenne locale de la Guilde l'intéressait, bien sûr, premièrement pour pouvoir discuter avec plusieurs aventuriers au sujet de leur expérience et de savoir si une vie similaire lui correspondait. Mais d'un autre côté, l'heure tournait... Obstacle que son aîné ne tarda pas à faire voler en éclats avec son offre de prendre la responsabilité en cas de problème.
- Ce ne serait pas forcément très juste que tu payes pour mes bêtises...
Mais son ton laissait transparaître un manque évident de conviction. Oui, elle était d'accord avec ce qu'elle venait de dire, mais d'un autre côté, la proposition était plus que tentante. Et puis, il y avait un autre frein :
- Je ne suis pas aventurière et ne travaille pas à la Guilde... Alors, est-ce que j'ai le droit d'entrer là-bas ?
Visiblement, oui, puisque l'homme ne l'avait pas attendue pour changer de direction. Courant un peu, le temps que ses petites jambes rattrapent le distance perdue, elle le suivit, écoutant la suite de ses propos, plus personnels, et donc plus intéressants, à son avis. Même s'il est vrai qu'elle se trouva un peu perdue au moment de l'évocation des aspects financiers, elle s'appliqua à ne pas le laisser paraître. Par contre, le côté activité parfaitement légale, ça, ça l'intéressait, en plus de tout le reste, évidemment. En tant que fille de marchands, elle connaissait certains marchands qui travaillaient, en partie ou complètement, dans l'illégalité, et elle n'avait jamais compris l'attrait que ces gens y trouvaient. Après tout, avoir un emploi illégal, c'était se mettre en danger inutilement. Elle savait bien que tout métier avait déjà sa part de danger et de risques, alors, pourquoi en rajouter ?
- C'est sûr que si c'est une institution officielle, il faut des gens pour s'assurer que tout se passe bien. Par contre... De ce que j'ai entendu, les aventuriers sont des combattants. C'est obligatoire ? Ils n'auraient pas, je sais pas... Des messagers, par exemple ? Des gens qui discutent avant de taper ?
C'est là qu'avait émergé le début du projet de Kasha. C'est à partir de ce moment que sa destinée avait changé, la dirigeant sur la route de ceux qui travaillaient avec les informations plutôt qu'avec les armes. Même si elle allait très vite se rendre compte que ces dernières restaient nécessaires, même dans sa spécialité...
L’erreur est commune. Les saphirs sont l’élite de la Guilde. Les meilleurs des meilleurs. Pour devenir Saphir, il faut avoir accompli plusieurs quêtes jugées dangereuses où, comme l’adjectif le laisse supposer, l’aventurier sera soumis à des dangers qu’il faudra surmonter. Donc, se battre fait souvent partie du paquet. Les saphirs sont donc des gens capables d’affronter toutes les circonstances, souvent les monstres les plus terribles. Et des Saphirs, corps de l'Élite des combattants de la Guilde, c’est vendeur. ça met des étoiles dans les yeux des plus jeunes qui se mettent alors à rejoindre la Guilde alors que leur meilleur talent, c’est juste de courir vite. Parce qu’il faut de tout dans une guilde. Alors certes, on pourrait juger que c’est un peu discriminatoire de devoir se mettre en danger pour faire partie de l’Elite de la Guilde, mais c’est comme ça, c’est pas à moi de faire les règles. Il faut être au Conseil de la Guilde ce qui ne m’arrivera sûrement jamais. Enfin, c’est ce que je pensais à cette époque. Pour en finir avec la digression, imaginez des Saphirs experts dans la cuisine ou dans la livraison de lettres ? C’est quand même pas ce qu’il y a de plus vendeurs. Si c’était possible, faudrait alors inclure des examinateurs dans les Saphirs, car ce sont eux les plus grands héros de l’ombre, et j’en cause pas en connaissance de cause.
-Il faut bien comprendre que la Guilde valide un très grand nombre de quêtes. Une “quête” n’est que la dénomination pour décrire une sorte de “contrat” temporaire entre un client et un, ou des aventuriers. Il y a des quêtes pour affronter des monstres. Escorter des convois. Ca, se sont des choses que beaucoup de gens n’oublient pas, parce que ça marque. Peu sont ceux capables de ce genre de missions. Mais il y a bien d’autres quêtes. Des messagers, oui. Du transport de marchandises sans qu’il y ait forcément une notion de danger derrière. De l'exploration. Des enquêtes. Des études botaniques. De la dégustation de bière aussi !
Les aventuriers sont des grands consommateurs d’alcool, c’est bien connu. S’assurer qu’ils aimeront, c’est s’assurer du succès. Et puis, ils ne rechignent que rarement à boire.
-Ce qu’il faut garder en tête, c’est que beaucoup de quêtes ne méritent pas forcément à ce qu’on s’arrête dessus, mais ce sont tout de même, à la fin, des besoins d’individus qui nécessitent d’être satisfait, par le biais d’une quête. On a des aventuriers qui ne cherchent pas la gloire et la reconnaissance. L’accomplissement de quête est purement alimentaire, pour vivre. Il en faut. Chacun est libre de la voie que l’on veut se faire au sein de la Guilde des Aventuriers.
Le chemin se faisant, on finit par arriver devant l’antenne locale de la Guilde au Grand Port. Évidemment, le lieu n’avait pas la grandeur et le faste de la Guilde de la Capitale, mais ça restait un endroit fonctionnel et efficace. Je sentis que Kasha était encore un peu réticente, comme si elle ne se sentait pas à sa place alors que j’ai été clair un peu plus tôt : pas besoin d’être aventurier pour entrer dans la Guilde. Comment les gens proposent des quêtes s’ils ne peuvent pas entrer dans la Guilde ? ça n’aurait pas de sens. Alors certes, il y a des sections interdites au public, comme dans n’importe quel bâtiment administratif ou boutique de n’importe quelle ville. La Guilde reste une institution comme les autres. Et puis, moi, je travaille à la Guilde, alors, pourquoi s’inquiéter de ne pas pouvoir entrer ?
D’une poussée de la main dans son dos, j’ai contré sa réticence et je lui ai fait passer la porte du bâtiment où il n’y avait pas foule en cette fin d’après-midi. Il y a toujours un peu d’activité dans une antenne de la Guilde, mais ça fluctue en fonction de la journée. Vers 10h, c’est assez peuplé. Les aventuriers viennent prendre leur quête, après une petite grasse matinée, pas trop tard pour faire le boulot quand ce n’est pas grand chose, pour aller sur place quand c’est des contrats plus longs. Toutes les antennes se ressemblent un peu à travers le pays. Des comptoirs où des hôtes et hôtesses s’occupent des formalités avec les aventuriers ou les clients. Un grand tableau des quêtes à côté duquel les aventuriers se pressent. Des examinateurs qui passent parfois pour diverses tâches administratives.
-Jack ? Qu’est ce que tu fais ici ? C’est pour rejoindre la guilde ?
On se retourna pour faire face à un homme entre deux âges, le visage marqué par la fatigue tout autant que son sourire las. Il s’agissait de Sullivan, un examinateur, comme moi, mais avec déjà pas mal d’expériences. Il se murmurait à l’époque qu’il était en bonne place pour devenir Conseiller de la Guilde chargé des affaires du Sud. Si la rumeur lui était parvenue à l’oreille, il ne laissait rien paraître autre le fait qu’il bossait deux fois plus comme pour pas rater sa chance. Vous qui êtes allé au désert volant, vous devez savoir qu’il n’a pas raté sa chance.
J’ai mis une main sur la tête de Kasha comme pour la rapetisser. Réflexe qui pourrait sous-entendre que je la traitais de gamine, mais la vérité n’était pas si loin.
-Pas vraiment, Sullivan. Elle n’a que quinze ans. Mais elle est très intéressée par la Guilde.
-Ahah. Il n’y a pas de mal à voir la réalité de ses propres yeux avant de faire son choix.
Et oui. Il faut avoir seize ans pour signer. Aux yeux du règlement de la Guilde, elle était encore une gamine. Sullivan reprit.
-Si tu veux poser des questions à des aventuriers où des hôtes, n’hésite pas. On est pas trop débordé en ce moment, ça ne les dérangera pas.
- C'est tellement varié ! Pas moyen de s'ennuyer !
Elle rit à sa propre boutade. Oui, à part la bière, la plupart des propositions, autres que le combat, évidemment, lui semblaient alléchantes.
Une fois arrivés, Kasha était si absorbée dans la contemplation de l'architecture des lieux, de leur organisation et de ce lieu en général, qu'elle faillit sauter au plafond quand une voix vint de derrière eux. Immédiatement, elle se mit à rougir de honte. Pour quelqu'un qui commençait à vraiment vouloir rejoindre l'organisation, elle était un peu trop émotive... Elle refusa donc de regarder le nouveau venu, craignant son jugement.
Quant au réflexe réducteur de son aîné, il lui fit encore plus se demander ce qu'elle faisait là. Oui, pour une fois, elle ne râla pas par rapport au fait de "je ne suis pas une gamine !" Peut-être parce qu'ils se trouvaient face à un inconnu. Peut-être parce qu'elle n'était pas dans le bon état d'esprit.
Mais lorsque ledit inconnu lui parla, elle le trouva étonamment gentil, ce qui lui fit lever des yeux étonnés vers lui. Elle ouvrit la bouche, mais, pendant quelques longues secondes, aucun son ne parvint à en sortir. Puis, elle se reprit, avala sa salive, et put enfin répondre :
-Merci beaucoup.
Puis, elle prit son temps pour observer qui se trouvait dans le coin, en profitant pour reprendre ses esprits. Et c'est là qu'elle réalisa...
- Mais vous ! Vous travaillez ici, donc je peux commencer par vous ! Quel est votre rôle ici ? Qu'est-ce que vous faites de vos journées ? ça vous plaît ? Est-ce que c'est ce que vous avez toujours voulu faire ? Et... Je pose trop de questions.
Résolument, elle se tut. S'il répondait à toutes ses questions, il en aurait pour un moment. S'il préférait en ignorer quelques-unes, voire toutes, elle le comprendrait parfaitement également.
-Je suis examinateur, comme Jack. T’as déjà raconté ce que tu faisais ?
-Oui, un peu.
-Parfait. Alors, à l’inverse de mon brave collègue, je suis plus au niveau de l’organisation de l’antenne locale de la guilde. Entre les examinateurs locaux qui font le même boulot que Jack, les hôtes et les hôtesses et les aventuriers, c’est plusieurs centaines de têtes qui passent par là, sans compter les clients.Si ces dernières années, j’étais plus accès sur l’organisation de l’équipe, je m’occupe de plus en plus des relations avec nos clients. Parce qu’avoir des quêtes sur le tableau d’affichage, c’est bien, mais encore faut-il les avoir.
Ce qu’il faut savoir, c’est que si la Guilde des Aventuriers est une institution reconnue dans le Royaume entier pour offrir à des missions très diverses des aventuriers qui sauront accomplir ces missions, tout le monde ne passe pas par la Guilde. Elle n’a pas l’exclusivité de ce genre de boulots. Alors, évidemment, un donneur de quête modeste va généralement demander à la Guilde car il n’a pas le réseau de connaissances, généralement, pour trouver la personne qui saura accomplir son boulot. Ou alors, il fait appel à un ami, un membre de sa famille et ça reste du domaine privé. Mais pour des institutions plus grandes, de riches entrepreneurs ou même des nobles influents, il arrive que ceux-ci emploient des individus ou des groupes d’individus, qui ne sont pas des aventuriers, mais qui peuvent quand même faire ces boulots. Il n’y a pas d’obligation d’être dans la Guilde. On offre le poids de tous nos aventuriers et de notre palette d’expériences pour trouver la bonne ressource au bon besoin.
Par exemple, un noble qui a besoin souvent de protection peut proposer une quête d’escorte à la Guilde. Il peut aussi faire appel à des indépendants où à un groupe de sécurité privée. Si ce noble les connaît, tant mieux. S’il ne les connaît pas, à lui de prendre le risque de les embaucher. En prenant à la Guilde des Aventuriers, il y a une certaine garantie d’avoir des gens compétents car la Guilde va avoir un certain regard pour ne pas envoyer n’importe qui sur des missions dangereuses. Laisser l’aventurier expérimenté sur une quête dangereuse, c’est à coup sûr risquer l'échec de la quête et la mise en danger de l’aventurier. C’est ce qu’il a raconté avec plus d’exemples, pour bien se faire comprendre, mais il est parfois bon de ne pas trop s’étaler sur les détails pour en revenir à la question qui nous intéressait initialement.
-C’est pour ça que les relations clients et le démarchage, c’est important. C’est que même si la Guilde est connue, il ne faut pas se relâcher, car plus les possibles quêtes sont intéressantes et bien payées, plus elles sont donnés par des gens influents qui ont leur propre réseau et font plus souvent appel à des gens extérieurs à la Guilde. C’est ce que je fais de mes journées, ces dernières semaines. Convaincre de nos capacités. Arranger les angles avec des clients réfractaires où qui ont eu des mauvaises expériences. C’est très complexe, dense, mais extrêmement valorisant. Car chaque nouvelle quête que l’on obtient, c’est des aventuriers qui les accomplissent. Qui en vivent. Et qui ont même la satisfaction de faire des choses vraiment intéressantes et pas juste transporter des colis.
-Même si transporter des colis, ce n’est pas une sotte quête. Il en faut !
Que je me suis permis de préciser. Il ne faut absolument pas croire que les quêtes ne sont que des missions héroïques. On essaie le plus souvent possible de tordre le cou aux idées pré-construites.
-Ce n’est pas ce que j’ai voulu faire. Quand j’étais jeune, je voulais être aventurier, devenir saphir. Puis à force de quêtes, je me suis aperçu que je n’étais pas taillé pour ça. j’ai rejoins les hôtes, puis les examinateurs. Chaque jour, j’ai appris des choses. Je me suis rendu utile. Ce n’est pas ce que j’ai voulu faire, mais je ne regrette rien. La vie n’est pas forcément comment on se l’imagine. Il s’agit d’avancer en saisissant les mains et les occasions qui se présentent à nous. Même pour les aventuriers, on ne devient pas Saphir seul. On a besoin des autres. Alors, jeune fille, ne néglige jamais la main que l’on te tend. Tu y trouveras peut-être ton destin.
Petit clin d'œil complice, puis Sullivan nous a informés qu’il avait à faire, justement et qu’il devait s'éclipser. On s’est salué, puis il est parti. Alors, vous allez me dire, tout ceci ressemble beaucoup trop à une campagne de promotion du corps des examinateurs de la Guilde, mais vous savez tout comme moi que c’est souvent vain. En l'occurrence, Kasha a demandé à des fonctionnaires de la Guilde, alors, c’est pas notre faute. L’occasion de revenir un peu plus sur les désirs de la cousine.
-Et toi, Kasha, qu’est ce que tu veux faire ? Tu as dit vouloir voyager. Mais où exactement ? Seul ou accompagné ? Pourquoi aussi ? Qu’est ce que tu recherches dans ces voyages ? Veux-tu voyager toute ta vie ? Comment t’imagines tu la chose ? Ce n'est pas facile de voyager.
Le tout, afin de cerner un peu plus ce qui l’a motivé. Si tout ceci n’était qu’un caprice d’enfant qui disparaîtrait au premier désagrément. Ou alors, est-ce la réflexion d’une adolescente mature qui avait de la suite dans les idées ?
En tout cas, moi aussi, je savais poser plein de questions quand je le voulais.
Et elle eut justement l'occasion de découvrir quelle impression elle faisait aux autres avec toutes ses questions. Elle prit le temps de réfléchir, puis répondit doucement, continuant à réfléchir pendant qu'elle parlait :
- Pour être honnête, le voyage n'est pas ma principale motivation. Je veux surtout m'éloigner de mes parents en fait. Peut-être aller à la Capitale, si je rejoins vraiment la Guilde. Si c'est le cas, je n'aurai pas besoin de voyager tant que ça. Et pour être honnête, je crois que je propose l'idée de vous rejoindre parce que je ne sais pas vraiment ce que je veux faire de ma vie, et qu'apparemment, les missions des aventuriers sont plutôt variées, ça peut être intéressant, d'explorer différentes choses.
Elle marqua une pause, puis poursuivit :
- Par contre, désolée de te dire ça aussi franchement, mais l'administratif, très peu pour moi. Je crois... Que j'aimerais rencontrer des gens. Des inconnus. Leur parler. Ne surtout pas me battre.
Quel revirement ! Elle avait parlé de voyage, et maintenant, elle parlait de social ! Cela la fit réfléchir. Et de conclure :
- Oui, en fait, je crois que cette idée de voyage était plus un besoin de fuite. Mais si, en vous rejoignant je peux faire plus ou moins du social, comme je l'ai décrit plus tôt, ça me va parfaitement ! En plus, de ce que j'ai cru entendre, la Guilde reste dans la légalité la plus parfaite, non ? ça aussi, c'est séduisant.
Devenir une hors-la-loi, comme ces marchands qui ne déclaraient pas leurs activités, ne l'intéressait clairement pas. Pire, elle ne voyait pas en quoi cela pouvait intéresser qui que ce soit. Si vous aimez le risque, devenez soldat ou aventurier combattant ! Pour mettre votre vie en danger, il n'y a pas mieux ! Mais vous resterez quand même dans la légalité !
Enfin, elle s'égarait.
- Est-ce que ce serait possible de parler à un aventurier, plutôt ? Et de préférence pas combattant ? Comme ça, je pourrais savoir si c'est vraiment ce que je veux..
En attendant la réponse, elle observa les gens aux alentours. Elle savait assez bien les cerner, et ceux qu'elle voyait ne lui semblaient pas correspondre. Ils avaient tous l'air si sérieux, si... Professionnels. Oui, bon, d'accord, si elle voulait choisir son futur interlocuteur, elle ne pouvait pas se baser sur ces critères. Il fallait trouver quelqu'un de sociable et pas forcément très athlétique, de préférence. Après tout, quelqu'un qui ne se battait pas faisait moins de sport que ceux qui combattaient, non ?
Oui, non. Encore un critère trop vaseux. Elle allait se concentrer sur le côté sociable. Mais pour évaluer ça, il lui fallait assister à des interactions, et trop peu de personnes étaient présentes ici. D'un autre côté... Elle avait près d'elle quelqu'un qui connaissait visiblement les personnes travaillant ici...
- Est-ce que c'est possible de parler à un messager, ou quelqu'un qui fait des missions dans le genre de ce dont je t'ai parlé ? Quelqu'un qui va au contact des gens, et surtout, qui ne se bat pas ?
Quand on ignorait la réponse à une question, il vallait mieux la poser aux personnes susceptibles de la connaître.
-En tout cas, quand tu seras en âge de choisir ton propre chemin, sache que tu peux compter sur moi à la Capitale. J’y ai des contacts. Et puis, la Guilde ne laisse pas ses jeunes aventuriers sans soutien. Pour les nouvelles recrues, il y a des chambres pour eux afin qu’ils puissent faire leur première quête et récupérer assez d’argent pour s’installer à leur propre compte.
J’aurais pu proposer de l’héberger, ou de prendre à mes frais, parce que c’est la famille, mais dans ces propos, au-delà de la volonté de mettre de la distance avec sa famille, je sentais déjà une vraie volonté d’indépendance. Clairement, lui proposer de dépendre à nouveau de quelqu’un, aussi sympathique qu’il soit, ce n’était clairement pas la meilleure idée. C’est un coup à passer pour vieux relou qui pense qu’elle n’est pas capable de vivre sans assistance. Ce n’est peut-être pas le cas, mais si ça arrive, elle saura qu’elle pourra compter sur son cousin si elle a besoin d’un coup de main. D’un cousin ou d’un examinateur, ça marche aussi.
Maintenant qu’elle a eu tout ce qu’elle voulait d’un examinateur émérite, elle s’est mise à demander davantage de témoignages. C’est tout de suite plus compliqué. Les aventuriers ne portent pas leur domaine de compétences sur leur poitrine. Heureusement, la Guilde est bien faite, quoi qu’en disent nos détracteurs. D’un geste, j’ai invité Kasha à me suivre aux bureaux des hôtes. On a attendu notre tour une minute avant d’arriver devant une hôtesse qui a froncé les sourcils, me reconnaissant et ne comprenant pas ce que je faisais là, surtout après m’avoir vu discuté avec Sullivan. Je lui ai présenté sommairement la situation et qu’on cherchait un aventurier qui pourrait renseigner l’adolescente. Elle nous a fait poiroter une autre minute, le temps de consulter son listing, levant la tête plusieurs fois pour observer les têtes des aventuriers présents avant d’en trouver un qui correspondait à la description en la présence d’une femme, la trentaine, assis à une table dans un coin du bâtiment qui sert de lieux de discussions, de repos et de restauration pour les aventuriers de passage dans la Guilde. A la Capitale, il y a même une buvette, que les aventuriers demandent sans cesse d’agrandir, d’ailleurs. On a remercié l’hôtesse qui pourrait expliquer ses fonctions si le désir s’en fait ressentir avant d’aller à la rencontre de notre aventurière qu’on a abordée et à qui j’ai expliqué la situation. Elle a accepté de se plier à l’exercice avec bienveillance pour Kasha.
Lyanna était relativement jeune dans la Guilde. Seulement trois ans. Après avoir fait plein de petits boulots dans différentes boutiques du Grand Port, elle a tenté sa chance à la Guilde où elle a troqué une vie chaotique au dépend de sa volonté par davantage de contrôle sur ses activités. Même si elle s’est annoncée non combattante, elle montrait quand même un physique solide, expliqué avec le sourire.
-À traverser la ville de long, en large et en travers, difficile de ne pas devoir être un minimum en forme. Je ne m'entraîne pas particulièrement, c’est le travail qui fait son office.
