Lorsque Calixte avait reçu l’ordre de mission, il s’était demandé s’il s’agissait d’une rétribution quelconque pour la soirée – nuit – un peu particulière qu’il avait passée avec ses colocataires du Bastion. Peut-être. Enfin, pas que ça le dérangeait plus que ça d’aller voir du pays, mais il ne pouvait s’empêcher de hausser les sourcils à la localisation de l’assignation, tellement pas dans la zone de juridiction du régiment Al Rakija. Ou alors, à nouveau, on estimait qu’au vu de ses antécédents, il était plutôt bien placé pour effectuer une mission de concert avec quelques aventuriers. Après tout, ça aurait été loin d’être la première fois qu’il se mît à disposition de la relation Garde-Guilde. Pour le meilleur ou pour le pire. Ou alors, c’était l’œuvre de Zahria, pour une raison quelconque. Mais dans leurs échanges de plus en plus fréquents, de moins en moins empruntés, il ne lui avait pas semblé entendre de nouveau point d’intérêt de ce côté-là d’Aryon. Et même si ça avait été le cas, il n’aurait probablement été son premier choix. Mais finalement, qu’importait. Les ordres étaient les ordres, il aurait bien le temps de se poser des questions métaphysiques plus tard.

C’était donc heureux de repartir sur les routes d’Aryon, ainsi que de rencontrer de nouvelles têtes – ou peut-être de retomber sur celle de Naëry qui, malgré la distance de leurs lieux géographiques de résidence, semblait rester une constante dans son paysage – que Calixte avait fait un rapide tri dans ses affaires – avait-il besoin de son mug magique ou de sa fourchette à sardine ? – pour garnir son sac-à-dos. Il avait hésité, puis finalement n’avait pas laissé de message à l’adresse de ses colocataires. Depuis l’incident, l’ambiance était bien plus amicale que les premières semaines de cohabitation, mais l’espion aimait pouvoir bénéficier du mystère entourant son propre planning, et lui laissant une marge de manœuvre appréciable pour son travail officieux. Après un dernier coup d’œil à ses affaires – allaient-ils encore faire de la spéléologie sur cette quête, devait-il se trouver un casque pour mettre sa lampe magique en frontale ? – il s’était finalement éclipsé du dortoir alors que la soirée s’avançait, et avait tout de même fait un détour pour dire au revoir à Solveig avant de quitter le Bastion d’un pas léger. Le portail de téléportation l’avait accueilli comme un vieil ami, et il avait pris la direction express la Capitale.

Un appel cristallique à Naëry lui avait appris deux choses : que celui-ci se trouvait à la colocation de Luz et Zahria, et qu’il ne s’était pas inscrit à la fameuse quête sur laquelle partait l’espion. Les pas de Calixte avaient alors naturellement bifurqué vers la demeure commune de la médecin et de la Maitre-Espion, et il y avait rejoint ses amis pour la soirée. Et pour la nuit. Malgré le fait que Zahria lui eût donné sa clef quelques semaines auparavant déjà, le coursier ne s’y était jamais vraiment arrêté. C’était donc avec une curiosité et un émerveillement tous particuliers qu’il y avait découvert la chambre que sa sœur de cœur avait aménagée pour lui. Qu’elle avait pris le temps d’aménager pour lui. Laissant tomber son sac à dos contre le parquet vernis de la petite pièce, il n’avait pu résister à l’impulsion de la reprendre dans ses bras. Et puis ils avaient rejoint les autres. Etrange tableau que celui de Luz, Naëry, Zahria et Vrenn, assis autour de la même table. Et le regard de l’Ombre sur la silhouette taciturne de son Sbire. Comment avait-il pu le manquer ? Alors que la douceur de la nuit s’était installée avec eux, et que les conversations s’étaient étirées dans l’obscurité, il avait penché sa tête vers celle de Zahria pour lui murmurer intrigué, pensif : « tu lui as dit ? ». Le regard qu’elle lui avait coulé l’avait alors marqué.

Lorsqu’il avait rejoint sa chambre pour se coucher enfin dans ce lit qui l’attendait depuis quelques semaines déjà, l’activité d’écriture d’Apolline avait été autrement traumatique.


