Son sourire narquois se laisse apprivoiser par ce baiser timide, qu'elle prend son temps pour apprécier. C'est qu'il a les lèvres douces, notre Aslander ! Et un petit arrière-goût de larissa, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Java finit par lentement éloigner son visage du sien, elle lui prend la main et dépose un autre petit baiser dans le creux de son poignet, et puise dans ses dernières forces de la journée pour se hisser sur le quai et s'asseoir au bord, faisant face à l'aventurier. Cette fois, elle ne lui tend pas la main. Ce n'est pas parce qu'il avait franchi un palier jusque là interdit d'accès qu'elle allait le laisser prendre toutes ses aises, non plus !

Java profite que ses cheveux soient mouillés pour les démêler aux doigts, comme on jouerait de la lyre. Une lyre un peu déglinguée, certes, mais laissons la douceur de cette nuit d'été à nos deux protagonistes.

▬ Le jasmin, c'est une tradition familiale. Y a des dames qui mettent du parfum, bah les femmes de ma famille utilisent directement les fleurs. J'suis pas très « traditions » mais j'aime bien l'odeur... alors ma famille m'en envoie de temps en temps à la caserne. Pas besoin de le remplacer, en gros.

Tout en parlant, Java retire sa veste pour l'essorer avant de la plier avec soin pour la placer à ses côtés. Elle aurait bien fait de même avec le reste de ses vêtements, mais son sens de la loi passait avant son goût pour les bains de minuit. Pas d'exhibitionnisme en public, c'est illégal !

▬ Je blaguais, hein. Tu m'as déjà tenu compagnie, payé un repas, une bouteille... Je vais pas t'en demander plus, j'sais même pas comment j'vais te remercier pour tout ça !

La lune revient pour dévoiler son sourire devenu attendri. Certes, sa proposition était probablement loin d'être désintéressée... mais dans les faits, elle savait très bien que s'imposer chez quelqu'un, c'était mettre le bazar dans ses petites habitudes, même pour une nuit. Et peut-être que celui-là avait l'habitude des invitées d'une nuit, mais Java restait elle-même. A ses yeux, ce serait plutôt elle qui aurait dû l'inviter à dormir – mais bon, même s'il faisait partie de la Guilde, il avait probablement bien des options plus confortables à sa disposition.

Elle retire ses chaussures, qu'elle tape contre le bord du quai pour en faire sortir le trop plein d'eau, et les place à côté de sa veste. Marcher pieds nus au Grand Port ne la gênait pas particulièrement, après tout. Cela fait, elle commence à retirer les bandages de ses poings, eux-mêmes imprégnés d'eau salée – ce qui n'était pas très agréable étant donné que les plaies de sa rencontre avec Leoven venaient à peine de cicatriser, et que ses phalanges... étaient toujours autant à vif que d'habitude.

Machinalement, elle demande à Aslander :

▬ Peut-être que ce serait ça, la punition ultime ? J'peux t'assurer que ton garde-manger ressemblera plus à grand chose si je viens chez toi. En plus, je me lève à l'aube pour m'entraîner, donc tu risques de vraiment passer une sale nuit !

Elle éclate de rire – difficile de résister. Elle était probablement en train d'offrir à l'aventurier ce qu'il s'était mis en quête d'obtenir depuis le début, mais il n'avait clairement aucune idée de ce dans quoi il s'embarquerait. Ou peut-être que si, à ce stade.

▬ T'en dis quoi ? J'ai d'autres idées assez sympas sinon, mais je ne sais pas si elles arrivent à la hauteur de tes méfaits...

Ses bandages mouillés viennent trouver leur place avec le reste de ses affaires, et elle regarde attentivement le jeune homme. Est-ce qu'il était assez fou pour dire oui ? Est-ce qu'il était assez raisonnable pour dire non ?
La suite au prochain épisode.

Java continue de rire et prend la bouteille en main (qui, heureusement, avait échappé à un plongeon funeste) pour boire un coup, avant de la reposer à côté d'elle. C'est qu'il en redemandait, le bougre, et pas qu'un peu ! Et ça l'amusait bien, de voir quelqu'un demander à la subir plus que nécessaire, quelqu'un qui l'avait vue manger et qui était prêt à lui offrir l'accès à ses cuisines... Oh oui, c'était bien drôle. C'était assez touchant aussi, mais ça, elle ne savait pas bien l'exprimer, alors elle lui donna juste une bonne tape dans le dos pour témoigner son contentement.

▬ Mais c'est qu'il a peur de rien, le p'tit Aslander !

En effet, elle en arrive presque à se demander s'il ne serait pas un peu trop téméraire. Heureusement pour lui, si c'était le cas, alors c'était un défaut qu'ils avaient en commun, et qu'elle ne pouvait qu'apprécier – à condition que ça l'arrange, bien sûr. Mais au fond, Java sait déjà qu'elle lui a tout pardonné... Elle ne l'aurait pas laissé s'en tirer entier sinon, de toute façon. Alors, que faire ? Il continuait de lui tendre toutes sortes de bâtons pour se faire battre, et c'était quand même bien drôle de le taquiner. Donc pourquoi s'arrêter ?

Elle prend à nouveau appui sur son épaule, cette fois pour atteindre son oreille.

▬ Je pourrais te forcer à courir dans toute la ville sur les mains... Planquer un ou deux clones vers chez toi pour qu'elles te jettent des algues qui puent quand tu t'y attends pas... Glisser une potion de jouvence entre tes lèvres pendant que tu dors...

Java joue avec sa voix pour qu'elle soit la plus douce possible, et continue d'énumérer d'autres farces stupides dans le creux de l'oreille de l'aventurier. Pour rappel, elle considérait que tout ça, là, c'était moins pire que de l'accueillir chez lui. Et c'est bien pour ça qu'elle ne se gênait pas pour grossir un peu les traits : en quelque sorte, c'était son dernier avertissement. Elle finit par lui croquer l'oreille furtivement, avant de conclure en riant :

▬ Ou juste te ficeler et te faire rôtir à la broche, hahaha !

Et elle boit à nouveau.

▬ On va éviter, hein ? Je pense que tu vas déjà bien regretter de m'avoir invitée chez toi, j'te jure que j'suis loin d'être un cadeau.

Et elle boit encore. Puis elle se rend compte qu'elle monopolise un peu cette bouteille qu'elle voulait partager, alors elle la tend à Aslander.

▬ J'espère que t'habites pas trop loin par contre, parce que sinon tu vas devoir me porter, et je pèse mon p'tit poids ! Mais c'est pas ma faute, même quand j'ai bien mangé, l'alcool en fin de journée, ça m'sonne...

Et surtout, ça lui donne chaud. Information qu'elle se garderait bien de partager avec l'aventurier – bien que son pouvoir aurait peut-être pu l'aider. Le sous-entendu était beaucoup trop... Parlant, disons, et elle n'aimait pas trop ça. Java se connaissait suffisamment bien pour savoir qu'elle en disait soit trop, soit pas assez. Et dans le domaine qu'on approchait, elle préférait largement qu'on lui reproche un trop peu, plutôt qu'un excès.

Elle finit par de nouveau s'affaler, gardant cette fois appui sur ses coudes pour faire mine de tenir à peu près encore bien – même si la liqueur commençait à lui chauffer les tempes, et que la lune grimpait lentement dans le ciel, elle sentait que la soirée serait aussi houleuse que l'après-midi... Une journée qui, décidément, s'était révélée aussi imprévisible qu'un voyage en mer.

Java est bien heureuse de voir que l'aventurier a compris son signal, et qu'il ne tarde pas plus avant de la guider jusqu'à sa demeure. Tant pis pour les étoiles – elles seront toujours là plus tard. Il l'aide même à marcher, ce brave petit. Enfin, ce brave grand petit. Bref, notre garde pompette avance à l'intérieur lorsqu'il lui ouvre la porte, et pour la deuxième fois depuis le début de leur aventure : les bras lui en tombent.

Elle ouvre la bouche puis la referme, rien qu'en voyant l'agencement de l'entrée, tiquant sur chaque détail de chaque meuble. Ce n'était pas du tout la première demeure de riche dans laquelle elle mettait les pieds, mais d'habitude elle y venait pour remplir ses devoirs de garde. L'idée d'être invitée chez Aslander, qu'elle n'avait rencontré qu'aujourd'hui, avait quelque chose de très perturbant une fois qu'elle se concrétisait. D'habitude, quand elle rendait visite à quelqu'un en dehors de ses obligations, c'était une personne qu'elle connaissait déjà, et elle venait avec un petit cadeau symbolique, et... Et ça n'avait rien à voir avec la situation actuelle.

Forcément, Java ne sait pas trop où se mettre, du coup. Bon, déjà, poser son sac et son arme dans un coin, c'est la moindre des politesses. Est-ce que c'est malpoli si elle caresse le tapis ? Est-ce qu'elle a le droit de toucher les rideaux ? Ah, Aslander veut monter. Est-ce qu'elle peut mettre ses doigts tout crades sur la rampe ? Bon, non, c'est peut-être mieux de s'appuyer sur lui pour éviter une vilaine chute. Par contre, même alcoolisée, même en grimpant des escaliers - tout en veillant également à ce que le grand bonhomme qui la guidait ne tombe pas non plus - elle ne se gênait pas pour tout toucher avec les yeux. Chaque ornement de cadre, chaque détail d'ébénisterie sur un petit coin de meuble, tous ces travaux d'orfèvre dont elle ne connaissait que les coulisses, et jamais la scène.

Elle est tellement fascinée qu'elle ne bronche même pas lorsqu'il lui prend la main, allant de son petit commentaire sur chaque pièce – très belle chambre, salon confortable, cuisine qu'elle allait définitivement fouiller de fond en comble, salle de... bains ? Tiens, oui, c'est vrai que les citadins aisés avaient facilement accès à la magie de l'eau courante, eux. Java tourne sur elle-même pour parcourir la pièce du regard, et ne se rend même pas compte que la grande main chaude de l'aventurier a quitté la sienne.

Effectivement, se laver était une très bonne idée – sinon, ils allaient tous les deux se réveiller avec une bonne odeur d'iode marinée, et c'était jamais très agréable comme odeur, même avec un estomac solide. Elle hoche la tête jusqu'à ce qu'il parle de lui prêter une chemise... Une chemise, comme sa chemise toute belle, qui avait tant perturbé son clone lorsqu'il l'avait laissée à terre ? Cette part d'elle qui sait qu'elle ne mérite pas vraiment de se parer de ce genre de matières a envie de refuser – mais son besoin de se démarquer de ses doubles, l'occasion de pouvoir en profiter pour rincer ses vêtements, et accessoirement, sa pudeur, entrent en conflit avec cette petite voix. Alors la petite voix se tait, et Java prend la parole à sa place, avec un embarras qui se lit sur son visage.

▬ Heu... Ouais, on fait comme ça. Merci.

Ainsi donc, Java entre dans la salle de bains et ferme la porte derrière elle. Bien entendu, elle commence par se déshabiller, et rincer rapidement ses vêtements, qu'elle essore et accroche là où elle peut. Ensuite, c'est l'heure de la douche. Elle avait grandi en se lavant derrière la chaumière de ses parents avec une bassine, puis avec les douches de la caserne – mais inutile de vous préciser que c'était bien la première fois qu'elle avait l'occasion de se laver dans une demeure aussi luxueuse.

▬ WAAAH !

Non, ce n'est Wah Loudji, le célèbre acrobate du cirque itinérant de Marion. C'est Java qui se rend compte qu'en plus de l'eau courante, il y a aussi de l'eau chaude. Évidemment, à la dure. Mais elle finit par réussir à ajuster la température, pour trouver exactement celle qui lui convient. Et si elle n'était pas aussi loin de sa zone de confort, elle ne se gênerait probablement pas pour rester sous l'eau pendant une petite heure... Mais après tout, Aslander ne l'avait-il pas invitée de bon cœur, en toute connaissance de cause, malgré tous ses avertissements ? Bon, peut-être qu'au lieu de ses toilettes de chat de cinq minutes, elle allait en profiter pour rallonger un peu sa douche... Vingt minutes, ce n'est rien, dans la vie d'un homme.

▬ MAIS REVIENS !

Ça, c'est Java qui se rend compte que le savon, sous l'eau qui coule, devient un ennemi à vaincre. Par réflexe, elle avait pris le savon qui semblait être le plus utilisé – pour elle, ça voulait soit dire qu'il fallait aider à le finir, soit que ça ne gênerait pas s'il servait une fois de plus ou de moins. Après s'être cognée deux fois contre le même mur, elle réussit à gagner son combat pour reprendre le savon en main.

▬ Aïe. Aïe ! Aïe aïe aïe, mais raaah, zut, AÏE !

Ça, c'est Java avec ses plaies sur les mains, et le savon qui rentre dedans. Sa main gauche était toujours marquée par les griffes de la petite valkyrie qu'elle avait aidée lorsqu'elle était arrivée en ville, et ses phalanges étaient dans leur éternel état catastrophique, alors forcément : ça pique. Et puis l'eau chaude n'aide pas trop non plus avec ce genre de sensations. Alors Java finit de se laver en râlant – de toute façon, vu comme les sons résonnaient dans sa pièce, on n'était plus vraiment à un bruitage près.

Elle prend une serviette pour se sécher, prenant bien garde à ne pas la tâcher avec ses blessures rouvertes par l'eau, puis entrouvre la porte pour récupérer la chemise dont Aslander lui avait parlé d'un geste rapide. La porte refermée, elle examine cette chemise... Qui lui semblait vraiment, absolument, beaucoup trop belle pour qu'elle la porte. Mais elle avait déjà accepté, alors tant pis. Elle l'enfile, et replie soigneusement les manches jusqu'à ses avant-bras – pour éviter de les froisser, de les tâcher, et surtout, retrouver ses mains dans cet énorme voile de bateau.

Bien sûr, Java n'étant pas spécialement habituée aux vêtements boutonnés, elle ferme sa chemise un peu n'importe comment... A ce stade, elle n'avait pas confondu lundi avec mardi, mais carrément mélangé tous les jours de la semaine. Eh, au moins, la chemise était boutonnée ! Elle fait de son mieux quand même, après tout.

Maintenant drapée dans sa robe de fortune, sa petite tête pompette rafraîchie par une douche bien agréable (malgré ses péripéties), elle se retrouve livrée à elle-même. Bien sûr, elle ne doutait pas que le bel aventurier allait probablement revenir d'un moment à l'autre, mais d'ici là... est-ce qu'elle ne pourrait pas se permettre une petite folie ? A pas de loup, elle s'approche de la chambre qu'il lui avait montrée et pousse la porte leeeentement pour éviter qu'elle grince... Pour se jeter à plat ventre dans le lit.

Ce confort ! Cette décadence ! Ce moelleux ! Elle fait une petite galipette, et se relève pour voir un peu si ce lit est aussi solide qu'il en a l'air. On dirait bien ! Comme une gamine, elle sautille un peu dessus – produisant de mélodieux grincements atroces, qui étaient probablement l'équivalent du lit qui hurlait au scandale – puis se laisse tomber sur les fesses. Ça rebondit bien, les lits de noble, quand même. Rien à voir avec ses oreillers en caillou ou les lits rigides de la caserne.

Peut-être pour le meilleur, peut-être pour le pire, Java commençait à se sentir de plus en plus à l'aise dans chaque pièce. Parce qu'évidemment, il fallait qu'elle saute sur le divan du salon pour le tester aussi ! Qui s'était renversé sous le choc, mais elle l'avait remis à sa place et elle avait bien vérifié qu'elle n'avait rien cassé, donc tout allait bien. Maintenant allongée de tout son long dans ce divan qui, s'il pouvait parler, l'insulterait de tous les noms, elle médite à sa prochaine bêtise. Elle aurait bien fait un tour par la cuisine, mais l'estomac rempli, ça avait moins d'intérêt, forcément. Tiens, est-ce qu'elle pouvait tenir en équilibre sur le coin du fauteuil, là-bas ? Elle grimpe dessus et se positionne sur le bord, attirée par la difficulté de l'exercice.

Rappelons qu'à ce stade, l'alcool n'était probablement pas innocent dans son ordre de priorités. Rappelons également qu'elle n'aurait jamais osé faire ça dans d'autres circonstances, mais là... c'était juste trop tentant. Tendant les bras pour essayer de stabiliser le fauteuil, qui oscillait dangereusement sous ses pieds, des bruits de pas attirent son attention.

▬ J'suis dans le salon ! Viens voir, je suis trop forte !

Rien à voir avec ses remerciements gênés de tout à l'heure, oui. Mais en même temps, elle était vraiment fière de son petit exploit auto-proclamé ! Ce qu'elle n'avait pas pris en compte, par contre, c'est qu'en mettant les mains autour de sa bouche pour accentuer son cri, elle était en train de dangereusement perdre l'équilibre qui faisait sa fierté. Et le fauteuil semblait s'énerver sous ses pieds, autant qu'un meuble en soit capable. Mais il fallait qu'elle maintienne sa position, pour qu'elle puisse impressionner Aslander !

… Une minute. Quand est-ce que c'était rentré dans ses priorités, ça ?

Le drame.

Le fauteuil bascule dans un sens, Java dans l'autre, et elle voit déjà la vie de ses dents défiler devant ses yeux. Ces pommes qu'elles croquaient, ces nœuds qu'elles serraient, ces sourires qu'elles illuminaient... Elle n'a même pas le temps de se mettre en position pour faire une roulade, ou simplement rattraper sa chute d'une quelconque façon. Sauf que quand elle heurte le sol, il est étrangement... chaud ? Et bien plus douillet que prévu. Est-ce que c'était un tapis magique ? Eh non, c'était Aslander.

Le double drame !

En reconnaissant ce torse que son clone avait tant observé, elle n'avait qu'une envie : lui hurler dessus. Sauf qu'elle était encore sonnée par la chute, et qu'elle n'arrivait pas à comprendre son geste... N'importe qui l'aurait simplement regardée tomber, pour qu'ils en rient ensemble ensuite, encore plus alors que cette chute était le résultat de sa propre bêtise. Et elle dégage sa tête de son torse pour commencer à le gronder, quand...

Triple drame.

La lampe, effarée par ce spectacle, s'était écroulée à son tour ! Mais qu'elle tombe, passe encore, mais ce bruit ? Cette semi-obscurité ? Elle était complètement cassée, et Java n'avait aucune idée de comment réparer ce genre de lampes magiques ! Et cette fois, elle n'a plus envie de l'engueuler, simplement de s'excuser, de chercher des solutions.

Alors forcément, quand c'est Aslander qui lui demande si elle va bien et si elle ne s'est rien cassé, elle est perturbée. Qu'est-ce qu'il dit, lui ? Pourquoi ce serait elle qui aurait mal, alors que c'est lui qui a pris le gros de la chute ? Bon, effectivement, elle se réveillera sûrement avec un bleu ou deux demain, mais ce n'est clairement pas le genre de choses qui pourrait la perturber. Elle prend appui sur ses épaules pour se redresser et le regarder droit dans les yeux.

▬ Mais t'es tombé sur la tête quand tu te lavais ou t'es juste complètement fou ? Fallait pas faire ça ! Et pis arrête un peu avec tes mains, les câlins on verra plus tard, j'suis beaucoup trop lourde pour jouer à ça avec moi, t'aurais pu te casser un truc !

Ah, apparemment, on était retourné au plan engueulade. D'un geste éloquent mais délicat (après tout, elle ne voulait pas vraiment casser plus de choses dans cette pièce, y compris l'aventurier) elle lui attrape les mains pour les plaquer au sol, et commence à tâter ses poignets puis ses avant-bras, avant de s'exclamer en faisant la moue.

▬ Roh, j'peux même pas sentir tes os comme il faut avec tes muscles ! Rassure-moi, tu t'es vraiment rien cassé, hein ?

Et en parlant de casse, son regard retourne à la lampe.

▬ Je te rachèterai une lampe... J'ai aucune idée de comment on répare ces machins, j'suis désolée, j'pensais pas qu'elle tomberait elle aussi !

Et tout de suite, elle semble beaucoup plus gênée. Voilà, elle avait pris ses aises quelques minutes, et elle avait déjà tout fichu en l'air. Java se pince l'arête du nez et soupire, comme souvent lorsqu'elle se trouvait elle-même énervante. A part sa bêtise, il n'y avait pas grand chose chez elle qui avait dû l'impressionner, du coup... Et son attention revient vers le concerné.

▬ T'as tout pris avec ton dos en plus, gros bêta. On t'a jamais appris à amortir une chute, du haut de tes six mètres vingt ?! Tu vas pas tenir très longtemps dans tes quêtes si tu fais ça tout le temps !

Moitié inquiète, moitié désolée, moitié agacée. Tu parles d'un mélange. Elle réfléchit un peu à toutes les fois où elle avait dû soulever son propre poids pour aider un clone à se hisser au-dessus d'un mur, ou simplement se relever après que l'une d'entre elles lui soit tombée dessus. Ca n'avait définitivement rien d'agréable, alors là... Elle ne pouvait que se poser des questions quant à l'état d'Aslander, et ses possibles douleurs. Les siennes à elle n'étaient juste pas pertinente : au mieux elles étaient méritées, au pire elles ne seraient pas nouvelles.

▬ Bon, c'est bête, j'ai pas d'onguent avec moi pour t'aider, même pas une p'tite potion contre les bobos... Je connais quelques techniques de massage si faut te remettre un truc en place, mais tu risques de grincer des dents, y aura rien à voir avec les tripotages de cet après-midi !

Java laisse échapper un petit rire nerveux. Avec tout ça, elle avait perdu ses aises aussi rapidement qu'elle les avait regagné. Est-ce qu'il allait bien ? Est-ce qu'il lui en voudrait pour la lampe ? Est-ce qu'elle avait seulement les moyens de la remplacer, d'ailleurs ? Beaucoup trop de questions, et bien trop peu de réponses. Juste son regard inquiet camouflé par les ombres, alors qu'elle n'avait pas vraiment quitté sa position initiale... En même temps, si c'était pour casser autre chose dès qu'elle se déplacerait, non merci !

Un BIBELOT ?! Non, c'était la propriété d'un civil... qui l'avait invitée chez lui alors qu'elle l'avait mise en garde des pires farces (légales) dont elle était capable. Bon. Mais c'était quand même la propriété de son hôte ! Qui, là encore, avait été parfaitement averti et n'avait pas pris les jambes à son cou après qu'elle lui ait fait sa petite comédie pendant qu'ils mangeaient. Alors pourquoi est-ce qu'elle avait autant envie de l'étrangler, et aussi peur de lui faire mal à la gorge en même temps ?

Cet étrange sentiment qu'elle n'arrivait pas à reconnaître ne faisait que s'intensifier alors qu'il prenait la situation à la légère, se permettant même une petite blague sur leur position... Java prit appui sur le sol pour se relever tout en le foudroyant du regard, sans trop savoir elle-même ce qui la perturbait autant.

▬ Oui bah c'est bon, te moque pas d'moi non plus ! Sinon tu vas faire une deuxième chute et je ferai pas le coussin pour toi !

Elle grogne quelques jurons incompréhensibles, puis croise les bras tout en regardant Aslander. Il avait de bons réflexes, quand même... Bon, pas parfaits, mais il avait fait de son mieux. Quelque chose qui lui semblait de plus en plus apparent alors qu'elle voyait la table basse qu'il avait déplacé au même moment qu'il la rattrapait. Ah, tiens, c'est peut-être ça qui l'embête !

▬ J'suis pas une ingrate, je vais ranger un peu le bazar. Tu devrais t'étirer un peu, même si t'as l'air en assez bon état pour faire des blagues, tu vas grincer demain matin si tu fais pas attention.

Le désordre, bien sûr. Et les possibles courbatures d'Aslander, oui oui. Ne lui en voulez pas si vous vous attendiez à autre chose : elle est déjà en train de remettre la table et son fauteuil à la place, et pour la lampe qui fâche... Eh bien... Euh... Elle piétine devant son cadavre sans trop savoir quoi faire. Les bris de cristaux éparpillés alors qu'on est pieds nus, c'est pas la meilleure idée... Et impossible de les ramasser sans en rater avec cette lumière manquante. Dommage qu'elle n'ait pas un Slime avec elle pour lui faire manger les éclats dispersés. Puis Java a une illumination.

▬ UN BALAI !

Et elle part en courant comme une fusée. Voilà donc la réponse à toutes ses questions ! Voilà pourquoi elle se sentait mal à l'aise ! Elle avait juste besoin d'un balai ! Rien à voir avec des histoires sentimentales, voyons. Elle débarque dans la salle de bains, et regarde dans tous les coins. Pas de balai ? Même pas dans l'armoire, là ? Ah non, que des serviettes. Beaucoup de serviettes. En même temps, en étant aussi grand, Aslander devait bien en utiliser au moins quatre pour pouvoir se sécher le corps entier... Sans compter ses invitées, qu'il semblait collectionner... Non ! Pourquoi elle pense à ça ? Il faut repartir en quête du balai !

Elle revient dans le salon en courant, pour voir si elle aurait raté un balai quelque part. Toujours pas... Quoique, les pompons des rideaux sont tellement gros qu'ils pourraient bien servir de balais à eux tout seuls – mais elle avait déjà cassé une lampe, pas besoin de commencer à découper dans les rideaux pour donner le ton de sa visite chez Aslander. Est-ce qu'il avait choisi toute la décoration tout seul ? Ou est-ce que c'était une de ses... NON ! Le balai, on a dit !

Java arrive dans la chambre, et ne résiste pas à une petite roulade sur ce matelas bien trop confortable. De toute façon, le lit était complètement défait depuis son premier passage, et elle n'avait aucune idée de comment on remettait tout ça dans l'ordre, alors autant en profiter jusqu'au bout ! Elle regarde sous le lit : pas de balai. Dans l'armoire ? Bien des choses, mais... pas de balai. Derrière le rideau ? Bah non, personne n'a rangé son balai là, apparemment.

Elle recommence à courir, mais se retrouve vite interrompue : c'est le moment du point de côté. Eh oui madame, c'est pas parce qu'on a bien mangé qu'on a récupéré toute son énergie. Il faut payer le prix de sa bêtise, quand même, de temps en temps. Vaincue par elle-même (comme souvent), Java se rend compte qu'elle a perdu l'aventurier en même temps qu'elle fouillait toutes les pièces qu'il lui avait montré.

▬ J'AI PAS TROUVÉ LE BALAI !

En même temps, Java n'avait cherché que dans les pièces qu'il lui avait montré, et comme un diable de Tasmanie déchaîné, en plus. Et n'étant pas vraiment informée sur la façon dont les nobles font le ménage chez eux, bien sûr, elle n'avait à aucun moment pensé au fait que les outils ménagers ne seraient probablement pas exposés à la vue de tous dans cette belle demeure. Chez elle, le balai, il était à l'endroit où on avait balayé en dernier, et c'est tout. Elle s'assied sur le lit, contrariée. Pourquoi les riches rendaient toujours tout compliqué ?

Elle regarde ses mains, puis autour d'elle. Elle était à qui, cette chambre, d'ailleurs ? C'est pas comme s'il y avait un énorme portrait du propriétaire pour l'indiquer. Pourtant, les gens qui ont plein de sous aiment bien ça, les portraits, non ? Après, il fallait trouver un peintre capable de retranscrire le charisme et la gentillesse du bonhomme ! Et toutes ses autres qualités, mais bizarrement, ça la mettait mal à l'aise de les compter. Pourtant, Java n'était pas du genre à retenir ses compliments...

Elle finit par succomber au moelleux du matelas (une fois encore) et se laisse tomber en arrière. De toute façon, elle ne voyait pas trop quoi faire d'autre. C'était confortable, ici... Et elle ne pensait pas qu'au matelas. Même si elle avait l'impression d'être un éléphant dans un magasin de porcelaine – impression qui n'était pas si éloignée de la réalité que ça – elle se sentait bien. Suffisamment bien pour crier une dernière fois, au cas où l'aventurier ne saurait pas la retrouver.

▬ J'SUIS DANS LA CHAMBRE !

Ca aussi, c'est marrant, hein ? Qu'elle se sente obligée d'indiquer où elle était, comme si le type ne savait pas ouvrir et fermer des portes tout seul comme un grand. Ou juste suivre son vacarme. Alors que bon, il lui avait fait un sous-entendu clair comme de l'eau de roche, et elle avait réagi en... en cherchant un balai. A voix haute, Java se fait la réflexion qu'elle est vraiment débile. Elle aurait pu en profiter pour l'embrasser encore, ou le forcer à la laisser vérifier qu'il n'ait vraiment rien de cassé. Mais non, elle avait préféré une histoire de « fuis-moi je te suis » avec un balai. Est-ce qu'elle était vraiment rouillée à ce point ?

▬ Y va m'faire dormir dans son placard si j'continue mes conneries...

Visiblement, elle était assez rouillée pour continuer à penser à voix haute. Allons, Java... Ne dit-on pas que les murs ont des oreilles ?

Java sursaute en entendant la voix de l'aventurier lui répondre. Mais c'est qu'il continue de se moquer d'elle, en plus ! Si elle avait un peu plus d'énergie, elle se relèverait pour aller chercher un balai, rien que pour le taper avec. Elle râle un peu, mais se contente de le suivre du regard alors qu'il s'installe à côté d'elle. Bon, visiblement, il s'était occupé des dégâts... Et effectivement, elle aurait probablement mieux fait de lui demander avant de courir dans tous les sens. Parce que là, du coup, elle était un peu gênée. Quelle débile.

Ah ? Apparemment, il lit dans les pensées. Ou peut-être qu'il l'a juste entendue un peu plus tôt ? Java ne peut pas retenir un sourire attendri en voyant qu'il avait eu peur pour elle. Le pauvre n'avait vraiment aucune idée d'à quoi ressemblait son quotidien... Elle attrape sa main pour joindre leurs doigts ensemble, et l'approcher de son visage.

▬ Faut pas t'inquiéter pour si peu, tu sais... C'est pas pareil si c'est moi qui me blesse ou si c'est toi. Tiens, regarde nos mains.

Elle dépose un petit baiser sur les phalanges d'Aslander avant de les libérer, pour tenir sa main comme un précieux bijou.

▬ Toi, t'as les mains douces comme du velours. Vu c'que tu m'as dit... Enfin c'que t'as dit à l'autre mais que je sais aussi, ça veut pas dire que tu t'en sers pas, mais surtout que t'en prends soin. J'imagine que tu calcules bien tes coups...

Son index s'égare dans la paume de l'aventurier, puis elle place sa main par-dessus la sienne.

▬ Regarde-moi ce chantier. J'ai la main toute râpeuse, pis là c'est écorché, là je me suis brûlée en faisant frire des beignets l'autre jour, et l'autre elle est carrément tailladée ! Tu vois où j'en viens ? J'suis arrivée à un stade où un bobo en plus ou en moins, ça change pas grand chose. J'vais couiner un peu, pis j'vais passer à autre chose.

Et après ce jeu de mains (mais pas de vilains), Java finit par imiter la position du grand brun pour se tourner aussi vers lui, toujours avec cette expression adoucie, malgré ses mots durs.

▬ La prochaine fois, prends pas un risque comme ça pour moi. C'est pour ça que j'me sentais débile, pas pour la lampe... J'me disais que si je remettais tout dans l'ordre, y aurait plus de problème, mais au final même sur ça, j'me suis ratée ! J'ai même perdu contre ta chemise... J'dois avoir l'air bien naze à côté de tes invités habituels.

Elle rit avec un peu d'amertume, surprise elle-même de cette honnêteté qu'elle n'arrive plus à retenir. Et si c'était quelqu'un d'autre, peut-être qu'elle commencerait à se rendre compte de ce qu'elle essayait d'exprimer sans y arriver. Mais puisque c'était Java, il n'y avait qu'une seule conclusion possible : elle commençait à lentement dessoûler. Ben oui. Y a pas de sentiments, ici, on vous a dit.

▬ Rassure-moi d'ailleurs, tu t'es pas coupé en ramassant les débris ?

Aucun sentiment.

▬ Ah ! Au fait ! Je m'incruste sur ton lit, mais tu me dis quand t'es fatigué et j'te laisserai dormir tranquille, promis. Si t'es sage, j'te raconterai même une histoire !

Vraiment, zéro sentiment, hein.

Même si quelque chose dans son regard – pourtant fatigué – semblait s'inquiéter, mais pour quoi exactement ? Les réactions d'Aslander qu'elle n'arrivait pas à anticiper ? La nature même de ses propos ? La peur que le matin, et son départ, n'arrive que trop vite ?

Un énorme sourire fend le visage de la garde lorsqu'elle voit Aslander imiter son geste en embrassant sa main. Sourire qui ne fait que s'agrandir lorsqu'il parle de la façon dont il la voit... C'est vrai que Java avait une véritable aura de taureau en pleine charge, mais bon, est-ce qu'il avait vraiment besoin d'en savoir plus que ça ? C'était bien une part d'elle toute entière, et même s'il y en avait bien d'autres, quelque part, c'était peut-être mieux qu'il ait connu celle-là en premier. Enfin en deuxième, si on comptait la vulnérabilité de son double. Dans tous les cas, si elle avait voulu qu'il retienne autre chose d'elle, cela aurait sans aucun doute sous-entendu un affrontement quelconque : concept qu'elle se surprenait elle-même à tant redouter.

Pourtant, en temps normal, ça aurait bien été sa première réaction devant quelqu'un qu'elle connaissait à peine qui offrait de la protéger. Elle lui aurait bondi dessus pour lui mettre des gnons et lui apprendre à se protéger lui-même, avant de vouloir jouer les héros ! Mais dans les faits, là, elle avait surtout envie de montrer à l'aventurier à quel point ce qu'il disait était touchant. Touchant ? Oui, oui. Pas vexant ? Un peu, mais visiblement, pas assez pour le frapper.

Et ce sentiment mitigé s'accentue lorsqu'il mentionne ses autres... invitéEs. Ah. Eh bien. Effectivement, oui, elle n'était pas vraiment médusée par ce qu'il lui disait. Ça lui semblait même un peu évident, d'ailleurs. Mais là encore, elle se surprenait à trouver un côté touchant à ce malentendu, qu'elle aurait bien éclairci de suite – s'il n'avait pas rajouté sa petite remarque sur ce lit, effectivement énorme. Tiens. Est-ce qu'elle n'était pas la seule à s'être adoucie avec la venue de la nuit, ou est-ce que le séducteur portuaire revenait à ses petites habitudes ?

Joueuse, Java reprend la position qu'ils avaient lorsqu'Aslander avait amorti sa chute, à la différence qu'elle fait cette fois un peu plus attention au placement de son bassin, et à rester suffisamment surélevée pour le toiser de haut.

▬ Alors, alors... Deux choses, bel Aslander.

Son doigt glisse le long de sa pomme d'adam pour s'arrêter sous son menton.

▬ D'abord, « jouer les acrobates », c'est ma spécialité. Bon... Là, j'ai juste fait la gamine, mais je suis vraiment sincère quand je te dis de pas prendre de risques pour moi ! C'est vrai que je préfère réfléchir sur le tas, mais ça m'embêterait vraiment de savoir que tu t'es blessé pour moi.

… Ne lui dites rien, on va faire comme si de rien n'était.

▬ Ensuite. J'voulais surtout dire que j'suis pas vraiment sur mon terrain de jeu habituel. Bon, finalement, j'aime bien, c'est pas si mal, même si la déco est un peu chargée à mon goût... Mais ouais, même si j'me sens à l'aise, j'sais bien que j'suis qu'une pauvre fille de campagne qui a pas grand chose à faire ici.

Et elle se penche vers lui, assez pour que ses cheveux détachés se perdent autour du visage de l'aventurier.

▬ Rien à voir avec tes mille et une conquêtes, donc. Puis je serais mal placée pour te juger sur ça.

Java approche lentement son visage du sien, et lui vole un petit baiser à son tour, assez long pour ponctuer sa phrase, assez court pour laisser Aslander-le-séducteur sur sa faim.

▬ Je prends le compliment quand même, merci ! Et le lit aussi, un confort comme ça, ça se refuse pas !

Les ombres et les lumières de la pièce jouent avec son sourire malicieux. Un confort comme ça... Est-ce qu'elle parlait seulement du lit ? Il faudrait lui poser la question pour en être sûr, ma foi.

Java hausse un sourcil en écoutant la réflexion d'Aslander, puis elle éclate de rire. Elle ne s'arrête que lorsqu'il approche à nouveau ses lèvres des siennes, tentée de croquer ce joli dessert... et il lui sort encore une remarque qui la fait rire, et elle ne peut pas s'empêcher de ricaner, plus doucement cette fois. Tout en se blottissant confortablement contre lui, elle plonge son regard dans le sien, sans réduire la distance entre leurs deux visages, ni céder à ses plus bas instincts.

▬ Tout ce que tu me dis, mon tout beau, j'ai aucun moyen d'en être sûre à part avec le temps. Mais t'en fais pas, j'ai déjà décidé à quelle sauce j'vais te manger...

Elle passe ses bras autour de son cou, à défaut de vraiment savoir quoi faire avec ses mains. Il ne faut pas lui en vouloir : la dernière fois qu'elle était aussi proche de quelqu'un dans cette position, c'était pour le neutraliser, pas pour... pour faire quoi, en fait ? Java se surprit à trouver sa réponse idéale à cette question un peu trop vite.

▬ Je m'assurerai de t'embêter assez souvent pour que tu m'oublies pas, de toute façon. Va pas croire que j'te laisserai le choix.

Dans un geste tendre, elle pose son front contre le sien.

▬ Sinon, p'tit malentendu. C'que je veux dire, c'est que je sais pas trop comment on se comporte dans une maison comme la tienne, du coup j'ai l'impression d'être une barbare perdue dans un palais. Bon, après, c'est un concept aussi... La Brute et le Charmant, ça ferait une histoire sympa, tu trouves pas ?

Avec le calme de son intonation, elle démêle chaque petit nœud dans la conversation avec soin et attention. Aslander ne la connaissait pas encore assez pour le savoir (quoique ?), mais il était face à une Java inédite. Une Java qui prend le temps de s'expliquer au lieu de lui mettre un coup de tête dans le nez, pour aller faire la roue dans son couloir jusqu'à provoquer une autre catastrophe pour le mobilier. Une Java qui laisse ses mains se balader sans lui en broyer une et mordre l'autre, une Java qui ne profite pas de chacun de ses faits et gestes pour exposer ses muscles... Ce n'était pas grand chose d'exceptionnel pour n'importe qui, en soi – mais ici, ça voulait tout dire. Comme son double avec « Canor », Java s'autorisait à être vulnérable devant Aslander. Elle s'autorisait à souffler un peu, et à jouer un peu aussi, mais à un autre type de jeu que d'habitude.

▬ J'insiste sur le lit, c'est un argument de taille ! Et puis, ce serait plus difficile de te faire ce que je veux à même le sable, dehors, sans savoir si quelqu'un pourrait débarquer à tout moment...

Sa main glisse dans les cheveux de l'aventurier, et elle rit encore, mais pas longtemps, puisqu'elle vient coller son sourire à celui du brun dans un baiser bien plus intense que les premiers. Passionné, intense, gourmand, appelez-ça comme vous voulez : Java avait décidé de lui exposer timidement ses intentions, plus qu'avec des mots, mais avec ses actions.

Et lorsqu'elle éloigne à nouveau son visage du sien, elle cherche une réponse dans ses yeux bruns, un petit peu satisfaite, un petit peu inquiète. C'était bien comme ça qu'on s'y prenait, non ? Si ça se trouve, elle venait de faire le plus grand faux pas de l'histoire de la séduction d'Aryon. Pourtant, comme dit précédemment, Java n'en était pas non plus à sa première conquête – mais elle avait l'impression de redécouvrir les danses étranges de l'attirance avec Aslander. Et ses difficultés, qu'elle pensait simplement liées au temps passé depuis ses dernières conquêtes à elle, semblaient de plus en plus mêlées à cette rencontre qu'elle n'aurait jamais pu prédire...

Toutes ses questions disparaissent lorsqu'Aslander l'embrasse à son tour, comme si tout devenait plus clair. Peut-être parce qu'elle n'a pas (encore) cassé la lampe de la chambre, mais qui sait ce qui pourrait se passer par la suite ? Ce n'est pas le genre d'anecdotes qu'elle vous racontera, mais imaginez un petit peu ce qui se passe quand Java, ses émotions, ses clones et leurs émotions, ainsi qu'un (ou plusieurs ?) partenaires de tango sont réunis dans une seule pièce... Heureusement pour l'aventurier, il aurait la chance de se contenter d'une seule Java cavalière, ce qui serait probablement déjà bien assez.

Et lorsque leurs positions s'inversent, elle se surprend à apprécier son audace. Peu sont ceux qui ont osé faire basculer Java la terreur sans subir de terribles punitions ! Elle attend de voir ce qu'il va faire, suspendue à ses lèvres...

▬ Pauvre chemise malmenée... Je ne peux la laisser ainsi.

… La chemise, qu'il dit.

Java regarde la chemise en question, alors qu'il en défait le premier bouton. Oui, effectivement, elle l'avait massacrée, mais est-ce que c'était vraiment le moment de lui faire la remarque ? Elle l'avait embrassé quand même ! Son regard revient à Aslander, et elle a envie de lui poser la question, mais l'impression qu'il attend encore autre chose. Peut-être qu'elle devrait prendre l'initiative... Ce n'était pas vraiment un problème, s'il préférait qu'elle mène cette danse là.

Java arrache donc sa chemise en poussant un cri strident.

Quoi, c'était pas ce qu'il voulait ? Bon, y a quelques boutons qui ont sauté, dont un qui a rebondi pathétiquement sur le front d'Aslander, mais on est en bonne voie, non ? Dans tous les cas, la garde est bien satisfaite de ce geste grandiose pour montrer son engouement ! Et ce n'est pas fini !

▬ T'inquiète, je gère la chemise !

Avec soin, elle replace les pans du vêtement sur sa poitrine, en se disant qu'elle y était peut-être allée un peu fort en voulant autant impressionner son hôte. Techniquement, elle avait quand même un peu massacré la pauvre chemise qui n'avait rien demandé à personne, qui ne pensait peut-être même pas tomber sur une Java sauvage de cette façon aujourd'hui.

Et toujours avec soin, elle commence à reboutonner la chemise dans l'ordre, faisant bien attention à défaire et refaire chaque bouton où elle se trompait – on vous passe le gros de la description, mais imaginez-bien que ça lui a au moins pris cinq minutes à refermer la chemise malgré les boutons manquants, ce qui rendait la tâche bien plus difficile que prévu.

Cela fait, elle sourit de toutes ses dents avant de replacer ses bras autour du cou d'Aslander.

▬ C'est mieux ? On peut continuer maintenant, ou tu veux refermer ta braguette aussi ?

Et on pourrait croire qu'elle se moquait de lui, mais non, elle était bien entièrement sincère.

Malheureusement.

Java hausse les sourcils en voyant Aslander assassiner ce qui restait de la chemise. Ah ! Effectivement, il y avait eu méprise quelque part. Méprise confirmée lorsqu'elle sent ses mains sur sa peau et son sourire sur le sien. Finalement, ils avaient bien la même chose en tête, en ce qui concernait la tournure des événements. Et pour la première fois depuis des années, Java redécouvrait le plaisir, bien plus savoureux, de ne faire qu'un avec quelqu'un d'autre qu'elle-même. Laissons-leur un peu d'intimité.

Après s'être assurée que l'aventurier ait autant apprécié ce petit digestif qu'elle, Java a la grâce, que dis-je, la délicatesse, de sombrer immédiatement dans un profond sommeil. Même pas un bonne nuit, un dernier bisou, rien. Juste une Java étalée sur le ventre, à moitié sur le matelas et à moitié sur Aslander, perdue dans le monde des rêves.

Ce n'est que lorsque les lueurs du petit matin commencèrent à danser derrière les rideaux qu'elle ouvrit à nouveau les yeux, lentement. Encore un cauchemar. Toujours le même. Elle regarde son hôte un moment. Elle n'avait pas souvent l'occasion de savourer la vision d'un amant endormi, alors pourquoi s'en priver ? Pour autant, elle préférait éviter de le réveiller et de lui faire subir son rythme circadien un peu particulier. Avec un sourire attendri, elle glisse lentement hors du lit, et tire sur les draps pour recouvrir le bel endormi.

Puis, à pas de loup, les fesses à l'air, elle récupère la chemise sauvagement torturée par les deux barbares hier soir et se dirige vers la salle de bains. Ah, mauvaise porte, ça c'est le salon. Nous disions donc : Java se dirige vers la salle de bains, afin de se débarbouiller rapidement, de faire un petit pipi, et de remettre ses vêtements secs, bien que légèrement marqués par le sel de mer. Bah, ce n'était rien de bien méchant, et ça partirait à sa prochaine lessive ! Une fois tout cela fait, elle descend les escaliers le plus silencieusement possible, et se dirige vers l'endroit où elle avait laissé son sac pour y placer la chemise meurtrie. Elle n'était pas très douée en couture, mais elle comptait bien faire de son mieux pour la remettre en état avant de la rendre à son propriétaire !

Quitte à être en bas, elle en profite pour faire le tour des autres pièces... sur les mains. Quoi ? C'est son entraînement du matin. Et puisqu'elle était toute courbaturée suite à ses acrobaties horizontales de la veille (c'est aussi ça, d'être rouillée, après tout), elle avait décidé d'opter pour un exercice un peu plus exigeant que d'habitude. Bon, bien sûr, les bonnes idées de Java ont leurs limites : quand on marche sur les mains dans la pénombre complète, on finit forcément par se prendre un mur. Ou dans son cas, une porte. Et devinez dans quoi elle venait de s'écraser ? Le fichu placard à balais ! Félon ! Traître !

Elle se relève en murmurant quelques jurons, plus inquiète d'avoir possiblement réveillé Aslander avec son vacarme que d'avoir le pied coincé dans un seau. Seau qu'elle devra prendre à deux mains pour finalement réussir à le retirer, tout en se faisant attaquer par trois types de balais différents, comme s'ils voulaient la narguer de ne pas les avoir trouvé hier. Monstres sans cœur ! Heureusement, notre valeureuse garde réussit à s'extirper de cette odieuse embuscade, et à fermer la porte des Enfers derrière elle. Bon. Prenons tout ça comme un signe de continuer l'entraînement ailleurs. Dans la cuisine, par exemple.

Java monte furtivement les escaliers, à l'affût du moindre bruit de pas... mais rien. Peut-être qu'il dormait toujours ? Elle hausse les épaules et s'infiltre avec succès dans la cuisine. Un rapide coup d’œil lui permet déjà d'évaluer de possibles petit déjeuners – mais il fallait d'abord les mériter ! Après avoir essuyé un petit filet de bave, elle décide de son prochain exercice. Puisque le premier avait été interrompu, elle allait doubler l'intensité du second ! Et c'est après être grimpée sur une chaise qu'elle réussit à se suspendre à une poutre pour faire, non pas cinquante, non pas cent, mais bien cent cinquante tractions.

Et ce n'est que lorsqu'elle arrive aux trois-quart de son exercice qu'elle sent un regard dans son dos, et qu'elle tourne la tête avec un grand sourire vers ce visage dont elle appréciait de plus en plus la familiarité.

▬ Pas trop fatigué ? J'suis désolée pour le bruit... j'voulais te laisser dormir, en plus.

Tout en reprenant le compte mental de ses tractions, Java place une main dans son dos et rajoute avec fierté :

▬ Allez, pour tes beaux yeux, je fais le reste à une main !

Bon, c'était beaucoup plus facile à dire qu'à faire, mais quelque part... si elle rallongeait son exercice, elle rallongeait aussi le temps qu'elle pouvait prendre sur sa matinée, non ? Ou en tout cas, c'était le raisonnement principal derrière ses exercices si alambiqués. Ça, et le fait que le beau morceau de jambon – pas Aslander, celui sur la table – lui faisait des yeux d'amour depuis tout à l'heure. Et peut-être, quelque part, aussi, l'idée de transpirer assez pour pouvoir faire un deuxième tour par la douche... et d'y emmener son jambon ? Pas celui sur la table. L'autre.