-Et quelles sont tes principales activités ?
-Le transport de documents, de paquets, principalement. Des choses importantes, pas juste du courrier, même si j’ai déjà eu à transporter des lettres à l’eau de rose. Ce n’est pas cher payé, mais c’est simple. Ça fait découvrir sans cesse la ville et ça rend service. J’ai aussi bossé. A force de croiser du monde, je me suis aussi mis à des quêtes de recherches. Le client a besoin de quelque chose, plus ou moins rare, plus ou moins précieux, et il faut le trouver, voire parfois l’acquérir. Rarement fouiller dans les bois pour le dénicher. J’ai aussi fait de l’accompagnement. Guide pour les touristes ou les marchands de passage. J’sais pas vraiment me battre, pas comme on l’entend, dans le sens aventurier contre monstre, hein, mais je sais me défendre, même si j’essaie surtout d’éviter le conflit et que tout se passe bien. Pour ce genre de choses, je bosse avec des amis plus solides sur le combat qui se charge de la sécurité. J’essaie de bosser un peu avec la noblesse, les gens influents de la ville. Ça paie mieux, mais les places sont rares. Puis faut avoir une certaine expertise dans le domaine. Maîtriser sa ville. Les codes de conduite. Comprendre ce que veulent vraiment les gens. Ce genre de choses. Je suis peut-être à mon plafond actuellement. Il va peut-être me falloir plus de temps pour obtenir ce que je veux. D’autres questions, ma petite ?
- D'accord, j'y penserai. Merci.
Puis les voilà partis au bureaux qui semblaient être l'accueil. Kasha patienta silencieusement, prenant bien garde de rester aux côtés de son aîné. Il ne manquerait plus qu'elle parte en exploration et se perde ! Non, elle préférait rester à ses côtés, quitte à le coller, mais ne pas le perdre de vue. L'hôtesse n'était pour elle qu'une personne de plus qui travaillait dans le milieu hautement ennuyant de l'adminitratif.
Par contre, la personne suivante qu'ils rencontrèrent l'intéressa beaucoup plus. Le côté messager l'intéressait... Et lorsqu'elle parla de recherche, les yeux de la demoiselle se mirent à briller. Elle la laissa terminer son monologue, mais l'attention n'était plus là. Elle était en train de créer une nouvelle cascade de questions.
Et alors, quand l'aventurière lui demanda si elle avait des questions, elle ne se fit pas prier :
- Oh que oui ! Vous avez parlé de... Recherches ? Exploration ? J'ai oublié le mot exact que vous avez utilisé.
Elle s'interrompit l'espace d'un instant, juste le temps de laisser échapper un petit rire gêné, puis elle laissa se déverser son flot de questions :
- Bon, peu importe. C'est intéressant ? Enfin, plutôt, vous aimez ça ? Comment se passe une mission de ce type, globalement ? Vous voyez beaucoup de paysages différents ? Et les objets que vous devez récupérer, ils ont des points communs ou pas du tout ? Vous connaissez vos clients ? Et... Non, je vais m'
Encore une fois, elle avait posé trop de questions. Elle tourna un regard contrit vers Jack, cherchant à lire son avis sur son visage. Puis elle reporta son attention sur son interlocutrice, prête à s'excuser si elle faisait une remarque sur son débit de questionnement.
Ça a fait rire Lyanna, en plus, regardant Kasha droit dans les yeux.
-Bien sûr que c’est intéressant ! Il y a tant de choses à faire la guilde, si ça ne m’intéressait pas, je ferais autre chose depuis longtemps !
-Comme Examinateur ?
-Plutôt rendre ma plaque d'aventurier.
-Tsss
J’avais essayé. Elle a repris après s’être perdue un instant dans un souvenir avant de revenir à la jeune adolescente.
-Oui, j’aime ça. C’est un sentiment étrange. Celui d’être une inconnue pour ces gens. Mais en leur rendant service pour une heure, une journée, quelques jours, on s’immisce un peu dans leur vie. Leurs problèmes. Leurs besoins. Il faut les comprendre un peu pour, souvent, bien faire le boulot. Parce que je suis une inconnue pour eux, je pourrais être n’importe qui. Souvent, je garde une certaine distance avec mes clients. La véritable Lyanna n’est pas sur le terrain. Il faut savoir ne pas trop mélanger le personnel et le professionnel. C’est pour ça que j’ai une sorte de…. Lyanna alternative pour mes missions. Pour me préserver moi, mais parfois pour mieux m’accommoder de mes missions.
-Un peu comme jouer un rôle.
-C’est ça, même si je ne suis pas une très bonne comédienne ! Mais pour mes vis-à-vis, quel est le vrai du faux ? Au pire, l’important à leur yeux, c’est que le boulot soit fait.
Lyanna a une légère pause, recentrant ses pensées sur les questions suivantes. Je lui en souffle quelques-unes d’une façon peu discrète. Ça met un peu de bonne humeur. Ou comment dire qu’il y a beaucoup de questions sans que ça soit un mal.
-Prenons un exemple. L’année dernière. J’ai pris une quête pour retrouver un objet magique qu’un notable a perdu dans une bousculade près des docks. Évidemment, pour que des gens se donnent la peine de payer quelqu’un à ce qu’on lui trouve quelque chose, ce n’est pas des choses anodines : des objets magiques, des objets de valeurs, des objets avec une valeur sentimentale. Ça peut être n’importe quoi. J’ai même dû une fois retrouver la bague d’un futur marié qu’il avait perdu dans une soirée… Enfin bref, il était pas mal gêné. Une autre fois, j’ai dû retrouver un masque magique déformant la voix de son propriétaire pour être incognito. Des criminels étaient aussi sur le coup, j’ai préféré abandonner. Ça devenait dangereux.
-T’as bien fait. Il n’y a pas de honte à abandonner. La vie avant tout.
-Ouaip. Bref, une fois la quête validée auprès de mon hôte préféré ; celui qui discute à la porte, là-bas, le blond à croquer ; je suis allé directement voir le client pour lui poser des questions. La garde ne gère pas ce genre de choses. Les objets trouvés, ça peut prendre beaucoup trop de temps. L’objet avait une forte valeur sentimentale pour le gars, alors il a mis les moyens pour le retrouver. Une fois avec un max d’informations, j’ai été méthodique, pendant trois jours. D’un, l’enquête de voisinage sur les lieux de l'incident. De deux, le tour des tavernes.
-Evidemment. Il se dit beaucoup de choses dans les tavernes. Ce sont de véritables mines d’informations.
-Clairement ! De trois, le tour des revendeurs de la ville. Un objet perdu, ça se revend. Au final, au bout de trois jours, j’ai trouvé une piste menant à un autre notable de la ville qui avait racheté l’objet à un prêteur sur gages peu scrupuleux. Le type ne voulait pas redonner l’objet. Alors, je l’ai mis en relation avec le client et j’ai servi de conciliateur entre les deux parties. Finalement, ils ont trouvé un terrain à l’amiable, même si ça pas été facile ; ils se connaissaient et avaient des différends mineurs entre eux. Une fois la quête finie, je suis retourné à la guilde pour toucher ma prime, toujours auprès du même ; toujours à causer avec l’autre greluche là, tsss ; et mission accomplie.
-Très urbain comme quête.
-Oui, je dis pas non à la ville. J’y suis comme chez moi. Et puis, à force de croiser des gens pour des quêtes ou pour des informations, on connait des gens et ça aide sur les quêtes suivantes. Une quête que je commencerais aujourd’hui, je la récupérerai deux fois plus vite qu’il y a deux ans. Clairement. La nature, c’est bien aussi, mais c’est plus solitaire souvent, comme quête. Moins d’interactions sociales. Et puis, c’est rapidement plus dangereux. Alors on part avec d’autres aventuriers ; quel dommage, mon hôte préféré ne fait pas de quête ; souvent qui savent se défendre. J’aime moins, mais parfois, j’ai envie d’une virée en plein air. C’est aussi ça qu’il faut se souvenir, c’est qu’on peut prendre les quêtes selon nos envies du moment. On est limité qu’aux conditions de la quête que l’on choisit.
Lyanna baille un coup à force d’avoir causer et s’étire un bon coup. Elle porte un regard un peu fatigué sur notre duo avant de sourire légèrement.
-C’en est fini ? Je crois que je vais me bouger moi.
-C’est bien vrai que la soirée arrive. Il serait pas tant que tu rentres chez toi, Kasha ?
Sauf si sa curiosité n’est pas rassasiée, bien sûr. Même si je suis à l’origine de la promenade de la jeune adolescente, il ne faut pas non plus trop inquiéter les parents. Je m’en voudrais d'inquiéter ma maman, moi.
Puis vinrent des informations plus intéressantes. Une personnalité alternative ? Hmm... Cela la fit réfléchir. Pourquoi pas, après tout. Elle se voyait vraiment suivre ses pas, devenir quelqu'un d'autre pour apporter son aide en toute discrétion... Et elle était d'accord, encore une fois. Pour les personnes en face, peu devait importer, puisque de toutes façons, ils ne connaissaient pas la vraie personne non plus. Mais dans ce cas, était-il vraiment nécessaire de se faire passer pour quelqu'un d'autre ? Elle décida que c'était peut-être une assurance en cas d'échec. Ainsi, personne ne pourrait blâmer la véritable aventurière, et quant au personnage, il pouvait facilement dispraître, et peut-être être remplacé...
Mais la femme recommençait à parler. Sa cadette cessa donc de rélféchir, pour l'écouter religieusement. Alors qu'elle racontait, elle vivait cette histoire, comme si elle s'y trouvait aux côtés de la fameuse Lyanna, et en profita pour prendre des notes mentales. Se renseigner un maximum avant même de démarrer la mission. Rester méthodique pendant l'enquête. Parfois faire la police... ça, c'était la partie qui lui semblait la plus hors d'atteinte... Mais, mis à part ça, elle sentait qu'elle pourrait apprendre certaines choses très intéressantes auprès de cette femme... Si tant était qu'elle l'acceptait comme élève... Plus tard. Lorsqu'elle aurait l'âe de rejoindre la Guilde. Et à ce moment-là, cette femme l'aurait peut-être oubliée. Et puis, elle semblait jeune, peut-être ne pensait-elle même pas à transmettre son savoir...
La demoiselle n'avait pas écouté la fin de cette tirade. Par contre, elle remarqua la fatigue de son aînée, et se retint de l'abreuver d'une nouvelle salve de questions. Elle troqua donc sa curiosité contre un sourire poli, tout en lui donnant tout de même l'assurance de son intérêt :
- Vous semblez épuisée, je vais vous laisser tranquille. Mais j'adorerais qu'on aie de nouveau l'occasion d'en parler, plus tard.
Si jamais la femme avait des doutes, les yeux brillants de l'adolescente à ce moment étaient une assurance que son intérêt n'était pas feint. Puis, soudain, brisant la magie du moment, vint la phrase qu'elle ne redoutait plus tellement elle ne voulait pas l'entendre. Elle avait simplement oublié la possibilité qu'elle surgisse à un moment.
Son sourire se figea, et elle se tourna vers son aîné, réticente. Mais elle savait qu'il avait raison. Et puis, après tout, c'était lui l'aîné, c'était donc lui qui savait ce qui était mieux... Et, surtout, c'était lui qui détenait l'autorité sur elle. Elle hocha donc la tête à contrecoeur :
- Oui, il faudrait...
Puis, adressant à regret un signe d'au-revoir à la jeune femme, elle quitta les lieux en traînant des pieds. Elle ne voulait pas rentrer. Mais elle savait qu'il le fallait. Quand soudain, elle se stoppa net :
- Ah, c'est vrai ! Tu te souviens que tu m'avais dit que tu m'accompagnerais ? Tu es toujours d'accord, hein ?
Puis, après une minute de réflexion, elle se reprit :
- Pardon, j'aurais plutôt dû te dire ça avant : merci beaucoup pour cette visite. Et surtout pour m'avoir présenté Lyanna. Je crois savoir ce que je veux faire, maintenant. Est-ce qu'il y aurait quelque chose que je pourrais faire pour toi pour te remercier ?
C'était quand même la moindre des choses. Et puis, elle savait que de toutes façons, son retard allait lui attirer des ennuis. Donc, quelques minutes de plus ou de moins ne changeraient pas grand-chose...
On me dit souvent que ce que je fais, c’est quand même beaucoup de blabla et peu d’actes. Parler des choses, les décrire, raconter des histoires, des anecdotes, partager des expériences. C’est bien, mais dans le fond, ce n’est pas assez. Il n’y a rien de mieux que de vivre ces expériences plutôt que d’y assister à travers l’histoire que l’on peut raconter, enjolivant parfois certains aspects, où plus on raconte l’anecdote, plus on tord la réalité pour qu’elle s’accorde davantage à une vision un peu plus exaltante de ce que l’on a fait. C’est humain. Ça donne parfois l’impression de construire le rêve d’autrui sur un mensonge et la première expérience s’en retrouve plus difficile à vivre. Comme une première rencontre. Du coup, je sentais qu’il y avait mieux à faire et puis je sentais que Kasha n’était pas contre de prolonger davantage son gain de connaissance. S’éloignant visiblement à contrecœur, trainant des pieds vers un proche avenir fait d’une routine d’adolescent, d’une vie peu palpitante à rêver d’une autre vie quand sa propre famille songe à une vie davantage rangée.
Alors, j’ai eu une idée.
-Tu peux m’attendre une minute ?
Evidemment que oui. J’ai fait demi-tour et je me suis approché du panneau des quêtes, sachant très précisément ce que je cherchais. La Guilde accepte toutes les quêtes tant que c’est légal. Et si pour être aventuriers, il faut avoir au minimum seize ans, c’est un peu pareil pour demander des quêtes. Il y a un âge minimal. Mais la théorie sur ce point est fluctuant car il est souvent bien difficile de dire non au visage humide d’un enfant, venu chercher de l’aide auprès de la Guilde, son argent de poche de ces dix dernières années tenues fermement dans sa petite main potelée, alors qu’il lâche sa petite fortune à ses yeux, demandant humblement qu’on lui retrouve son ours en peluche. Ou son animal de compagnie. Ou tant de ces petites choses qui sont pour nous, enfants, nos meilleurs compagnons contre les monstres de sous le lit, la menace des grands, et le terrible danger de la vie d’adulte. Ils n’ont pas l’âge, mais les hôtes et hôtesses les acceptent, gratuitement, et parfois un aventurier bienveillant vient accomplir la quête d’un jeune enfant paralysé par la tristesse de sa perte, contre une somme symbolique pris sur un fond spécifique de la Guilde. Une sorte de caisse noire, mais pour les petits gestes envers nos jeunes. Un grain de poussière dans la huileuse mécanique de la Guilde, mais un solide coup de main pour ces enfants. Qui s’en souviendront assurément.