C’était une belle journée qui débutait. Le soleil n’était pas encore très haut dans le ciel – il était encore assez tôt – mais ses rayons non entravés baignaient la Capitale d’une douce chaleur. Attachant la bride du cheval qu’il avait emprunté à la Caserne au niveau de l’espace approprié, il pénétra dans le hall de la Guilde. Cela faisait un certain moment qu’il n’était pas venu sous ce toit. Surtout sous les traits de Calixte. Sa vie à la Capitale, sa vie de Psolie à la Capitale, lui semblait soudain si loin. Si naïve. Il avait été si facile de s’y perdre, de s’y croire. Aujourd’hui lui montrait que cette innocence n’existait plus. Elle avait été amochée avec Naëry. Elle avait été assassinée avec Ruth. Il repensa à Zahria, à la femme qu’elle était devenue en l’espace de quelques lunes. A la tension volontaire entre ses épaules, à l’ombre déterminée dans son regard. La ruse toute calculée, aussi, mise en exergue. Cinglée par l’épreuve du feu dans le moule si singulier de Maitre-Espion, les brûlures encore bien visibles, mais l’esprit plus fertile au sortir des cendres. Et alors, s’il ne pouvait qu’admirer son amie, sa sœur de cœur, où en était-il dans sa relation à sa Maître-Espion ? Par-delà le comptoir d’accueil, son regard accrocha la silhouette particulière de Juana, et il se dirigea instinctivement vers elle, balayant ses interrogations.

S’enquérant auprès de l’hôtesse où est-ce qu’il pouvait trouver ses partenaires de quête, il fut dirigé vers deux silhouettes dont l’une ressemblait étrangement à…

- Rebecca ? Rebecca ! s’exclama-t-il en écarquillant les yeux avant de sourire franchement à la jeune femme. Cela fait si longtemps !

Une vie, au moins.

- Vous avez… changé. Un peu. Et vous êtes aventurière à présent ?

Il se pencha pour apprécier la seconde silhouette, plus petite. Beaucoup plus petite. Partaient-ils avec une aventurière qui venait tout juste d’avoir l’âge légal de s’inscrire à la Guilde ? Après tout, il fallait bien commencer quelque part. Rapidement, les yeux de l’espion glissèrent le long de la chevelure bleutée et de la tenue fonctionnelle.

- Calixte Alkh’eir, se présenta-t-il à l’inconnue en lui tendant la main. Garde. J’espère que ça ne fait pas trop longtemps que vous attendez. Si tout est bon pour vous deux, en route ?

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Et Rebecca avait peut-être bien plus changé que ce qu’il avait initialement estimé. Peut-être bien plus que lui-même, ou que Zahria. Peut-être bien plus que tous les deux réunis. Il y avait dans l’éclat de son regard, dans les ridules au coin de ses yeux, dans la tournure de ses lèvres, dans l’écho de son rire… quelque chose d’indéniablement nouveau, en rupture avec la femme austère et réservée qu’il avait connue quelques lunes plus tôt. Était-ce vraiment la même personne ? Est-ce que quelqu’un avait emprunté l’apparence de son amie pour finalement la jouer dans un décalage complet ?

- … oui, bien sûr que l’on peut se tutoyer, accorda-t-il en continuant à observer la jeune femme avec méfiance.

Était-ce la rupture avec le Capitaine la Garde Royale qui l’avait mise dans ces conditions ? Ou bien était-ce au contraire ce changement radical de personnalité qui avait perturbé leur mariage ? … ou se trouvait-il vraiment en la présence de quelqu’un usurpant l’identité de Rebecca ? Il allait falloir qu’il démêlât cette histoire avant d’accorder sa confiance à la jeune femme aux mèches claires. Et comme celle-ci ne semblait pas opposée à l’idée, évoquant même que le fait que le trajet leur allait leur permettre de rattraper le temps perdu…

Leurs pas les firent quitter l’enceinte protectrice de la Guilde, et Calixte récupéra son destrier. Rebecca et Lightning empruntèrent elles-aussi un équidé chacune, et après avoir mené les bêtes par la bride jusqu’aux portes de la Capitale, ils se mirent en selle. Direction la Grande Forêt, et un petit village en demande d’aide.

Le début du trajet se déroula sans encombre, sous un soleil peu timide. Aux alentours de la Capitale, ils croisèrent la route de quelque caravanes, patrouilles de gardes, et petits groupes d’aventuriers partant en quête tout comme eux. Puis, petit à petit, alors qu’ils quittaient les grands axes du Royaume pour s’engouffrer sur des sentiers plus sauvages, leur entourage humain se raréfia. L’humeur était plutôt joyeuse, et l’ambiance agréable. Et revenant sur certains points qu’ils avaient vécu ensemble sous le prétexte d’évoquer de bons souvenirs – les plantes que Rebecca lui avait offertes, leur soirée mondaine désastreuse, la folle course-poursuite dans les rues de la cité Royale – Calixte s’était finalement fait à l’idée qu’il s’agissait bien de son amie qui l’accompagnait mais qu’elle avait cependant changé sa manière d’appréhender la vie. Et ça semblait plutôt pas mal lui réussir.

- Depuis combien de temps es-tu devenue aventurière, Rebecca ? demanda-t-il alors qu’ils quittaient les Plaines pour s’engouffrer sous le couvert des arbres de la Grande Forêt. As-tu fait d’autres quêtes auparavant ? As-tu eu l’occasion de rencontrer d’autres aventuriers ?

Peut-être connaissait-elle à présent Carciphona et Naëry, pour ne citer qu’eux. Le monde était parfois bien petit. Suivant du regard un couple de pinplumes évoluant dans les branchages au-dessus de leur tête, il finit par redescendre celui-ci au niveau de la petite silhouette de Lightning. Qui restait principalement un mystère.

- Est-ce que je peux être complètement indiscret et te demander ton âge, Light ? On dirait que tu viens tout juste d’avoir celui de rentrer à la Guilde, mais j’ai l’impression que c’est une remarque qu’on te fait souvent. Plutôt à tort.

Et puis, à bien l’observer… et plus le temps passait, plus l’espion curieux ne pouvait s’empêcher de l’observer. Plus il avait l’impression de l’avoir déjà croisée quelque part. Ou que son nom aurait dû lui dire quelque chose. Konoyishi… c’était une famille de Nobles ? De Saphirs ? De gardes ? Claquant des doigts à la réalisation, il pointa son doigt vers la jeune femme aux cheveux bleus avec excitation.

- Tu étais garde ! Avant d’être aventurière. Non ? Y a un lieutenant au même nom, dont tous les enfants ont fait l’Académie. Plutôt pas mauvais. A moins que ce ne soient des cousins ? Ou des parents éloignés ? … ou rien du tout en rapport ? poursuivit-il en réfléchissant à voix haute et fronçant les sourcils.

Bien décidé à en apprendre davantage sur Lightning, Calixte ficha son regard ambré sur celle-ci. Peut-être que le camping pour la nuit allait l’occuper suffisamment pour lui éviter de poser trop de questions à celle-ci – et à Rebecca – mais pour le moment, tous trois fichés sur leurs destriers sans rien de mieux à faire que vérifier régulièrement la direction qu’ils prenaient, et éventuellement l’absence de malfrats, c’était surtout open bar aux discussions. Et le coursier sociable comme l’espion curieux allaient mettre ces heures de papotage à profit.

Résumé:

Donc Rebecca connaissait effectivement Carciphona. Et de manière plutôt charnelle, à en croire ses sous-entendus. Calixte commençait vraiment à se demander jusqu’où allait la soif de conquêtes de l’aventurière, et si elle était actuellement vraiment fidèle à son enchanteresse de la Ville Aquatique. Une ombre était passée sur le visage de Rebecca, ponctuant ses paroles empressées, et l’espion se demanda si c’était le souvenir de la rupture avec le Capitaine de la garde Royale qui ennuyait la jeune femme, ou autre chose. Décidant de ne pas presser l’affaire – après tout il venait juste de la retrouver et leur amitié n’était pas non plus des plus solides – il riva son attention sur Lightning.

Qui était finalement juste un tout petit peu plus jeune que Rebecca et lui-même. Etonnant. Il lui aurait attribué une petite vingtaine d’années tout au plus. Il répondit cependant au large sourire de la jeune fille par un sourire miroir, satisfait de ne pas s’être trop planté dans ses observations. Ni dans ses souvenirs. C’était que des familles militaires, il y en avait tout de même un petit paquet. Celle de son colocataire actuel par exemple, pour ne citer qu’elle… Hochant la tête aux propos de Lightning, il acquiesça :

- Il y a effectivement un certain attrait à la vie d’aventurier.

Une liberté qui n’existait pas lorsque l’on appartenait aux rangs de la Garde. Mais une liberté qui n’aurait probablement pas convenu à l’espion, plus à l’aise sous la coupe d’une hiérarchie qu’il appréciait. Lorsqu’elle n’était pas aussi obtuse qu’un certain lieutenant du Grand Port.

De minute en minute, de conversation en conversation, de pas en pas, ils finirent par s’enfoncer davantage dans le cœur de la Grande Forêt et atteindre le bout du chemin que la journée défilant leur permettrait de parcourir. Finalement, ils quittèrent le sentier pour trouver un coin propice au camping, près d’un cours d’eau. Suivant l’impulsion de Rebecca, et aidés par la fourchette à sardine de Calixte, ils se mirent à la pêche pour agrémenter leur dîner. Et l’espion n’avait rien contre l’activité ni contre quelques repas à base de poisson, mais son esprit à tendance végétarienne ne put s’empêcher de soupirer à ces aventuriers friands de viande sous toutes ses formes.

Le repas se passa néanmoins sans soucis, à l’image du reste de la journée, et alors que la douce soirée s’étirait autour du brasier entretenu au cœur de leur campement, ils poursuivirent leurs conversations, à la découverte les uns des autres. Et Calixte s’étrangla de rire dans sa gourde alors que Lightning leur demandait, sans trop de détours, la nature de leur relation.

- On n’est pas beaucoup sorti ensemble, répondit-il finalement avec un coup d’œil amusé à Rebecca, incapable de ne pas sauter sur le malentendu. Une fois : soirée mondaine pour parler poésie et botanique, suivie d’une course poursuite dans les rues de la Capitale. Entre l’attention des Nobles puis celle des malfrats, je crois que j’étais jaloux de toi Rebecca. On aurait pu faire mieux pour un premier rendez-vous.

Il reprit une gorgée d’eau et reposa son regard sur Lightning.

- On s’est rencontré parce que je suis coursier, et que je lui portais un colis de la part de… d’un garde, finit-il par dire, laissant le choix à son amie de s’étendre sur le délicat sujet si elle le souhaitait, ou pas. Mais s’il faut que tu saches, poursuivit-il avec un sourire taquin en reprenant les mots de la jeune fille. Non, nous ne sommes pas sortis ensemble. Nous sommes amis.

Enfin, il en était resté là de ses considérations. Il échangea un regard avec Rebecca, pour vérifier si cette amitié était aussi d’actualité pour l’aventurière, ou s’il se fourvoyait.

- Et toi Light : tu as quelqu’un ? Un aventurier qui t’a détournée du droit chemin de la Garde ? Qui t’emmène parcourir le monde de quête en quête ?

Où était-il cet aventurier, s’il existait ? Avec intérêt, il observa les réponses verbales et para-verbales de la jeune fille. Le Verbe n’était pas toujours le plus audible, ni le plus informatif.

Résumé:

Une ombre passa sur son visage juvénile, et la tristesse se fit le lit de son verbe. Même sans l’emploi du passé dans ses propos, Calixte aurait su que justement, ce fameux aventurier, celui qui avait pris la main de Lightning pour la mener sur le chemin des aventuriers, ce jeune homme n’était plus. Et il n’eut pas longtemps à attendre avant qu’elle lui racontât effectivement la sordide histoire. Le coursier savait, quelque part, que lui-même avait été chanceux dans ses missions, tout comme ses amis de la Guilde. Mais le regard de Zahria, abîmé des plaies et trépas de ses propres connaissances – proches – ne cessait de lui rappeler que tout pouvait rapidement basculer lorsqu’ils étaient sur le terrain. Le rire de Ruth, comme fantôme passager, se rappela à lui. Sur le terrain, et pas que. Malgré la prospérité et la sérénité apparente du royaume d’Aryon, une part d’ombre subsistait toujours au détour du chemin, cueillant l’âme qui ne s’y était pas préparée. Ou qui jouait de malchance.

Elle lui adressa un sourire triste, et il hésita, pour finalement ne pas agir ni surenchérir. Et lorsqu’elle finit par clore le sujet en lui retournant l’interrogation, il sut à quel point, pour toute sa maladresse, il était chanceux.

- J’ai de la chance, reconnut-il. J’ai beaucoup d’amis, proches, pour m’épauler dans mon travail. Pour me remettre sur le droit chemin en cas de besoin.

Il s’accroupit, s’approchant de fait de l’aventurière, et posa sa main avec douceur sur la tête à la chevelure bleutée.

- Il est des amours qui n’ont pas besoin d’être charnels pour être des trésors. Les amitiés sincères sont tout autant de richesses, comme de désolations lorsqu’elles s’étiolent.

La peine de Zahria, lorsqu’elle avait perdu Elina. Son propre chagrin, lorsqu’il s’était distancié de sa mentore. La souffrance des espions, lorsque Ruth leur avait été arrachée. Il tapota les cheveux soyeux sous sa main avant de se relever.

- Bonne nuit Light.


Le reste du trajet se passa sans encombre, à l’image de leur première journée. Le temps fut clément, les beignant dans les rayons chaleureux du soleil qui se faufilaient entre les branchages, mais l’on sentait qu’une certaine lourdeur s’installait, et les nuages de plus en plus nombreux au-dessus de leur tête annonçaient un changement d’atmosphère. Bientôt le chemin se fit moins broussailleux, permettant à leurs montures d’avancer un peu plus aisément, et ils aperçurent enfin la silhouette modeste des habitations du village. Franchissant les derniers mètres les séparant de celui-ci, ils finirent par mettre pied à terre pour évoluer plus facilement en quête d’information.

Leurs visages inconnus ne passant pas inaperçus, ils furent rapidement accueillis par un homme se présentant comme le doyen du village. Puis une petite foule de curieux, puis principalement de parents paniqués, se regroupa autours d’eux.

Résumé:

Ils suivirent le doyen jusqu’à la petite auberge du village, et Calixte laissa son regard curieux courir sur les reliefs des bâtisses alentour. Mais entre la pluie diluvienne et la petite foule de corps tendus les encadrant, il n’en perçu rien d’extraordinaire. Ils finirent par s’assoir, un peu les uns sur les autres, dans l’antre modeste de l’abri, et les villageois convergèrent autour de la pièce, attentifs. Intéressés. Inquiets. Il n’y avait là visiblement pas de curiosité indécente, simplement l’angoisse d’en savoir davantage sur ce petit groupe venu dans l’espoir de leur ramener leurs enfants. Dans quel état ? songea sombrement le coursier. Les trouver serait déjà une épreuve en soi, mais quant à savoir ce qu’il restait actuellement d’eux… Les premières disparitions remontaient à présent à un mois, et l’espion ne donnait pas forcément très cher de leur probabilité de survie.

Le doyen prit la parole, et commença à leur faire un point de la situation. Disparition d’une quinzaine d’enfants depuis quatre semaines. Des garçons, des filles. De l’âge de huit ans à celui de l’adolescence, donc relativement jeune, mais d’un âge où l’on pouvait faire preuve d’indépendance relative, tout comme de curiosité naïve. Pas de logique apparente dans les disparitions. Et, évidemment, expliquant leur présence, l’échec des battues organisées par le village, tout comme de la première équipe d’aventuriers-garde dont ils n’avaient pas revu la silhouette depuis maintenant une dizaine de jours. Calixte fronça les sourcils. La mission était-elle donc périlleuse, ou y avait-il quelque chose de magique à l’œuvre, détournant l’esprit de l’objectif ou séduisant l’âme à rester quelque part sous le couvert des arbres ? L’homme leur proposa finalement de résider à l’auberge le temps de laisser la nuit s’écouler, et le coursier trouva l’idée appréciable. Jusqu’à ce qu’une femme fît irruption dans la pièce, et déclarât qu’une « Asthania » avait été prise.

Aussitôt la foule se fendit d’une conversation bruyante, tout en reposant une attention toute anticipatrice sur la silhouette de Rebecca, Lightning et Calixte. Ne se laissant pas déboussoler par la tournure des évènement, l’aventurière blonde se tourna vers ses coéquipiers pour leur proposer un plan d’action, plutôt sensé pour l’occasion. Laissant ainsi ses camarades se lever pour aller en quête de davantage d’informations, le coursier se tourna à nouveau vers le doyen tout en fouillant dans son sac à dos.

