Nivix pouvait donc aider en cas de fracture et semblait du genre à foncer tête baissée face au danger. Quand il eut terminé ses paroles, Ramar l'imagina sans aucun mal frapper un Gévaudan à l'aide de ses poings renforcés par son pouvoir, telles deux massues blanches. Après tout, son propre père avait un pouvoir du même acabit, alors pourquoi pas.

*Je crois qu'ils ne t'ont pas vraiment cru...* commenta Chimère.

*Comme souvent, tu le sais bien. Ce n'est pas grave, vous m'aiderez à être plus efficace, comme d'habitude, et on ne saura pas me reprocher grand chose.* répondit-il dans son esprit, pour ne pas être entendu de ses compagnons.

Leurs objets pouvaient entendre, ce n'était pas un problème. Ils ne pouvaient que le croire, eux, car ils savaient qu'il disait vrai, sinon ils ne l'entendraient pas et ne se sentiraient pas capable de répondre. Mais mettre en doute ouvertement la confiance de l'albinos et la jeune femme ne l'aiderait en rien, au contraire.

*Évidemment, Ramar, tu peux compter sur nous. Chacun de nous pouvons t'aider, espérons juste que ces goules ne seront pas trop nombreuses afin qu'on puisse les gérer ensemble...* commenta à son tour Nolune, de sa voix douce.

La deuxième épée de Ramar possédait cette douceur dont Diolime était incapable et qui surprenait toujours l'aventurier. Une épée avec une telle douceur ne pouvait pas tuer autre chose que des créatures entre ses mains, sinon il ne se le pardonnerait jamais. Cela reviendrait à salir son esprit, même si sa fonction première restait pourtant de trancher, briser voire tuer...

Il lui répondit avec gentillesse, tandis que Nivix entrait en tête dans la grotte, tout recouvert de sa protection osseuse.

*Merci Nolune, et vous tous. Nous gèrerons tout ce qui viendra, au mieux grâce à notre coopération, et surtout, si vous repérez quoi que ce soit qui puisse nous être utile pour retrouver le garçon, faites-le moi savoir dans l'instant, quand bien même je serais en combat ou même blessé. Il est notre priorité.*

*Naturellement, Ramar, on ouvre l’œil, comme vous dîtes. De toute façon, tu ne vois pas dans le noir, toi, nous on ne voit pas comme vous, donc le noir ne nous gêne pas. Tout ira bien, on le retrouvera.*

Chimère avait raison, la nyctalopie ne faisait pas partie des compétences du jeune homme, mais les objets n'en avaient pas besoin pour "voir". Ce sont des objets, ils ont leur propre conscience et leurs propres sens, à leur manière. Mais il ne se leurrait pas : ils n'étaient pas non plus capables de repérer aussi bien qu'à la lumière, même s'ils restaient plus efficaces qu'un humain comme lui.

Heureusement, lorsqu'il entra à son tour dans la grotte, ses armes dégainées, Sofia, devant lui, lui fit signe de se placer près d'elle et de la suivre tandis qu'elle allumait sa lampe magique. Il lui fallait quelque chose de similaire, pour plus tard, ça devenait urgent. Jusqu'ici, les rares fois où il était entré dans des endroits obscures, il avait confectionné une torche ou en avait trouvé une, mais là... Sofia le sauvait, d'une certaine manière.

Il lui fit un signe de reconnaissance et obéit, se plaçant à ses côtés, laissant Nivix devant. La grotte ressemblait à un long boyau unique, mais Ramar se doutait que bientôt cela se complexifierait. Il allait fouiller dans sa besace pour trouver une idée afin de préparer le chemin du retour, mais Sofia fut plus rapide. Elle eut la même idée et récupéra une pierre au sol pour marquer les murs en hauteur.

Le jeune homme lui fit un signe du pouce pour la remercier et lui faire comprendre silencieusement que l'idée était bonne, avant de reprendre ensemble leur route. Profitant de la lueur offerte par la lampe de Sofia, il observa toutes les parois, au loin, guettant le moindre mouvement suspect et surtout le moindre bruit. Si certaines goules pouvaient user d'illusions, il faudrait s'y préparer.

Pour ça, Ramar garda en mémoire les apparences de ses deux compagnons le plus précisément possible, des fois que l'illusion en ferait apparaître d'autres. Chimère se resserra légèrement contre son cou, afin de le protéger du froid et de l'humidité. Mais comment se protéger au mieux des illusions ?

L'aventurier réfléchit quelques instants avant de demander une faveur à Chimère : il lui demanda de lui décrire tout ce qu'elle voyait, afin qu'il puisse comparer s'il y avait une différence. Il y avait fort à parier que les illusions n'avaient pas d'effet sur les objets, cela pourrait alors être son avantage pour les différencier facilement.

Ainsi, tandis qu'ils s'enfonçaient peu à peu sous terre, Ramar recevait en permanence ce que son écharpe lui décrivait, ce qui pour le moment, restait identique à ce qu'il voyait lui-même.

Tandis que les deux autres aventuriers s'affairaient à essuyer leurs armes de la manière qui leur sied, Ramar s'intéressa aux murs. De sa lampe magique, il parcourut toute la roche qu'il put, sur toute la largeur et la hauteur qui le séparait de ses compères. Mais il ne trouva rien d'autre que de la roche reflétant vraisemblablement sa lumière.

N'ayant aucune connaissance particulière en la matière, il questionna ses objets. Seuls ses silex lui donnèrent une réponse plus ou moins satisfaisante : cela pouvait être de l'obsidienne, mais ils n'avaient jamais croisé qu'un seul petit galet chez un marchand, donc ils n'apportèrent aucune certitude.

Ramar resta donc là, quelques pas derrière les autres, à scruter un fragment brillant, réfléchissant à ce que tout cela pouvait signifier. Sans qu'il y fasse attention, l'odeur des goules lui parvint peu à peu, mais il ne fit que froncer du nez par réflexe que Chimère, son écharpe, vint se placer autour de son cou en englobant sa bouche et son nez pour les camoufler de ces désagréables effluves.

Il la caressa en remerciement, entendant son contentement dans son esprit.

Pendant ce temps là, il entendit Nivix demander de la lumière pour examiner les cadavres. L'albinos avait un mauvais pressentiment, ils étaient deux... Ces monstres s'étaient intéressés aux murs, mais pourquoi ?

Sofia le rejoignit alors. Elle avait des connaissances supérieures aux siennes puisqu'elle suggéra rapidement de l'obsidienne. Et, à sa surprise, elle ouvrit une pierre à l'aide d'une de ses lames : la pierre saigna, littéralement.

De l'hématite... Malheureusement, ni une information ni une autre ne s'avérait utile. Cela ne résolvait pas réellement le comportement des créatures, malgré l'idée de Sofia. Ramar redescendit sa lampe et l'accrocha à sa ceinture. Il dégaina ses lames avant de répondre succinctement.

Peut-être... Mais ça reste étrange. Continuons, même si ça sent mauvais, on doit retrouver le petit.

Ramar attendit que Nivix soit prêt à reprendre la marche ainsi que Sofia, dans la même formation que précédemment, et il suivit. Toujours avec la même stratégie, ses objets lui décrivant la scène en tant que comparatif pour déceler de potentielles illusions.

Mais ils étaient tous sur leurs gardes, plus encore maintenant que le premier contact avait été établi de manière si soudaine et étrange.

Ramar suivit Nivix avec Sofia et le laissa faire sa ronde étrange avec son familier, au niveau du nouvel embranchement rencontré. A l'entrée d'un chemin se trouvait une sorte de totem avec un casque de mineur et un sac, visiblement rempli d'objets pour ce corps de métier. Il semblait éventré mais peu probable qu'il y manque quelque chose.

L'aventurier laissa l'albinos tourner avec son animal et s'approcha des objets. Eux, ils pouvaient être utiles pour comprendre ce qui se passait ici. C'est alors que Nivix proposa d'aller dans la direction de ce chemin en particulier. Ramar le regarda, stupéfait, et lui répondit simplement.

Je... vais d'abord parler avec ces objets. Ils savent peut-être quelque chose et je préfère ne pas tenter la chance quand j'ai cette possibilité-là.

Il était étonné que l'aventurier ait oublié sa capacité à parler aux objets, surtout au moment où ils en rencontraient et alors qu'ils en avaient parlé juste avant d'entrer ici. Mais peu importait, il était temps de se montrer plus utile. Il s'agenouilla devant les objets et les observa. Le sac n'était pas éventré par des griffes, comme il l'avait pensé, juste ouvert en vrac. Divers outils en sortaient. Mais le casque était le seul à avoir été posé de façon bien précise. Il s'adressa donc à lui, avant de s'adresser à l'ensemble.


Bonjour ! Je ne sais pas qui vous a laissé ainsi, mais je me nomme Ramar. Je ne vous veux aucun mal, j'ai simplement la capacité de vous donner la possibilité de parler avec moi. Tous les objets qui m'accompagnent ont cette possibilité. dit-il doucement pour éviter que cela ne résonne et plus encore de brusquer les objets.

Il tendit son bras sur lequel son écharpe, Chimère, vint serpenter avant de relever son bout tel une tête, l'inclinant pour se présenter à son tour.

Je suis Chimère. Vous pouvez m'entendre grâce à sa capacité, preuve qu'il ne ment pas. Vous pouvez lui faire confiance, nous ne voulons que savoir ce qui se déroule dans cet endroit et retrouver un jeune enfant qui y aurait été emmené par des goules.

Ramar acquiesça de la tête et s'adressa à chacun des outils et au casque, sur le même ton.

Vous semblez tous être des objets fidèles, votre usure est la preuve de votre efficacité. Vous avez même la capacité de protéger votre porteur, dit-il en regardant le casque, aidez-moi à comprendre et à protéger cet enfant.

Il leur laissa un peu de temps pour réfléchir avant d'ajouter une demande.

Acceptez-vous que je puisse vous emmener avec moi afin que vous puissiez nous aider plus efficacement ? Je pourrai vous rendre à votre propriétaire, peut-être, quand nous serons sortis d'ici. Enfin, si aucun piège n'a été installé parmi vous ?

Il laissa ses demandes, attendant patiemment. Ses compagnons le traiteront peut-être de fous, mais ils étaient le meilleur espoir qu'ils avaient depuis un moment pour retrouver l'enfant. Il ferait donc tout son possible, mais ne prendrait aucun risque inutile.

Cette cacophonie aurait scié la tête de n'importe qui, mais pour Ramar qui y était familier, ce n'était rien de plus qu'une assommante harmonie, tout au plus. L'étal d'un marchant pouvait se révéler bien plus assourdissant que ce pêle-mêle d'outils usés.

Chimère remonta autour du cou de l'aventurier pour lui recouvrir le bas du visage et le protéger au mieux des odeurs nauséabondes de ces galeries. Sentir l'odeur qu'elle transportait fit doucement fermer les yeux au jeune homme, qui s'éloigna momentanément de la bagarre mentale que se livraient les objets. Dans la douceur de cette attention et du parfum qu'il reniflait, Ramar décela une petite voix à peine perceptible. Elle appartenait à un petit marteau de précision. Grâce à cela, il put comprendre un peu mieux ce qui s'était passé. Manifestement, les goules passaient bien par ce couloir, ils avaient mangé le propriétaire d'une partie de l'équipement, l'autre n'était simplement pas revenu. Mais il se doutait qu'il était mort aussi...

Comprenant que les objets n'auraient pas bien plus d'informations, il les remercia, interrompant leurs vociférations, avant d'en emporter seulement une partie :

Merci à chacun d'entre vous, Mino comme vous tous et ce petit marteau. Si je comprends bien, nous sommes sur le bon chemin mais ça va devenir plus dangereux. Je vais donc me permettre d'emporter avec moi quelques uns parmi vous, afin de m'aider à identifier ce qu'on trouvera. Je ne vous promets pas de retrouver tous vos maîtres en bon et due forme, mais au retour, je vous sortirai d'ici pour vous rendre aux villageois.

Il ne mit pas longtemps à faire son choix : il garda Mino, le casque, le petit marteau qui semblait plus utile que les autres pour comprendre la situation, et la pioche qui avait lancé les hostilités. Ce dernier et le premier semblaient bien se connaître et assez vivaces : ils pourraient bien se montrer utiles pour autre chose que piailler. Et Nivix possédait déjà une masse, pas besoin de doublon dans l'équipe. Le casque, quant à lui, serait une protection non négligeable, pensait Ramar.

Il accrocha donc la pioche à sa ceinture, suivi du petit marteau dans une boucle de son plastron et de Mino, trouvant place évidemment sur sa tête. Certains objets restés dans le sac geignirent un peu mais il ne s'en préoccupa pas : la plupart avait compris ses intentions et ne s'en plaignait pas. Ceux l'accompagnant firent juste quelques commentaires au départ, puis les deux chamailleurs reprirent doucement leurs joutes, mais bien moins agressivement qu'auparavant.

Ramar se tourna finalement vers Nivix et Sofia, leur indiquant le bon couloir à prendre.

Par ici. Des mineurs sont déjà morts. L'enfant, ça presse. dit-il simplement, la mine sombre.

Silencieusement, ils reprirent leur formation et avancèrent, Nivix en tête.

Ramar dégaina à nouveau Diolime et Nolune, ses deux lames. Ils avancèrent un peu mais rapidement, plus loin dans le couloir, des gigotements près du sol se firent évidents. La lumière de leurs lampes finit par atteindre l'endroit et éclaira une scène plus répugnante encore que le massacre précédent : une goule se faisait dévorer par trois autres. Avaient-elles si faim que cela ? Ce ne pouvait être qu'une mauvaise nouvelle pour l'enfant enlevé, si elles en venaient à se manger elles-mêmes...

Dans le même temps, malheureusement, les deux objets chamailleurs se mirent à caqueter encore plus, empêchant l'aventurier de se concentrer réellement. Alors que Nivix et Sofia se préparait manifestement à attaquer les cannibales qui les avait repérés, depuis, Ramar resta un peu plus en retrait, mettant plus de temps à mettre son esprit en ordre, par conséquent.

Mais l'origine du brouhaha trouva sens. Une créature s'agrippa à lui par derrière, au niveau de ses épaules et le surprenant par la même occasion. Personne, pas même Chimère, ne l'avait vu venir. La goule chercha à planter ses griffes dans sa chair, au-dessus de ses épaules. Elle y parvint, en partie : les spallières de l'aventurier et la partie haute de son plastron le protégèrent partiellement en gênant les griffes. Elles parvinrent tout de même à s'insérer au travers de liens de cuir, rendant la blessure moins profonde que redoutée. Toutefois, la surprise et la chair percée combinèrent pour qu'il laisse échapper un cri de souffrance bref.

Il voulut écraser la bestiole contre le mur en reculant rapidement contre, mais une tentacule noire vint s'occuper de la goule avant même qu'il ne s'élance. Sofia avait réagi au quart de tour. Il lui lança un regard reconnaissant tandis qu'il rangeait Nolune afin de pouvoir tâter ses plaies. La goule gisait alors au sol, quant il comprit l'erreur qu'il venait de faire. Trois autres goules arrivaient encore derrière, et il n'avait plus qu'une épée en main.

Mais avant qu'il puisse pester contre lui-même, un second tentacule noir s'enroula autour de lui, comme pour le protéger à l'intérieur d'un cocon. Il comprit aussitôt l'idée de Sofia, mais ne s'attarda pas. Elle leur avait expliqué, avant d'entrer dans cette mine, la nature de ses pouvoirs. Les voir en action était impressionnant, il ne manquerait pas de la remercier à la fin, car elle lui permettait de laver ses plaies.

Il sortit sa gourde et s'aspergea les épaules. Il ne pouvait se dévêtir pour s'occuper mieux de ses blessures et un roulement des épaules lui avaient fait comprendre qu'il y avait eu plus de peur que de mal. Les laver devrait les assainir un peu, pour éviter une infection, Chimère commençait déjà à les frotter doucement de ses plumes pour le soulager dans ce sens.

Plus aucun objet ne pipa mot dans son esprit. Même Diolime, sa lame de loin la plus bavarde, avait comprit la situation. Ramar fit un signe de tête à Sofia et dégaina à nouveau Nolune. Nivix pourrait sans doute s'occuper des cannibales. Sofia et lui se feraient les embusquées. Le jeune homme avait un compte à régler avec elles, de toute manière. Concentré à l'extrême et prêt à recevoir les adversaires, il attendit que Sofia retire sa tentacule protectrice, en position pour contre-attaquer dès qu'il en aurait la possibilité. Ses ennemis n'avaient pour elles que leurs griffes, il pourrait facilement les dominer grâce à son allonge, d'autant plus s'il usait correctement de ses deux lames pour cela. La concentration commune qu'il avait avec elles lui ôta ce doute : ils se connaissaient trop bien, depuis le temps...