Certains diront que c’est purement de la communication. Ils ne voient que le mal.
Du coup, je finis par en trouver une, souvent dans un coin, petit bout de papier avec quelques mots attendris pour les mots d’un enfant. Je m’en suis saisi d’un coup et je suis passé au bureau des hôtes. Celui au comptoir m’a fait un sourire avant de valider ma quête, puis je suis revenu à Kasha qui m’a regardé faire mon petit manège, sans rien comprendre, jusqu’à maintenant. Je lui ai alors tendu le bout de papier.
-Je vais t’accompagner, mais il va falloir m’aider, oui. J’ai pris cette quête. Est-ce que tu peux me filer un coup de main ? C’est sur la route vers chez toi. Je crois.
Où comment donner sa première quête à Kasha. Malin, le Jack. Le contexte ? Peut-être vous ne le savez pas, mais il y a des bandes de jeunes dans chaque ville, se partageant des territoires dans une ambiance bon enfant, se faisant des batailles à coup de bataille de boue, de marelles et saut dans des flaques. Notre client, un certain Timmy, a participé à une bataille récemment sur un terrain vague et il y a perdu Roger, sa peluche. Depuis, ses parents lui ont interdit de revenir là-bas, puisqu’il est revenu tout crotter. Alors, il a besoin de nous. Surtout que le terrain vague n’est pas contrôlé par sa bande. Il faudra donc une certaine dose de doigtée, de diplomatie et de stratégie pour retrouver Roger et le ramener à Timmy.
Ça devrait être dans ses cordes ?
Toujours curieuse, elle tendit le cou, tentant d'entendre la conversation... Avant d'abandonner. Alors, bien sûr, elle aurait pu désobéir et le rejoindre, mais il n'était pas dans ses habitudes de désobéir à ses aînés. Et pour une fois qu'elle voulait obéir... Pourquoi ne pas le faire, et étudier les changements opérés en elle par la présence d'une réelle volonté plutôt que la fatalité ? D'autant plus que, pendant qu'elle réfléchissait, Jack avait eu le temps de revenir. Il lui tendait un morceau de papier. La curiosité reprenant le contrôle, elle le prit et le lut avec attention. Retrouver une peluche ? D'après elle, il manquait des informations...
Puis vint la proposition à laquelle elle aurait dû s'attendre. En effet, pourquoi lui faire lire une demande si ce n'était pas pour la lui faire réaliser ? Elle répondit donc avec enthousiasme à la proposition :
- Oui, bien sûr que je vais t'aider ! Je connais bien cet endroit. Par contre... Je pense qu'on manque d'une description de ce...
Posant les yeux sur l'offre pour vérifier l'information, elle termina :
- Roger. Bien sûr, il est très probable qu'on ne trouve pas d'autre peluche, mais on ne sait jamais, imagine que quelqu'un d'autre en ait perdu entre-temps ? Après, bien sûr, on peut aussi récupérer toutes celles qu'on retrouve et il se débrouillera avec ensuite, mais ça m'embête de ne pas avoir l'info précise...
Enfin. Elle n'allait pas chipoter. S'assurant que l'homme la suivait, elle débuta le trajet vers le fameux terrain vague. Avant d'y pénétrer, elle l'observa un moment. Il avait plu, récemment... Pas étonnant que les parents aient interdit à leur enfant de revenir. Dans un pur but de test, elle posa son pied sur le sol boueux, avant de l'en ressortir. Ce court séjour dans la crasse avait cependant réussi à laisser des traces sur sa chaussure. Soupirant en pensant qu'il lui faudrait expliquer pourquoi elle revenait crasseuse une fois de retour face à ses parents, elle tourna son attention vers son aîné :
- Ce sera probablement plus compliqué que prévu... Si cette peluche est enfouie dans la boue, il va probablement falloir creuser...
Elle ne pouvait pas non plus ignorer le fait qu'elle rechignait à aller sciemment se vautrer dans la boue, et cette fois, ses parents n'y étaient pour rien. La demoiselle était un brin précieuse, trait qu'elle refusait de montrer. Certes, enquêter dans la boue serait loin de lui plaire, mais s'il le fallait, elle le ferait. Elle prendrait juste une longue douche en rentrant... Et après avoir négocié avec ses parents, mais c'était une autre histoire.
Alors qu'elle restait toujours à l'écoute d'une éventuelle réponse de la part de son guide, elle prit son courage à deux mains puis alla se placer au centre du terrain vague, avant de lentement tourner sur elle-même, effectuant un premier repérage, au cas où elle verrait quelque chose à la surface, bien qu'elle en doute.
Je restais muet tandis qu’elle faisait la vigie au milieu du terrain vague, attirant les regards. Il y a deux garnements, dans un coin, qui la regardaient, interloquée autant par sa personne que par sa présence ici. Ils avaient l’air particulièrement crasseux et n’avaient sûrement pas peur d’être recouvert de boue. Ils dénotaient clairement avec Kasha et ils ne devaient pas voir souvent de filles de bonnes familles dans les environs. Ils ont jeté un regard dans ma direction, mais comme je ne faisais rien, ils ne s’attardèrent pas trop sur moi. Il y avait aussi un homme à la mine patibulaire, assis sur une chaise sous un auvent donnant sur le terrain, contre ce qui semble être sa maison, nettoyant ces godasses et bougonnant des propos dans sa barbe. C’était calme et visiblement, Kasha n’a que peu de réussite. Alors, je me suis approché, n’hésitant pas à me salir les chausses.
-Observer, c’est bien, mais il ne faut pas hésiter à se mettre à la place des gens. Tu vas me demander qui, mais ça peut être n’importe qui. Si cette peluche est facilement trouvable, quelqu’un l’a peut-être déjà vu et il l’aurait récupéré. C’est le genre de chose qu’il faut prendre en compte. C’est moins vrai à la campagne, mais en ville, il est primordial de parler avec les gens. De se renseigner. Tu ne peux pas tout faire toute seule. Il faut s’appuyer sur les autres pour parvenir à tes fins.
Il y a bien des façons d'interpréter cette phrase, mais dans l’esprit d’une jeune adolescente, je suis sûr qu’elle allait le prendre très bien. Des témoins potentiels, il y’en avait à proximité. Mais qui allait t’elle choisir, si déjà elle arrivait à choisir ? L’homme qui n’avait pas l’air très gentil, mais qui semblait vivre ici, ce qui fait qu’il avait peut-être vu plus de choses que les gamins, qui étaient probablement un peu moins âgé que Kasha, mais qui pouvaient être plus enclins à parler, même s’ils pouvaient être impressionnés par l’adolescente. Vous savez comment sont les garçons en présence de filles, hein ?
-Le secret, c’est d’avoir l’air d’avoir confiance en toi. Si tu hésites, si tu y vas à reculons, si tu n’as pas l’esprit suffisamment clair, les gens ne verront que ça. Si rien ne semble te déranger, ça va déstabiliser même les plus rustres des gars, ça va fendiller leur posture et ils seront plus enclins à répondre à tes questions. Tu peux même t’inventer un nom, une histoire, une attitude. Et si tu mets de la confiance dans ta posture, ils ne la remetteront pas en question.
Un petit conseil utile. Peut-être qu’elle ne l'a pas retenu, mais ici, je faisais juste mon travail. Partager des perles de mon expérience à la jeune génération. Ce que j’ai pu observer. Moi, je suis naturellement sympathique, je n’ai pas trop de problème pour avoir ce que je veux, mais tout le monde n’est pas comme moi. Et la vie n’est pas facile pour eux. Il faut avoir recours à des subterfuges pour réussir. Tout le monde fait ça, alors il n'y a pas de mal.
-Allez, il ne va pas se trouver tout seul !
Et la suggestion qui suivit la fit réfléchir un peu plus à son approche. S'inventer un personnage ? Voilà qui était séduisant. Mais... Ici, en plein milieu du Grand Port, où elle pouvait croiser à tout moment une personne qu'elle avait déjà rencontrée, et à qui elle avait probablement déjà parlé ? Cela éliminait un bon nombre de détails qu'elle pourrait imaginer. Par exemple, elle ne pourrait pas mentir sur son nom ou sa personnalité. Par contre, sur sa famille... Il y avait peut-être là une opportunité. Elle pouvait dire que l'enfant qui avait donné cette quête était l'un de ses proches. Quelqu'un d'assez proche pour justifier qu'elle remue ciel et terre pour lui. Peut-être... Un petit frère ? Dans les fratries, même les plus chaotiques, les aînés étaient toujours prêts à protéger les plus jeunes, non ?
D'accord, elle ferait ça. Elle serait la grande soeur de... Comment s'appelait-il, déjà ? Timmy. Bien. À présent qu'elle avait son rôle, à qui allait-elle bien pouvoir parler ? Observant une nouvelle fois les alentours, cette fois avec plus d'attention, elle repéra d'abord l'homme... Semblant en pleine session de joute verbale avec ses chaussures... Moui, elle allait peut-être éviter de le déranger. Du moins pour le moment. En effet, rien ne l'empêchait de revenir vers lui plus tard, lorsqu'il aurait fini de rouspéter. Elle l'avait déjà vu avec les collègues marchands de ses parents, les personnes les plus bourrues n'étaient généralement pas les moins fréquentables. Il fallait simplement savoir les aborder de la bonne manière et, surtout, au bon moment.
Continuant son observation, elle avisa les enfants. Et sourit. Après tout, elle était là pour un enfant, non ? Discuter avec d'autres enfants pourrait lui apporter des informations précieuses. D'autant plus que la plupart étaient de véritables moulins à paroles, elle n'aurait probablement pas à beaucoup les pousser pour qu'ils lui disent ce qu'ils savaient. La difficulté résiderait certainement plutôt dans la manière de mettre fin à la discussion... Néanmoins, elle verrait le moment venu.
- Avoir confiance en moi, hein ? Je vais essayer.
Après avoir soufflé ces quelques mots à Jack, elle s'approcha de ses cibles, prenant plutôt l'attitude de la grande soeur inquiète, puisque tel était le rôle qu'elle voulait jouer, plutôt que celle d'un conquérant qu'elle s'était imaginée à la mention d'avoir confiance. Non, justement, ce rôle lui permettrait un peu de liberté vis-à-vis de cette fameuse confiance. L'incertitude y était permise. Même si, évidemment, elle devait donner l'impression de savoir ce qu'elle faisait.
S'approchant des enfants, elle tenta de ne pas marquer d'hésitation lorsqu'elle prit la parole :
- Bonjour. Vous êtes d'ici ?
C'était LA question à poser en premier à quelqu'un que l'on croisait dans les rues du Grand Port. En effet, ce lieu brassait tellement de foules qu'il n'était pas rare d'y croiser des personnes ne vivant pas dans cette ville. La simple présence de Jack en était une preuve.
- Ah oui, Madame, on habite juste là, dans la prochaine rue !
- On est voisins, vous savez !
- Vous voulez venir voir ?
Sans même attendre sa réponse, ils continuèrent à lancer des répliques à tour de rôle. Si, au début, Kasha les écoutait, elle finit par décrocher. Mais elle ne devait pas le laisser voir. Tout ce qui l'intéressaient, c'était que ces enfants vivaient par ici, et pouvaient donc lui donner des indices.
- Et, vous savez quoi ? Hier, j'ai trouvé un super nounours, je l'ai appelé Kilian !
Le gamin avait l'air fier de lui, et Kasha tourna discrètement son regard vers son aîné. Etait-il possible que ce soit aussi facile ? Enfin, facile... S'il s'agissait vraiment de ce qu'ils cherchaient, il allait falloir convaincre le gamin de le leur laisser... Et ça, ce ne serait visiblement pas facile.
- Vraiment ? Tu voudrais bien me le montrer ?
Elle avait été obligée de changer de rôle en cours de route. À présent, elle était simplement une fille comme une autre qui s'intéressait au discours sans queue ni tête d'un enfant, juste pour lui faire plaisir. Même si évidemment, en réalité, elle s'y intéressait sincèrement, et ne voyait en l'enfant rien de plus qu'un outil pour l'aider à atteindre son objectif.
-Pas de godasses pleines de boue chez moi !
-Pardon… pardon…
Je me suis déchaussé pour m’approcher. C’est important de respecter les us et coutumes des gens chez qui on va. C’est une manière simple et efficace de démontrer son respect pour autrui. Je me suis noté d’en faire part à Kasha pour une nouvelle leçon de vie du cousin Jack avant d’engager la conversation avec le type qui, malgré sa mine austère, s’est révélé plutôt sympathique. Après les formalités d’usages ; le temps, la famille, les affaires ; on a enchainé sur la présence de Kasha et je lui ai présenté l’affaire qui nous menait ici.
-La bataille de l’autre jour ? Quel bordel ! ça me rappelait mes jeunes années ou j’étais porte-bannière des « arracheurs de doudous ». On n’avait pas plus de dix ans et ont été des terreurs. On arrachait les têtes des peluches. Des vrais crevures. Jusqu’au jour où toutes les bandes de la ville se sont alliés pour se venger. On a pris une sacrée peignée et on a fini par se séparer à causes de dissentions internes. Certains voulaient faire la paix, d’autres se venger. Mais on ne peut pas perpétuer sans cesse le cycle de la violence. Et puis, je voulais me poser.
Toujours passionnant les histoires d’enfants. On sous-estimes trop souvent les fresques épiques qui se passent dans les esprits et les jeux de la jeune génération. Puis, il s’est mis à me parler de la fameuse bataille, après l’avoir subtilement recadré sur le droit chemin, ou une trentaine de gosses se sont faits une formidables bataille de boue sous une pluie titanesque. Il y a eu tellement de gadoue sur les sols des maisons que les mères ont fait pression pour que les gens du coin fassent barrage à toute tentative de recommencer.
-Moi je ne suis pas fan, ça bride la créativité. Mais je n’y peux pas grand-chose, je vais me faire pourrir par moumoune si je ne fais rien. On est tous à la merci des bonnes femmes, hein ?
-Et oui. Elles nous cernent bien.
Alors que Kasha s’était éloigné, suivant les deux garnements, je finissais d’obtenir mes dernières informations. Les deux gamins n’étaient pas bien méchants, mais assez possessifs, d’après le type. Genre même ce terrain vague, ils le réclamaient comme étant leur territoire. Mais à deux, difficile de tenir la position qui sert de lieux de jeux à pleins de bandes. De quoi générer quelques frustrations. Kasha allait devoir démontrer toutes ces capacités à convaincre les deux garçons de lui filer ce qu’ils avaient peut-être récupérés. Et dans cette optique, j’ai pris congé, pour la retrouver. Il s’agissait de ne pas la perdre.
