J’dois avec un truc avec les expéditions disparues qui deviennent plus ou moins monstrueuses. Y’a eu ceux qu’étaient sous la montagne, avec l’artefact de vérité, qui étaient transformés en bestioles peu ragoûtantes, et maintenant eux, d’anciens aventuriers cristalliques ou j’sais pas comment on dit. Ou alors c’est Weiss, possible que ce soit elle qui foute la grouille. Pas que j’sois particulièrement chanceux, mais avant, j’avais des trucs plus… conventionnels ?

Toujours est-il qu’il va falloir s’en occuper, et qu’au vu de l’absence de cordes vocales, ils vont de toute façon pas nous raconter grand-chose. J’regarde mes p’tits camarades, et j’me dis que y’a une solution simple, si on en prend un chacun. D’une pensée d’incarnation mémorielle, quatre clones apparaissent, tirés des souvenirs perdus de Jin, Zah et Luz. Une fine équipe, y’a pas à dire. Heureusement que ça m’en a pas sorti un moisi, j’aurais eu l’air fin.

J’regarde mes quatre mois, et j’essaie de les dater. C’est toujours un exercice marrant. Le plus jeune, ce sera Bâtard, sans manque de respect à Maman. Puis Connard, Salaud et… Sale Con. J’leur adresse un sourire chaleureux et plein d’amour. C’est qu’ils sont moi, donc c’est normal, j’trouve, surtout que j’vais les envoyer au casse-pipe.

« Allez, les gars, au boulot.
- Tu te touches, toi ?
- Ouais, c’est ce que je comptais faire, pour être honnête. Enfin… je supervise, quoi. Un vrai meneur d’hommes. »

Bâtard crache, puis se craque la nuque. Avec Salaud, il se dirige vers le plus excentré, et ils sortent leurs armes d’un air méfiant. Comme moi, des couteaux. J’y crois pas trop, contre un squelette. Une lame pour planter quelqu’un dans ses organes, ça n’a jamais trop fonctionné pour cisailler des vertèbres ou réduire en poussière des côtes. Du coup, c’est Connard et Sale Con qui prennent celui d’à côté, et commencent à ferrailler contre.

Les deux binômes alternent sous mon regard évaluateur les attaques, les balayettes, tout en se maintenant hors de portée de griffes des monstres. Ils reculent dans tous les sens, mais évitent comme ça de prendre des dégâts pendant que, les mains dans les poches, j’me demande à quelle période de ma vie j’étais le meilleur en castagne, si on exclut le présent. D’un autre côté, tellement d’objets et de possibilités, on perd une certaine pureté dans l’exécution ? Et force est de reconnaître que même si maintenant j’fais des erreurs, j’peux facilement compenser un certain nombre de fois par l’utilisation abusive de magie.

Comme le rossignol noir, quoi, c’est sûr que j’crochette plus les serrures aussi bien qu’avant.

Faudrait que j’envisage de revenir aux bases, p’tet, ça me ferait pas de mal. Si j’ai le temps, en tout cas, et j’sais bien que j’l’aurai jamais : le Royaume va m’user jusqu’au sang pour se venger que j’aie enfreint deux-trois lois y’a quelques années, quoi. C’fou, d’être rancunier, comme ça. J’devrais p’tet chercher ça, comme amélioration : le Royaume d’Aryon en tant qu’entité m’oublie. M’demande si c’est possible. Probablement un poil trop conceptuel.

Bon, c’pas tout ça, mais Focus est chargé, maintenant, pendant que j’me pignole en matant mes clones. Y’en a qu’ont pris des coups de griffes, mais, hé, ils avaient qu’à être l’original plutôt que la doublure. Allez, laissez passer le papa, le papa patron. Léger sur mes appuis, j’m’approche du plus lointain, j’vérifie ce qu’il y a dans l’arrière-plan, chez les figurants, et Bâtard attrape adroitement le bras du squelette. Il manque de disparaître au passage et m’adresse une insulte silencieuse, j’le sens dans son regard mauvais, mais il fait son taf, et j’fais le mien. Le gros du monstre nécromantique se fait atomiser par Focus, le rayon d’énergie pur le traverse, et va se perdre dans le fond de la grotte.