- Je vais avoir besoin de votre aide, si vous le permettez, fit-il en s’approchant de la vénérable silhouette et en présentant devant elle sa boule de vision, bien ancrée entre ses deux mains. Je vais vous demander, dans un premier temps, de penser à cette « Asthania », afin de tenter d’avoir des informations sur son environnement actuel.

Si l’action réussissait, peut-être pourraient-ils ainsi suivre son trajet, voire retrouver le chemin menant aux autres disparus. Avec un peu de chance, si Asthania n’avait pas quitté le village depuis trop longtemps, le doyen reconnaitrait même le paysage défilant autour de l’enfant. Et puis, si cela ne suffisait pas, ils répèteraient l’exercice pour chacun des disparus, afin d’appréhender l’endroit où ils se trouvaient.

Laissant l’homme se lancer dans l’exercice, Calixte poursuivit :

- Pourquoi cette femme a-t-elle dit « ils » ? Vous savez ce qui « prend » les enfants ?

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Inventaire:

Le doyen se saisit de la boule de vision, et suivit les recommandations de l’espion. Une image se précisa au centre de l’objet, et ils observèrent les arbres de la forêt se dessiner sans grande surprise, puis les contours de ce qui semblait être un village modeste, probablement inachevé pour l’heure. A l’exclamation de l’homme, Calixte sentit une anticipation curieuse s’insinuer sous sa peau. Tant de mystères, tans de possibilités. Une piste.

- D’où viennent-ils ces nouveaux-venus ? demanda-t-il en fronçant les sourcils à la mention de ces étranges adeptes d’une religion différente. Sait-on pour quelle raison ils ont choisi de s’établir ici ?

Son regard se porta à nouveau sur l’image présentée par la boule de vision.

- En dehors du fait qu’ils soient nouveaux dans le coin, et de croyance différente, y a-t-il vraiment des signes qui laisseraient penser qu’ils pourraient enlever les enfants ? Qu’ils seraient adeptes de sacrifices ? Qu’ils seraient aussi prompts à l’antagonisme ? … Y a-t-il eu des conflits ouverts entre eux et certains des villages alentours ?

De l’agitation à l’extérieur de l’auberge lui fit temporairement tourner la tête vers les fenêtres encore entre-ouvertes.

- En dehors de cet « Ignasisus », avez-vous rencontré d’autres habitants de ce village ? En savez-vous davantage sur eux ? Qu’est-ce qui vous fait dire que cet Ignasisus ne serait pas capable de tels actes ?

Un nouveau coup d’œil à l’extérieur lui fit échanger un regard avec Rebecca. Lorsque le regard de l’aventurière tomba sur sa boule de vision, il sut qu’ils étaient sur la même longueur d’onde.

- Il serait intéressant de recouper cette première image avec celles que nous donnerait peut-être la pensée des autres enfants disparus, réfléchit-il à voix haute en tendant à nouveau la boule de vision au doyen. Je vais ainsi vous demander de répéter l’opération pour chacun des enfants disparus, afin d’essayer d’appréhender leur environnement actuel. Si vous ne vous souvenez pas de certains, nous irons demander aux parents de ceux-ci de nous aider.

Regardant l’homme se pencher à nouveau sur sa tâche, le coursier ne put s’empêcher de froncer à nouveau les sourcils.

- Avez-vous évoqué ce sujet, ces disparitions, avec justement ce village que certains voient comme coupable ? Vous ont-ils donnés des réponses, des excuses, des doutes ?

D’ailleurs…

- Ces disparitions, y en a-t-il eues uniquement dans votre village, ou aussi dans ceux avoisinants ? En dehors de vos nouveaux voisins à l’étrange religion, avez-vous d’éventuels ennemis, ou antagonistes ? Ou bien y aurait-il même quelqu’un, au sein de votre propre village, qui pourrait bénéficier directement, ou indirectement, de ces disparitions ? … ou d’un conflit entre villages ?

Les yeux alternant entre les traits du doyen, à la recherche de toute information para-verbale, et les images de la boule de vision, Calixte sentait sa curiosité carburer dans un vrombissement furieux.

- Quoi qu’il arrive, je pense qu’il nous faudra aller faire un tour à ce fameux village… Où se trouve-t-il ? Avez-vous des conseils pour l’aborder ? Pour discuter dans des conditions propices avec son chef ? Si on peut éviter les impairs, en plus de celui de les accuser peut-être trop rapidement…

Résumé: