- Désolée...
De toutes façons, elle pensait que le fait de confirmer qu'elle avait fait une "bêtise" servait ses intérêts, alors, pourquoi s'en priver ?
Puis elle ouvrit de grands yeux, ne jouant aucun rôle, lorsqu'il... Monnaya carrément l'objet de leur convoitise. Kasha se doutait qu'il faudrait négocier, lorsque cette histoire avait commencé, mais elle avait toujours pensé que cela se limiterait à un échange d'arguments. Elle n'aurait jamais imaginé qu'il s'agirait de négociation financière ! Enfin, elle le laissa faire. Visiblement, sa stratégie avait fonctionné. D'un autre côté, c'était logique, après tout. On était au Grand Port, le lieu le plus commerçant de tout Aryon. Elle n'aurait pas dû être étonnée que même des enfants connaissent la valeur des cristaux. Après tout, elle-même l'aurait pu également, si elle avait écouté ses parents, les nombreuses fois qu'ils avaient voulu lui en parler.
Elle obéit à Jack quand il lui donna l'ordre muet de l'imiter en montrant ostensiblement qu'elle respectait le caractère privé de la conversation.
La pique qui suivit la prit de court, mais elle ne put retenir un sourire de capitulation. Elle l'avait cherché, elle le savait. C'était de bonne guerre. Bien joué.
Alors que les enfants couraient dans une direction sans regarder derrière eux, elle suivit son aîné, lui rendant l'ours au passage.
Alors qu'ils retournaient finalement vers chez elle, Kasha se forçant bien consciemment à ne pas penser à ce que ses parents pourraient lui dire une fois arrivés, elle se concentra plus précisément sur la question qui venait de lui être posée. Ce qu'elle avait appris ? Beaucoup de choses. Il allait lui falloir un peu de temps pour rassembler ses idées et préparer une réponse un minimum structurée. Elle ne dit donc rien pendant qu'elle réfléchissait. Elle se souvint du début, elle était allée se jeter directement là où la guidait son instinct, sans réfléchir. Donc, réfléchir, se préparer avant toutes choses. Ensuite, elle avait dû aller parler à des personnes présentes sur place, ce qui lui avait permis de terminer la mission avec succès. Donc, parler aux gens. Elle se souvenait également qu'il lui avait dit d'avoir confiance en elle. Et, finalement, elle avait impliqué Jack lui-même après lui avoir préparé le terrain. À présent, elle pensait pouvoir répondre :
- Alors... Pas de précipitation, discuter avec les gens, avoir confiance en soi et collaborer avec ses partenaires. Ah, et se préparer un minimum en amont.
Elle marqua une pause, repensant à la question. Au vu de la manière dont elle avait été formulée, la formulation de sa réponse ne convenait probablement pas. Il s'attendait probablement à une réponse certes bien construite, mais surtout argumentée, pas dite rapidement sans faire de phrase comme ce qu'elle venait de faire. Se raclant la gorge, gênée, elle finit par se reprendre :
- Et en mieux dit, ça donne... Il ne faut surtout pas foncer tête baissée. Dans l'idéal, il faudrait d'ailleurs peut-être connaître ses collègues, ou au moins leur parler avant de partir, même si dans notre cas, ça n'a pas spécialement été nécessaire. Et, oui, au lieu de se précipiter sur la première piste venue, il faut chercher plus loin, discuter avec de potentiels témoins et, une fois qu'on a trouvé la bonne personne, la persuader de nous aider en utilisant tous les moyens à notre disposition, soit ses propres compétences, dans mon cas, ça a été plutôt de la persuasion et peut-être un peu de manipulation, soit simplement appeler ses alliés à l'aide.
Elle se tut un instant, afin de prendre une pause après une telle tirade. Puis, tournant son regard vers son aîné, elle s'enquit :
- Qu'est-ce que tu en penses ?
Pour ce qui était de ses propos, je me contentais dans un premier temps d’y sourire simplement comme celui qui en savait beaucoup plus, mais qui ne voulait pas tout dire de peur de ne pas se faire comprendre de son élève. C’était juste une représentation, hein, parce que je n’ai jamais été comme ça. Je me contentai au préalable d’une affirmation teintée de philosophie de comptoir.
-Je pense que les enseignements que l’on se fait dépende de chacun et de relation toute personnelle que l’on a entretenu avec ces expériences. Il n’y a pas un enseignement qui est foncièrement le meilleur. Il est très bien de penser à ce que l’on a vécu pour en tirer quelque chose, ça, c’est indéniable, mais ce que tu en déduis t’appartiens à toi seul. C’est par la mise en pratique lors d’autres expériences que tu sauras si ces enseignements sont bons ou pas. Moi, ça me parait bien. Mais peut-être que la prochaine fois, ça se passera mal. Ça ne veut pas dire que c’était un mauvais enseignement. Tout n’est pas sombre ou lumineux. J’en viens à ce point important : il faut savoir rester critique. Comprendre les autres. Se mettre à leur place. Comprendre ce qui les motivent. Quand tu comprends les autres, tu sauras quoi faire. Ou du moins, tu sauras te débrouiller.
C’est quelque chose que j’avais commencé à comprendre à cette époque à cause de mon travail d’examinateur. A force de rencontrer des clients de la guilde, des aventuriers ou du personnel administratifs, parfois pour des questions où une des parties dissimulaient la vérité et c’était seulement en essayant d’appréhender les motivations et l’états de pensées de mes vis-à-vis que j’a commencé à percevoir la vérité. Après, ce sont des grands mots, parce qu’il faut quand même un certains talents pour obtenir ses informations et les moyens de les obtenir sont nombreux, mais une des clés, dans la vie, est là. Avoir un certain pragmatisme à prendre le temps d’appréhender ce qui nous entoure. Il n’y a pas que nous qui évoluons dans cette univers, nous formons un grand tout complexe. Et aujourd’hui, devenu Conseiller de la Guilde, c’est l’histoire de ma vie à chaque instant, car les relations sociales sont indispensables pour ce métier où beaucoup ont d’attente sur mes épaules, en bien comme en mal, et il s’agit de les comprendre aux mieux à leur sollicitations.
-Mais bon, faut pas se faire de bile. T’es encore jeune. Comme disent des vieux, l’expérience est la somme de tes échecs. Il ne faut pas avoir peur de mal faire, ça arrive à tout le monde.
Et sur ce, je lui ai ébouriffé les cheveux. Je sais toujours pas pourquoi. On me faisait ça quand j’étais jeune et j’ai jamais su les raisons d’un tel geste. Encore maintenant, je me dis que c’est comme ça, c’est un geste qui se transmets d’adultes à enfants qui deviennent à leur tour adultes et transmettent ce geste. Evidemment, comme on était sur le chemin du retour, on finit par arriver chez elle. J’ai contemplé un instant la belle barraque. C’est que ça fonctionnait bien pour ses parents au Grand Port. Ma branche de la famille est plus modeste, tout de même à la Capitale, mais dans un secteur un moins prestigieux : la taxidermie. Heureusement, ils ont un fils qui les rend fier.
-Bon. Tu veux peut-être que je vienne te donner un alibi pour ton escapade ? C’est qu’il est pas mal tard maintenant.
Et puis... Elle observa sa tenue, tentant tant bien que mal d'épousseter le bas de sa robe, qu'elle avait salie dans le terrain vague, tout en sachant parfaitement bien que cela ne servirait à rien : c'était de la boue qu'elle avait involontairement étalée sur ses vêtements, pas de la simple poussière facile à retirer d'un revers de la main. Avec un soupir, elle finit par se résigner. Même si, par miracle, elle parvenait à rentrer inaperçue, ses vêtements boueux finiraient par être retrouvés, et elle ne pourrait pas s'en sortir avec une simple pirouette comme à son habitude.
Alors, bien qu'elle n'ait pas envie de l'impliquer plus que nécessaire, elle se sentit obligée de répondre positivement à la proposition de son aîné. Elle ouvrait la bouche pour le lui dire, lorsqu'une idée lui traversa la tête. Elle pourrait dire qu'elle s'était perdue... Qu'elle voulait aller voir l'un des clients de ses parents pour les aider, pour une fois, pour leur faire une bonne surprise, ce qui expliquerait le fait qu'elle ne leur en ait pas parlé, mais que, manquant d'informations quant à l'endroit où cette personne travaillait et surtout au trajet à effectuer pour s'y rendre, elle avait passé l'après-midi à tourner en rond, et avait fini par réaliser qu'elle était en train de marcher dans la boue, sans savoir depuis combien de temps. Elle avait essayé d'en sortir aussi vite que possible, mais cela n'avait pas été suffisant pour ne pas se salir.
Elle pensait que cela pourrait faire l'affaire. Après tout, pour quiconque la connaissait un minimum, son incroyable capacité à se perdre n'était pas un secret...
À présent, il lui fallait choisir. Voulait-elle impliquer son aîné, qui lui avait déjà tant rendu service dans les dernières heures, ou prendre elle-même tout le blâme, en ayant la satisfaction d'avoir au moins fait une bonne action en lui évitant des négociations probablement loin d'être agréables ?
Après avoir pesé le pour et le contre pendant un moment, elle finit par opter pour l'honnêteté :
- Je mentirais si je disais que cette proposition ne me tente pas, mais... Ce serait céder à la facilité, d'autant plus que tu m'as déjà tellement aidée aujourd'hui... Et je viens d'inventer une excuse qui pourrait marcher, et donc t'éviter d'être impliqué, même si je sais que tu me l'avais proposé. Mais ça ne me semble pas bien... J'aimerais t'aider moi aussi, à mon niveau, maintenant.
Puis elle lui raconta l'histoire à laquelle elle avait pensé, un peu pour lui demander s'il la trouvait plausible, mais surtout pour s'entraîner avant la "vraie" situation, celle avec ses parents.
-C’est pas mal, le coup de vouloir leur faire une surprise, mais faudra bien jouer la comédie. Si jusqu’à maintenant, tu étais réticente, c’est tout de même intriguant un changement d’avis, sur un sujet qui tient à cœur tes parents. Faut pas oublier que les parents ont toujours un sixième sens affuté en matière de mensonge, faut que ça soit impeccable autant sur le contenu que sur la façon de le raconter. Aussi, il faut un peu renforcer le pourquoi de rentrer si tard. La honte d’avoir échouer, par exemple. Donner l’impression de porter une culpabilité qui, si elle n’est pas effacée par tes parents, fera que tu n’auras plus envie de faire d’efforts pour aller dans leur sens. Ce qui les incite à accepter plus facilement l’explication pour ne garder ton initiative inespérée de leur faire plaisir. Ne pas lésiner sur les larmes, ou au moins les yeux humides. Ça paie souvent.
Quoi ? ça vous choque de recommander de pleurer pour éviter un savon ? C’est un truc de gosses, non ? C’est normal. Dès que c’est en âge de brailler et de chouiner, ça ne s’en prive pas, pour un oui ou pour un nom. Et c’est universel. Tout le monde l’a fait. Tout le monde est coupable. Je vous mets au défi de dire le contraire. La vérité dans le mensonge, en fin de compte, c’est que c’est difficile à employer. Il faut un véritable travail d’acteur. Ce n’est pas quelque chose que les gens ont facilement. Quand on est gamin, on a l’illusion d’être ultra crédible. C’est une illusion pour nos yeux ingénus. Ensuite, faut savoir encaisser le contrecoup de l’échec. Entre devoir assumer qu’on a voulu enfumer ses parents, on doit assumer d’avoir désobéi. Pas très agréable. A se demander si parfois, le mensonge, c’est à éviter. Moins dangereux. Mais ça, je laisse Kasha l’expérimenter. Chacun à sa propre expérience de la vie et de ses petits jeux.
Bref, il était temps de se séparer. J’avais rendez-vous avec un gamin, pour sa peluche, évidemment, mais aussi avec une bière dans un endroit où je n’aurais pas emmené Kasha. Ils ne font probablement pas de jus.
-Allez. Un moment, il faut se jeter à l’eau. En tout cas, si t’es toujours intéressé par la Guilde quand t’auras l’âge, n’hésite pas à postuler. C’est une grande famille qui ne laisse pas tomber ses jeunes membres. Si c’est ta passion, faut l’écouter. Sinon, tu t’en voudras toute ta vie.
Moi, je suis devenu examinateur. Je m’en suis pas voulu. Une parfaite vie que trop souvent les gens sous-estiment. S’ils savaient comment c’est bien. Mais bon, on va pas refaire l’histoire. On s’est dit aurevoir et puis nos chemins se sont séparés. Pour mieux se retrouver plus tard ?
Surement.
Des larmes ? Vraiment ? Et, avant de penser à se demander si c'était une bonne idée, était-elle seulement capable de pleurer sur mesure ? Il n'y avait probablement qu'un seul moyen de le savoir...
- Je vais essayer, alors. Merci pour les conseils d'aujourd'hui.
Il avait fait sa part. À elle, à présent, de mettre en oeuvre ce qu'elle avait appris au cours de cette journée. Il lui avait donné de bons conseils, à elle de faire en sorte que ce ne soit pas pour rien. Et la première étape serait de modifier son mensonge afin de le rendre plus convaincant. Elle était en pleine réflexion quand elle sentit plus qu'elle n'entendait qu'il reprenait la parole. Alors, elle lui offrit une nouvelle fois son attention... Bien lui en prit. Ne pas hésiter à postuler une fois en âge de le faire ? Une famille ? Du soutien ? C'était exactement ce qu'elle voulait ! Alors, malicieuse, elle déclara :
- Attends-toi à me revoir là-bas, dans ce cas !
Puis il prit congé. Elle lui répondit poliment, et attendit qu'il ait disparu de son champ de vision, avant de fixer la porte de chez elle comme s'il s'agissait d'un adversaire à combattre. C'était là que résidait la prochaine difficulté. Elle devrait être convaincante, sans pour autant surjouer, afin de rester crédible.
Prenant une grande inspiration, elle entra. L'avantage d'avoir les clés était qu'elle avait une chance de rentrer sans être vue. C'était d'ailleurs ce qu'elle faisait habituellement, après ses escapades. Mais, comme elle l'avait déjà remarqué plus tôt, l'heure tardive ne l'aiderait pas... Alors qu'elle refermait la porte derrière elle, elle tenta de se faire aussi discrète que possible, espérant ne pas être vue jusqu'à ce qu'elle ait rejoint sa chambre, son havre, où elle pourrait laver ses vêtements en toute discrétion...