Quand même, un beau gâchis. J’ai pas vraiment d’entre-deux, entre les coups de surin et les dégâts sans subtilité de Focus. Bon, enfin, maintenant que mes mois ont fait diversion, y’aura bien quelqu’un pour se coltiner le dernier squelette. Déjà que Luz et Jin ont fini les leurs…

Spoiler:

Hé, j’aurais dû me douter que y’aurait une couille dans le potage. Y’en a toujours une. Ça pouvait pas être juste de se pointer là, trouver un bouquin qui détaille tout ce qui s’est passé façon journal intime ou de recherche, rembarquer mémé, les plaques d’aventuriers pour mettre dans le cercueil, et se barrer. Ç’aurait été trop facile, et ça, nous on n’aime pas. Enfin… j’me souviens pas avoir eu le choix, à la réflexion.

Toujours est-il que mon clone – j’ai déjà oublié lequel, mais il doit être salement arrogant, donc p’tet celui juste avant que j’me fasse capturer, hein, il a déjà été blessé par un coup de griffe, et qu’il s’attendait pas à ce que le macchabée se reconstitue pour continuer à lui taper dessus. Avec un dernier crachat pour marquer son désaccord, il disparaît, et v’là qu’on n’est plus que trois. Ah ben mince, hein.

Entre le mirage et la charge explosive pour laquelle j’me suis jeté au sol, en tout cas, on peut pas dire que ce soit pas animé.

Y’a un des squelettes qui nous a montré sa belle plaque de saphir. Pas de quoi être impressionné outre-mesure : Carci est saphir, ça prouve bien que c’est à la portée de n’importe qui. Même ma maman l’est, et c’est plutôt par accident qu’autre chose, c’est dire. Donc ça se trouve, lui aussi l’a trouvé dans une pochette surprise, ou l’a hérité d’une personne ou d’une autre, on sait pas. Pas de raison d’être intimidé. Puis il a p’tet plus son pouvoir, et c’est ça qui les rend aussi redoutables : des pouvoirs complètement fumés. A croire que Lucy distribuait des trucs beaucoup plus forts il y a un paquet d’années, sans qu’il y ait de vérification supplémentaire à la validation.

Ha.

Pendant que deux de mes clones distraient les squelettes les plus proches, et les entraînent un peu plus loin, j’réfléchis. L’île est flottante, donc le trou d’eau pourrait parfaitement mener dehors, ou à une autre grotte cachée. Mais d’un autre côté, y’a un des squelettes qu’est sorti de la p’tite cavité qu’était à côté du campement, et on peut aussi croire que c’est de là-bas qu’il faut aller voir pour avoir le fin mot de l’histoire. M’enfin, le chemin est bouché, pour l’instant…

J’recule de deux pas pour maintenir l’écart avec les monstres le plus proche, mais il a l’air décidé à venir m’emmerder. Ça m’ferait chier d’utiliser encore une charge de Focus, mais d’un autre côté, il est nettement plus vif maintenant… Tiens, j’pourrais utiliser mes saloperies. J’farfouille un peu dans mon sac sans fond, jusqu’à mettre la main sur mon piège ralentisseur petite et moyenne proie. Heureusement que j’ai lu le mode d’emploi y’a un bail. Mon côté prévoyant, ça.

J’le balance au sol, et deux squelettes se retrouvent ralentis dedans. Plus loin, mes clones se contentent de tourner en rond autour d’un autre. Ça sert à rien de les casser s’ils se relèvent, de toute façon, et j’préfère économiser ma magie pour l’instant. De toute façon, y’a des distributions d’objets en permanence, ici, alors pas de raison d’être radin, hein.

« Pensez qu’on devrait aller voir le collier de saphir qu’a brillé bizarrement ? Il doit être dans les débris de Jin, là-bas ! »

Spoiler:

Ohla, merde. On était bien, la situation était sous contrôle, et c’est brusquement parti en couilles. Pourtant, le saphir était réduit en miettes, les autres squelettes s’apprêtaient à pas faire long feu et, dans un monde idéal, quand le chef était tombé, tous les autres seraient redevenus poussière, nous laissant les coudées franches pour explorer tranquillement la zone, faire des prélèvements de poudre à sniffer…

… J’suis sûr que de la poudre d’os de saphir, ça se revend, genre pour la virilité ou le développement des pouvoirs magiques…

… M’bref, s’ils faisaient que se relever indéfiniment, ça serait pénible, mais sans plus. On sortirait du trivial pour atteindre un stade où faudrait suer un peu, quoi. Mais là, on est au-delà de ça : les monstres sont autrement plus vifs qu’au début, ils sont de plus en plus, et ils viennent de nous attaquer drôlement bizarrement.

Genre, celui que j’ai savaté, bizarrement, il est devenu plein. J’m’en rends compte pasqu’il a une orbite ébréchée, marrant ce qu’on remarque dans le feu de l’action. Ben, là, ils sont pleins avec un œil comme ça. Autant dire que c’est pas naturel, même sur un squelette animé par des pouvoirs occultes. D’ailleurs, ils font tous un peu ça. Y’en a un qui riposte à l’explosion de Jin par sa propre version gelée, même.