Une fois qu'ils eurent passé le coin de la rue, le garçon qui lui avait parlé du jouet s'engouffra dans une maison, que Kasha supposa être la sienne. Peut-être qu'il s'attendait à ce qu'elle le suive, mais, partant du principe qu'il ne le lui avait pas proposé, même si cela était probablement dû à un simple oubli, elle préférait attendre dans la rue. D'autant plus que son ami, qui l'avait d'abord suivi, semblait revenir vers elle... Se décalant légèrement, afin qu'il ne puisse pas la voir depuis l'intérieur de la maison, elle se retourna vers l'endroit d'où elle venait, faisant signe à Jack s'il semblait en avoir besoin pour la retrouver. Puis, elle reprit sa place pour accueillir le garçon :
- Vous venez ?
- Ah, désolée. Mais, je suppose que tes parents te l'ont déjà dit... On ne va pas chez des inconnus ! Et puis, les parents de ton ami ne me connaissent pas, qu'est-ce qu'ils diraient s'il me voyaient chez eux sans être invitée, à ton avis ?
En y pensant, elle n'inspirait pas non plus spécialement confiance en restant plantée ainsi devant la maison... Heureusement, l'enfant en sortit rapidement, un ours en peluche à la main, qu'il lui fourra presque dans les bras. La naïveté des enfants continuait de l'impressionner... Techniquement, elle pouvait se contenter de trouver un moyen de distraire ces garçons avant de simplement partir avec l'objet... Mais certaines difficultés se présentaient : d'abord, la plus évidente, ils étaient deux. Même si elle pensait être capable d'en distraire un, en distraire deux à la fois, de telle sorte qu'ils regardent ailleurs tous les deux en même temps... C'était une autre paire de manches. Et puis, si elle commettait ce vol, même si bon, voler des voleurs, était-ce réellement voler ? Dans tous les cas, si elle partait avec l'objet, il serait facile, même pour des enfants, de savoir que c'était elle la coupable. Et puis, elle n'était de toutes façons pas une voleuse. D'autant plus qu'elle n'était toujours pas certaine que cet ours soit le bon...
- Dites...
- Hmm ?
Elle était en train d'observer l'ours, l'air de lui demander s'il était réellement celui qu'ils cherchaient. Le garçon pointa une direction derrière elle. Se retournant, elle sut de quoi il parlait. Jack.
- Vous le connaissez ? Il était là tout à l'heure, non ?
... Oups. Il ne lui restait plus que deux solutions. Lui donner un rôle, ou attendre qu'il trouve sa solution lui-même.
Mais elle se doutait également que cette mission était faite pour la tester. C'était donc à elle de trouver comment s'en sortir. Et vite. Les enfants n'étaient pas connus pour leur patience. Alors, elle tenta un énorme mensonge, qui risquait de lui coûter cher si sa stratégie échouait. Mais, si elle réussissait, l'homme n'aurait pas d'autre choix que de se mettre à participer plus activement à ce qu'il était en train de se passer.
Lui faisant de nouveau signe, mais cette fois de manière plus évidente, comme si elle ne l'avait pas fait plus tôt, elle précisa pour ses jeunes compagnons, un peu plus fort que nécessaire, afin que son aîné entende lui aussi le rôle qu'il devait jouer :
- Oh, lui ? Ne vous inquiétez pas, il ne vous fera pas de mal, c'est un ami. Et oui, il était là tout à l'heure, je devais l'aider pour une chasse au trésor !
Avec un clien d'oeil pour les garçons, elle ajouta :
- Entre nous, je pense que ce n'est pas son point fort, parce que normalement, je n'avais rien à voir dans cette partie !
Evidemment, elle avait modulé sa voix pour à la fois sembler faire des confidences aux enfants et être entendue par son aîné. Il lui avait demandé de jouer un rôle ? Eh bien, les circonstances faisaient que c'est lui qui devrait le faire. Même si elle ne serait pas surprise si lui aussi lui en donnait un, en guise de représailles...
-Qu’est ce qu’il se passe ici ?
-Elle a dit que vous étiez nuls !
Ne jamais sous-estimer les garnements à vouloir enfoncer les autres. Heureusement, j’ai toujours eu beaucoup de patience et j’ai pris ça avec le sourire, lâchant un gros regard noir en direction de Kasha même si en vrai, je ne lui en voulais pas, mais cette petite scène eut le don de faire rire à nouveau les deux gamins, habités par l’innocence de leur âge de croire que toutes réactions doit être prise au premier degré.
-Je ne te remercie pas. Par contre, je vois que tu as trouvé ce que je cherchais. Si vous qui l’avez récupéré ?
-Oui ! Il était dans un buisson là-bas !
-Il est à nous !
L’un des deux a eu un geste en direction de la peluche fermement tenu par Kasha comme pour marquer ce fait de possession. Apparemment, Kasha m’avait mis cette histoire sur le dos, quelle drôle de façon de traiter cette quête, mais en soi, je ne pouvais pas lui en vouloir. C’est une saine chose que de faire confiance sur les autres aventuriers de sa quête pour obtenir le résultat désiré. Clairement, me laisser arrondir les angles, c’était avoir l’intelligence de juger que mes capacités étaient les plus propices à réussir la quête. D’autres auraient insistés, quitte à envenimer la situation, guidé par leur fierté mal placé. Il faut savoir lâcher prise quand il le faut. Une autre leçon à ajouter à la liste de cette journée.
-Je comprends bien qu’il est à vous. Agissons entre gens respectables.
Mettre les gamins au même niveau, ça a toujours donné un bon effet. Ils se sentent important. De ma poche, j’ai sorti quelques cristaux que je leur ai montré au creux de main. Leur yeux se sont illuminés.
-Cette ours est abimé et sale. Alors que ces cristaux, c’est beaucoup de bonbons en perspective, non ? Un échange vous intéresse ?
Bonbons ou autre friandises, hein. Qu’on puisse partager avec les copains et les copines, même si à cet âge, c’est plus rare. Les deux gamins se sont retournés un instant pour établir un conciliabule secret et par respect, je me suis bouché les oreilles pour montrer que je respectais leur secret, invitant Kasha à faire de même. Puis, au bout d’une dizaine de secondes, ils se sont retournés.
-Marché conclus !
-Parfait. Il est agréable de faire marcher avec des individus respectables. J’espère que Kasha en prend de la graine. La négociation n’est pas son point fort.
La pique a touché les deux gamins qui se sont esclaffés en regardant la jeune adolescente. Et puis, ça marche dans les deux sens les coups gratuits comme celui là et ce n’est pas parce que c’était une enfant qu’il fallait se laisser marcher sur les pieds. Les garnements ont pris alors rapidement congés, bien décidé à dépenser leur gain bien acquis avant de le perdre, nous laissant seul avec la peluche. Cette fois, il commençait à véritablement faire tard. Alors, j’ai proposé à Kasha de m’occuper de rendre la peluche à qui de droit et de rentrer avant que l’heure ne soit plus possible. Puis de la questionner.
Qu’est-ce que tu as tiré de cette histoire, Kasha ?
Toujours tirer des enseignements.