La patronne a raison quand elle dit qu’il est temps de se faire la malle. On pourrait repartir à la plage, mais c’est à l’autre bout de la caverne, donc il faudrait traverser l’armée qui nous fait face, et en plus, ça nous éclaircirait pas du tout le fond du bouzin, et c’est quand même pour ça qu’on est là.

« Dans l’trou, alors. »

A ne pas sortir de son contexte ?

Mes mots à peine murmurés sont étouffés quand j’me téléporte à proximité de l’ouverture, et que j’commence à ramper dedans à la suite de Zahria. On avance, on avance, et j’peux à peine jeter un coup d’œil derrière pour voir si ça se radine ou pas. Reste que dans le pire des cas, il me reste la stase et… Ouais, vaudrait mieux qu’on se fasse pas emmerder davantage.

Spoiler:

J’pense que j’ai un truc avec les tunnels. P’tet un genre de manque post-natal ou une connerie du genre, mais j’me retrouve toujours à ramper et me coller entre des parois en pierre qui m’font à chaque fois penser qu’un régime serait pas nécessairement une mauvaise idée. Mais ça serait au détriment d’autre chose, alors j’repousse toujours la possibilité. Puis, merde, j’suis pas censé passer ma vie sous terre, quoi, on est fait pour le soleil et les grands espaces, j’crois bien, vu comme on trouve ça plus agréable.

Reste que quand on émerge, y’a des ruines en pierre qui ressemblent à une porte ou un truc du genre. Mais, surtout, y’a un squelette un peu comme les autres mais pas tout à fait, le genre équipé, menaçant, bref, le chef de la troupe, quoi. Et comme on n’a pas réussi à faire autre chose que fuir piteusement devant les sous-fifres, la perspective du patron est pas terrible, surtout que les seconds couteaux peuvent encore nous arriver dans le cul : si on a pu prendre l’ouverture rocheuse, pas de raison qu’eux n’en soient pas capables, a fortiori s’ils habitent ici depuis une petite centaine d’années. Genre, ils doivent connaître le patelin, quoi.

Le squelette a l’air d’être dans une armure que la garde royale dénigrerait p’tet pas, avec épée et bouclier en cristaux. Ça a pas l’air très solide, de base, mais avec le matos magique, on sait jamais trop à quoi s’attendre.

Plus inquiétant, notre beau bateau, celui qu’était fier comme un trois-mât, il est maintenant planté dans la paroi de l’île, et y’a pas l’air d’y avoir beaucoup de vie à bord. Enfin, ils se sont p’tet planqués, j’sais pas, c’est ce que j’aurais fait à leur place. J’préfère espérer que le squelette les a pas soulevés par la force de pensée pour les coller là, et que c’est juste un monstre assimilé au diable marin qui s’en est chargé. De la force brute manipulée par les cristaux, ça m’semble plus gérable qu’un immortel bardé de pouvoirs occultes, après tout.

M’enfin, on s’occupera de ça et de rentrer à la maison quand on en sera arrivé là. J’vide mon esprit de tout ce qui concerne pas l’adversaire qui nous fait face, accordant qu’une attention très secondaire à la bestiole de brume qui rejoint Weiss. Jin commence déjà à foutre le boxon et attirer l’attention sur lui, à base de cris, de gerbes de flammes et d’insultes. Pas dit que ça marche : la mort a tendance à rendre pas mal de choses futiles, pour autant qu’il puisse entendre quoi que ce soit d’ailleurs, et soit pas juste une boule de haine ayant pour objectif d’exterminer toute vie humaine approchant de l’île.

D’une pensée, ma magie se déverse dans ma bague en or, et l’enchantement qui s’y trouve lui fait se compresser, se concentrer, dans un Focus d’école. Si tant est qu’on apprenne quoi que ce soit d’utile à l’école, s’entend. Après les boules de feu, j’balance mon laser d’énergie pure, en plein sur le squelette, et l’éclat lumineux mêlé aux flammes m’empêche de m’attarder pour en voir davantage.

J’deviens invisible, j’commence à partir sur le côté pour m’éloigner de quelques mètres, et essayer de me créer un angle si jamais ça n’a pas suffi à le vaporiser, pendant que Zah essaie de s’faire soigner.

Une pensée très désagréable m’vient brusquement : et si lui aussi pouvait copier nos pouvoirs ?

Là, ça schlinguerait singulièrement du derche. Mais il nous resterait les menottes ?

Spoiler: