Début de saison fraîche de l’an 1001
« Je vous dis que je suis sûre que c’était à cet endroit. J’en suis sûre et certaine. J’y suis retournée pour vérifier moi-même. »
L’officier devant moi perd lentement patience. Cela fait maintenant une semaine qu’il voit ma tronche tous les jours, il n’en peut clairement plus. Et je le comprends le pauvre bougre. Il n’a rien demandé, il ne fait que son travail du mieux qu’il peut en espérant une petite prime ou une promotion, mais mon affaire est déjà classée.
« Et moi, mademoiselle, je vous dis que nous ne pouvons rien faire de plus. Vous avez sûrement été victime vous et votre cliente d’un de ces gaz qui sont présents dans les grottes des montagnes. Nous n’avons rien trouvé sur place. Pas une trace, pas une seule goutte de sang et pas une seule once de magie. Vous avez halluciné. »
Je fulmine. Est-on en train de me dire que tout ce que j’ai vécu n’est qu’un rêve ? Que je deviens folle ? Que tout ceci n’est qu’un vaste blague. Je vois rouge, mon poing se serre, mes ongles entrant dans ma paume pour me contenir et me forcer à ne pas exploser de colère. Cet officier n’y est pour rien et ne fait qu’appliquer une procédure et les instructions qu’il a reçues. Rien de plus.
« Vous allez me dire que cette cicatrice est aussi une hallucination ? »
Je viens pousser la fleur éclose il y a à peine deux ou trois jours délicatement avec mes doigts, révélant une cicatrice encore rouge et fraiche en me penchant un peu plus sur le comptoir pour que le garde voit bien ce que je lui montre. Même si elle va disparaitre rapidement, elle est encore bien visible.
« Vous allez me dire que l’on m’a disséqué pour rien ? Que tout ce que l’on m’a fait n’était qu’une hallucination ? »
L’homme ne sait trop quoi répondre, rougissant d’un mélange de gêne et colère. Il me repousse légèrement, avant de soupirer en se massant les tempes.
« Très bien, laissez-moi récupérer votre dossier et nous allons l’examiner à nouveau ensemble... C’est tout ce que je peux faire. »
Mon regard pétille. Une petite victoire pour moi après ces jours de bataille administrative. Je ne pensais pas que le travaille de la garde pouvait être aussi compliqué, mais il faut croire que finalement ils savent faire un peu autre chose que se tourner les pouces. J’essayerais d’être un peu plus patiente avec Rid la prochaine fois que je le vois, ce doit être horrible de ne pouvoir agir à cause de paperasses insupportables.
Environ une heure plus tard
« Mademoiselle Zmeï ? »
J’attends depuis au moins une heure quand un nouvel officier vient me chercher dans ce qui ressemble à une salle d’attente du poste de gardes. Avec un sourire poli, je me lève et suis l’homme qui me guide jusqu’à une petite salle. Il m’invite à m’installer, prenant la chaise en face de moi en posant un dossier bien maigre devant lui. Je reconnais mon nom sur la couverture, mais je ne dis rien, constatant qu’il n’y a que quelques pages à l’intérieur.
« Vous dites être aventurière. Plaque d’identification ? »
Sans un mot, je la sors de sous mon chemisier, l’enlevant pour la tendre à l’officier. Ce dernier vérifie les informations, en reporte certaines sur son formulaire. Il semble lessivé, épuisé et particulièrement agacé. Je me mords l’intérieur de la lèvre en sentant que tout ceci ne s’annonce pas vraiment bon pour moi. Je soupire doucement en récupérant ma plaque, la remettant autour de mon cou.
« Alors, avez-vous des nouveaux éléments à nous apporter ? Mon collègue m’a dit que vous avez mené votre propre enquête. »
Je déglutis. Le ton de l’homme est parfaitement antipathique, me faisant sentir que je l’emmerde clairement plus qu’autre chose. Je serre les dents, jouant avec mes doigts sous la table pour passer ma nervosité.
« Non... Je... J’ai réussi à retrouver la grotte exacte avec un ami. C’est un hybride renard polaire, il a un très bon flair et c’est un excellent pisteur et...
- Avez-vous de nouveaux éléments, mademoiselle Zmeï ?
- Non, monsieur... Nous n’avons rien trouvé... »
Un nouveau soupir de l’homme qui vient se pincer l’arête du nez. Il semble faire des efforts pour garder son calme. Je me mords la lèvre inférieure, baissant le regard en sentant bien que je ne suis pas vraiment en position de défendre ma cause. Il revient ouvrir le dossier, s’arrêtant sur un feuillet qu’il commence à lire.
« Très bien. Je vais donc relire votre déposition et vous allez me dire s’il manque quoique ce soit. »
Je hoche vivement de la tête alors que l’officier se racle la gorge, se préparant à lire. Il commence par me demander la date des faits afin qu’il puisse confirmer ses données avant de commencer une lecture morceau par morceau de la déposition.
« Il est écrit ici que vous avez accepté une mission de la Guilde ici à la Forteresse pour le compte d’une enchanteresse de la Capitale. De la cueillette de plantes en montagne. Après avoir retrouvé votre cliente dans une auberge, vous êtes toutes les deux parties sur les sentiers pour vous rendre sur votre point de collecte. C’est exact ? »
Nouveau hochement de la tête de ma part avant qu’il ne poursuive.
« Après une bonne heure de marche, vous avez fait une courte pause pour observer la vu sur la vallée et vous avez été prises en embuscade par des bandits et avez finie assommée.
- Je ne sais pas s’il s’agissait de bandits... Il était difficile de dire qui ils étaient, j’ai distingué je crois six formes humaines... C’est comme s’ils utilisaient une magie pour rendre le fait de les identifier difficile.
- Bien, je vais ajouter cela. À ce moment-là, vous êtes déjà dans les grottes ou non ?
- Non, je ne crois pas...
- Vous croyez ou vous êtes sûre ?
- Je crois... »
Un nouveau soupir, bien plus agacé. Mon dossier est refermé, l’officier joignant les mains dessus pour me regarder en face avec un air grave sur les traits.
« Mademoiselle Zmeï... Je comprends ce que vous ayez vécu soit particulièrement perturbant pour vous. Je n’ose pas imaginer ce que cela fait de vivre une telle expérience. Sincèrement. »
L’homme semble compatissant pendant un instant, avant de reprendre une attitude bien plus froide.
« Mais vous devez comprendre que l’on ne peut rien de plus pour vous. Nous avons recueilli votre témoignage précis à vous et celui de votre cliente. Nous avons fait une inspection détaillée des grottes dans la zone que vous nous avez indiqué. Nous n’avons rien trouvé qui corresponde aux descriptions que vous avez faites toutes les deux. Pas de cellules, de campements de bandits ou de table de dissection ou je ne sais quels instruments de torture. Et encore moins le signe d’un grognours agressif dans cette zone. Rien de tout ceci. La seule chose que nous pouvons dire c’est que du gaz hallucinogène a été repéré dans une galerie de grottes se trouvant dans la zone que vous nous avez indiqué. Comprenez bien qu’avec tous ces éléments, nous ne pouvons arriver qu’à une conclusion. »
Je serre les dents sans dire un mot. Devant mon attitude, l’officier essaye de s’adoucir un peu.
« Je ne dis pas que vous êtes folle ou que ce que vous avez vécu n’est rien... Je dis simplement que toutes les deux vous avez pu être sous l’emprise de ce gaz qui vous ont fait faire des choix qui vous paraissaient parfaitement logiques sur le moment. Votre cliente vous a peut être réellement disséquée elle-même en espérant vous empêcher de subir une véritable torture. Que vous avez eu toutes les deux cette impression d’être captives. Vos esprits ont monté une histoire commune à laquelle vous croyez fermement toutes les deux.
- Mais nous n’étions pas dans les grottes quand j’ai fini assommée...
- Je pense que vous étiez plus proche des réseaux de grottes que vous ne le pensez. Ce n’est pas contre vous, mademoiselle Zmeï, mais je pense sincèrement que votre mémoire a été faussé par ce que vous avez vécu. Vous avez disparu quatre jours complets en montagne. Si vous avez été toutes les deux exposées à ce gaz pendant plusieurs jours en continu, j’ose à peine imaginer les dégâts sur votre mémoire... »
Je soupire, mes épaules s’affaissant légèrement alors que je comprends bien que je n’aurais rien de plus.
« Donc vous me dites d’abandonner ?
- Je vous dis d’arrêter de chercher des bandits kidnappeurs parce qu’ils n’existent certainement pas. »
Je ne prononce pas un mot de plus, l’envie de pleurer se faisant sentir. Je comprends parfaitement ce que l’officier m’explique, j’ai envie de croire ce qu’il m’explique. Mes souvenirs sont tellement vifs que je refuse d’y croire. Je finis par simplement hocher de la tête et je me fais poliment accompagner vers la sortie.
Je retrouve Adam un peu plus tard, trépignant en attendant de mes nouvelles, espérant que mon affaire avance. Je sens sa colère face à cette injustice pour mon cas. Je viens récupérer ses mains pour essayer de l’apaiser. Savoir que mon ami s’inquiète autant pour moi me touche, c’est ce dont j’ai besoin en cet instant.
« Ça va aller, Adam...
- Sia...
- Ça va aller... Vraiment.
- Tu sais que tu peux toujours venir ici s’il le faut ? »
Je hoche vivement de la tête avant de prendre le blond dans mes bras, le serrant contre moi en essayant de me donner du courage autant que j’essaye de le calmer.
« Je vais rentrer. Lyle doit s’inquiéter. »
Mon ami me laisse partir un peu à contrecœur, je le sens bien. Après des salutations et des remerciements auprès d’Ivan pour son hospitalité, je reprends la route en direction de la forge Obsid. Mon maître ne me demanda pas spécialement de détails ce jour-là, s’assurant juste que je vais bien. Rien de plus. J’ai disparu après une semaine et demie pour une mission qui ne devait durée qu’une journée, et il ne me questionne pas plus que cela. Est-ce que ma lettre a suffi à le rassurer ?
Milieu de saison fraiche de l’an 1001
Les choses se sont beaucoup enchainées dernièrement. Je n’ai pas écrit ici depuis un moment, mais je sens que j’en ai besoin. Je me suis mise à ressentir des choses nouvelles, des sentiments que je ne connaissais pas.
Je crois que je suis amoureuse de Lyle.
C’est con, hein ? Moi ? Amoureuse ? Je n’y crois pas trop. Je me voyais passer ma vie à forger, m’enfermer jusqu’à atteindre la perfection que je recherche, et voilà que je tombe amoureuse de mon maître. C’est presque pathétique. J’ai l’impression d’être une de ces héroïnes un peu bête de romans d’amour. Je les trouve toujours idiotes ces cruches qui développent des amours à sens unique. Et voilà que je ne fais pas mieux.
Je ne suis qu’une cruche aussi.
Je n’espère pas trop. Lyle a son rêve, il est un excellent forgeron et je ne veux pas le détourner de la forge. J’ai aussi mon avenir à tracer. J’ai hésité à tout lui dire de but en blanc et puis je me suis ravisée. À quoi bon ? Je sais mon amour impossible ? J’ai manqué de courage. Je souhaitais me débarrasser de ce sentiment, tout sortir pour pouvoir passer à autre chose, étouffer mes sentiments dans l’œuf, mais je me suis dégonflée au dernier moment.
Je ne suis qu’une lâche.
Je ne lui dirais rien. Je vais garder ces sentiments pour moi et espérer qu’ils partent. Oui, c’est la meilleure solution.
Je pense revenir écrire ici plus souvent. Cela me fera du bien je pense, m’aider à faire passer ce sentiment. Tu vas sûrement me voir écrire plus fréquemment ici.
Début de la troisième lune de saison fraiche de l’an 1001
C’est incroyable. Juste incroyable. Je n’arrive pas à réaliser moi-même.
Aujourd’hui j’ai reçu une lettre d’Emerald. Nous n’avons pas pu nous voir depuis un moment même si nous avons beaucoup échangé par courrier. C’est un noble aventurier que j’ai rencontré lors d’une mission un peu cocasse et les choses ont fait que nous nous sommes bien entendus et avons bien échangés. À force de discuter, nous sommes tombés d’accord sur une chose : l’éducation des gamins et la prise en charge des orphelins dans le royaume est tout simplement à chier. Bon, lui il a dit ça de façon plus élégante, mais c’est le fond de la pensée.
Ensemble nous avons secouru la petite Kim, une petite rouquine rebelle, orpheline, rejetée par le village où elle a trouvé refuge et n’ayant pas vraiment de chez elle. Enfin si, un cimetière. Pas réellement dingue comme lieu de vie, non ? Alors nous avons décidé d’y mettre la main à la pâte. Au début, je n’étais pas très motivée. Ce n'étaient pas mes oignons, et j’ai clairement pas les moyens de sauver tous les orphelins du royaume. Je m’inquiète déjà bien assez pour Brent tandis que lui a sa mère...
Mais Emerald, lui, il les a les moyens.
Noble et bourgeois. Que demander de plus ? Et c’est qu’il a des connexions le bougre. Il n’a pas fallu grand-chose. Une bonne discussion, des plans sur la comète, beaucoup de « et si » et nous avons fini par tracer les lignes d’un projet. Un projet que je ne pensais pas possible.
Et aujourd’hui, il m’annonce que le premier orphelinat de l’Arche de l’Espoir va pouvoir ouvrir ses portes. On a misé sur la Capitale pour débuter. Un projet pilote pour encourager plus de personnes à investir. Pour l’instant, le truc ne tourne que sur l’argent des Aubeclair et des dons que mon ami a pu récupérer.
J’ai décidé de me motiver aussi. Je vais contacter des artisans que je connais à travers le royaume, peut être passer par la Guilde pour contacter des aventuriers, peu importe. Je vais l’aider à trouver des gens qui veulent bien donner des cristaux ou un peu de temps pour tout ceci. Une parole en emportant une autre, on va bien réussir à monter un super truc, non ?
En tout cas, Emerald souhaite faire l’ouverture en grandes pompes. Il va organiser un bal avec buffet et tout le bazar pour nous faire de la publicité. C’est ce qu’il y a de mieux à faire selon lui. Le truc, c’est qu’il m’a proposé d’y aller accompagner. Avec qui je vais pouvoir y aller ?
Rid ? Hors de question.
Sio ? Elle risque de dévorer tout le buffet.
Mon père ? Non.
Almassar ? Je l’aime beaucoup et ça serait sûrement amusant avec lui, mais pas en tant que co-fondatrice du projet.
Adam ? Je n’ai pas envie d’infliger cela à mon pauvre ami... J’imagine déjà d’ici sa tête en entrant dans la salle à mon bras. Non, vraiment, je ne veux pas lui infliger cela.
Et Lyle ?
Honnêtement, j’y ai pensé. Mais jamais il n’acceptera, non ? Lui ? À un bal avec des nobles ? Je sais qu’il ferait beaucoup pour son apprentie, mais autant ? Non.
Et puis merde.
Il faut que j’essaye. Allez, je prends mon courage et je vais lui demander. Je l’entends qui rentre de la forge.
Souhaite-moi bonne chance.
Quelques heures plus tard
Par Lucy. Je n’y crois pas. Je viens de me pincer encore et encore le bras. Je n’y crois pas. Dites-moi que ce n’est pas un rêve.
Lyle a accepté.
Oui oui, il a accepté.
Je n’y crois moi-même pas. J’ai dû lui faire répéter quand il m’a dit qu’il est d’accord pour m’accompagner.
Je vais être très occupée les prochains jours. Je dois me trouver une robe, de quoi me faire belle, et je dois prévoir le voyage jusqu’à la Capitale. Lyle n’a pas envie d’utiliser les portails de téléportation. Je risque de ne pas revenir avant un moment ! Peut-être que mes parents peuvent nous héberger ? Ou Emerald ? Je pense d’ailleurs que je ne vais pas couper à une session essayage de robes avec lui...
Bref, donne-moi du courage. Je vais en avoir besoin.
Le soir du festival de l’an 1001
L’amour, c'est vraiment compliqué.
Aujourd’hui, je me suis prise la tête avec Lyle. J’ai réussi à le convaincre de m’accompagner au Festival du Solstice, mais je ne comprends pas pourquoi il a tenu à venir avec moi alors qu’il ne voulait pas réellement y aller... Je n’ai pas beaucoup insisté, et j’aurais pu me débrouiller toute seule.
Au moins j’ai pu passer du temps avec Adam et Almassar, j’ai même retrouvé Sio ! J’ai passé une super journée avec eux. Le blond m’a même offert une jolie épingle à cheveux. Je vais essayer de la mettre quand je ne suis ni en mission ni au travail à la forge !
Et puis, je me suis rendue compte que je me suis comportée comme une conne avec Lyle. J’ai réussi à la retrouver et je me suis excusée auprès de lui. Je lui ai offert mon cadeau et il semble m’avoir pardonné. Je suis passé de la colère, au remords à une véritable joie en un temps record. C’est vraiment bizarre.
Je crois que l’amour me fait ressentir des choses étranges.
Début d’année de l’an 1002
Je me suis enfin décidée sur un nom.
Pixidis.
Mon œuf de dragon miniature a éclos dès que j’ai prononcé ce nom. C’est bête, mais jusqu’à maintenant je n’ai pas réussi à trouver un nom qui me convienne, qui me donne envie de le prononcer, et là d’un coup, c'est sorti.
J’ai vu dans un livre que cela signifie « Boussole » dans une ancienne langue. Il y aurait même un alignement d’étoiles qui porte ce nom.
Désormais j’ai un petit compagnon avec moi, Pixidis. Je ne serais plus jamais seule.
Dans les prochains jours, je vais aller me trouver un parchemin de magie de familier. Pour mon premier, j’ai envie de pouvoir communiquer avec lui facilement. Et plus tôt je lui apprends les concepts humains, plus facile, ça sera de discuter avec lui. Non ?
J’espère revenir rapidement avec des nouvelles.
Quelques jours plus tard
J’ai décidé d’accepter une quête qui s’annonce difficile aujourd’hui.
J’ai laissé Pixie à Adam, c’est mieux qu’avec Lyle qui ne semble pas vraiment à l’aise avec. Et mon ami a accepté. Je ne me sentais pas de l’emmener avec moi alors qu’il n’est encore qu’un bébé.
Et puis je pense que j’ai bien fait.
J’ai fait la rencontre d’un certain Sileas. Un grand blond, borgne, avec un appétit d’ogre et plutôt sympathique.
Notre quête ne s’annonce pas facile du tout. C’est compliqué, une histoire de chouettours élevé en utilisant le pouvoir d’une gamine morte, une chef de village qui a préféré taire des détails, et nous on doit affronter ça à deux.
Je ne pense pas m’en sortir indemne. On va faire au moins.
Une petite semaine plus tard
C’est la merde. La merde totale. Je deviens folle. Cette fois, c’est sûr.
Je perds complètement la tête. Que quelqu’un m’aide. N’importe qui. Aidez-moi.
Une nuit en début de saison froide de l'an 1002
Hé gamine.
Mais ferme-la à la fin. J’en peux plus de t’entendre. Je veux juste dormir. Dormir. C’est si compliqué que ça ? C’est trop demandé ? Tu veux pas me foutre la paix.
Oh ça va. Je t’ai foutu la paix jusqu’à maintenant.
Ça ne pouvait pas continuer ? Tu dois vraiment venir m’emmerder dans mon sommeil ?
Tu me laisses pas le choix. C’est toi qui as choisi de m’utiliser pour le sauver. Pas moi.
Encore cette histoire ? Tu vas me demander ça toutes les p*tains de nuit ?
Oui. D’ailleurs, j’aurais des réquisitions à faire.
MAIS FERME TE GUEULE A LA FIN.
Non. Je disais donc : des réquisitions.
J’en peux plus. Je veux me réveiller.
C’est pas parce que mon être se compose de chlorophylle que tu dois me traiter comme si je n’étais qu’un objet. J’ai des sentiments moi aussi. J’aimerais bien que tu me demandes un peu mon avis avant de faire ce genre d’actions imprévisibles. Tu crois que je ne souffre pas moi aussi ? On se partage ce corps, gamine. Il va falloir faire avec. Je te donne l’énergie qu’il faut pour que tu survives et c’est comme ça que tu me remercies ? Vraiment, les humains, tous des égoïstes.
C’est bon ? T’as fini ?
Non. Ce n’est que le début.
Par Lucy, tuez-moi.
Alors bon, je ne disais rien jusqu’à maintenant. Je t’aidais à survivre, j’ai renforcé ton corps naturellement faible à la naissance. T’avais même pas de quoi utiliser ton pouvoir toute seule ! C’est grâce à moi que tu peux l’utiliser. Moi et moi seule.
Oui, c’est cela. Et puis quoi ? T’es une incarnation divine de la volonté de Lucy ?
Exactement. Je suis divine. Je savais bien que tu saurais t’en rendre compte.
Il faut que je me réveille.
Tu en as encore pour quelques heures. Revenons-en à nos pétales. J’en étais où déjà ? Ah oui ! C’est grâce à moi que tu peux utiliser ta magie et que tu es encore en vie. Tu serais morte bien vite sinon.
Bien sûr, merci de m’avoir sauvé en de maintes reprises...
Parfaitement. J’apprécie tes remerciements. Ça ne me dérangeait pas trop que tu décides de me modifier sans mon accord. Bon, ça me permettait de développer plus de mon potentiel. Par exemple, vraiment excellente l’idée de stocker de l’énergie pour que je puisse l’utiliser plus longtemps. Vraiment excellente !
Ça ne vient pas de moi. C’est Almassar.
Ah ? Le petit brun rachitique avec un livre volant ?
Il n’est pas rachitique. Parle un peu mieux de lui.
Peu importe. Il a réellement eu une excellente idée ce gamin ! Je devrais retenir son nom. Tu le remercieras de ma part ?
Vas crever.
Le tatouage pour utiliser mon énergie pour te régénérer, ça passait encore. J’acceptais jusque-là. C’était pour toi après tout.
C’est que du soin. Rien de sorcier.
FAUX ! ET ARCHI FAUX ! Ce n’est pas du soin, petite sotte ! C’est de la « régénération cellulaire ».
Et alors ? Ça revient au même.
À quoi bon discuter avec une idiote comme toi ?
Je te retourne la question. C’est toi qui viens m’emmerder quand je veux dormir.
Ah les jeunes de nos jours, aucun respect. Tout ceci pour dire, je la retiens cette enchanteresse avec ses faux airs de jeune fille innocente. C’est elle qui t’a donné cet horrible objet qui permet de partager l’énergie que j’ai accumulé avec tant d’efforts...
De qui tu parles ?
Mais si tu sais ! La jeune fille aux cheveux bleus. Celle qui t’a attaché à une table pour siphonner toute mon énergie.
Comment ça ?
Tu ne vois pas ? Tu devais la guider à travers la montagne, tu t’es faite avoir comme une bleue, elle t’a utilisé et m’a utilisé et quand je suis revenue tu avais cet horrible bracelet avec lequel tu jouais.
Vivianne ?
Qu’est-ce que j’en ai à me carrer les racines de son nom ? Peut-être ? Les noms sont des concepts inconnus pour nous, végétaux. Mais je la retiens cette sorcière ! Elle a osé toucher mon magnifique pédoncule ! Et tout ça pour aspirer toute l’énergie que J’AI accumulé pendant des lunes. MON énergie. A-t-elle seulement conscience du temps qu’il m’a fallu pour avoir ce périanthe si parfait ? Non, elle n’en sait rien, elle n’est qu’une voleuse cette vieille peau.
Je comprends rien de ce que tu racontes.
J’essaye de te dire que tu n’as pas halluciné, gamine. C’est cette fille qui t’a découpé vivante pour m’arracher au parfait terreau qu’est ton corps et t’offrir cet hideux bijou qui t’a permis de sauver le joli blond.
...
Tu ne dis plus rien ?
...
Tu es encore là ?
...
Gamine ? Hé gamine ? Tu es encore là ? J’ai encore des réquisitions à faire ! Je comprends que le joli blond t’ai tapé dans l’œil qu’il te reste et que tu souhaites qu’il te prête sa jolie lance pour te détendre un peu l’orifice, mais je n’ai pas signé pour insuffler ma divine sève dans ce corps de pouilleux ! Réponds-moi espèce de petite effrontée ! Oser ainsi m’ignorer, moi qui m’occupe d’elle depuis sa naissance... Je l’ai presque élevé, et c’est ainsi qu’elle me remercie ? Je ne vais pas te laisser tranquille de si tôt ! Ne t’avise pas d’à nouveau m’utiliser au point d’abimer ma sublime corolle pour un autre.
Tu es vraiment sûre que je n’ai pas halluciné ?
Tu remets en question mes propos ? C’est que tu souhaites à nouveau discuter ! Tant mieux, j’aimerais que l’on discute à nouveau de mes exigences en tant que symbiote qui partage et entretient ce corps que tu as. Et pour cela, nous allons commencer par...
Au petit matin
J’ai passé une nuit horrible. Au petit matin, je me réveille avec l’impression d’une abominable gueule de bois. En passant ma main sur mon visage, je sens que ma fleur a éclos dans mon sommeil. Déjà bientôt une semaine que j’ai quitté les côtés de l’aventurier borgne et j’ai l’impression que lui avoir sauvé la vie m’a permis d’en apprendre plus sur la mienne.
La discussion dans mon rêve est encore floue. Cette voix n’a pas arrêté de parler encore et encore. Elle m’a emmerdé toutes les nuits depuis que j’ai sauvé la vie de Sileas, me parlant d’exigences quant à la vie commune et au partage de mon corps. La plupart du temps, je l’ignore et ce qu’elle raconte me sort de la tête. Mais cette fois, j’ai retenu un détail.
Je n’ai pas halluciné.
Je ne sais trop à quel point je peux croire ce que raconte cette voix que j’ai commencé à associer comme l’expression verbale du végétal qui orne mon visage, mais elle m’a permis de confirmer un détail. Il y a plusieurs lunes, je n’ai pas halluciné. Tout ce que j’ai vécu, était bien réel. Je ne sais trop ce que ma cliente m’a fait ce jour-là, et je n’aurais certainement jamais la vérité, mais une chose semble certaine : on en voulait au végétal qui canalise ma capacité magique et unique.
Je me relève, regardant le paysage à travers la fenêtre de ma chambre. Pixidis m’entend bouger, relevant légèrement la tête de son petit panier avant de s’enrouler à nouveau pour s’endormir. La neige tombe à petits flocons, le jour pointe à peine ses premiers rayons dans le ciel. Je sens déjà que la journée va être horriblement longue.
Après avoir passé quelques jours dans une auberge de la Forteresse, je vais rentrer à la forge Obsid. Beaucoup de travail m’attend et j’espère que je vais pouvoir oublier cette histoire en me plongeant dans le travail.
Depuis cette nuit-là, la fleur ne m’a pas reparlé. Je n’ai plus entendu son horrible voix stridente dans mes songes. Mon sommeil est devenu à nouveau doux et réparateur.
Ce n’était que le calme avant la tempête. Même si la voix ne vint plus me déranger, ses mots restèrent imprimés dans ma mémoire. Je n’avais pas rêvé durant ces quelques jours où j’avais disparu en pleine montagne. Ce que j’ai vécu était bien réel.
J’avais enfin droit à une vérité.
Je n’étais pas folle, ce n’est pas un gaz hallucinogène qui m’a fait imaginer des choses. On m’a bien enlevé ce jour-là pour s’en prendre au catalyseur de ma magie. J’ignore exactement pourquoi mon pouvoir est intéressant, ce qu’il peut bien apporter à d’autres, mais dans un coin de mon esprit une question tourne en boucle : et si on revient essayer de m’enlever ?
Les hommes qui m’ont enlevé ont mystérieusement disparus. Est-ce qu’ils sont tous réellement morts et leurs corps effacés magiquement ? Est-ce qu’ils ont décidé de juste disparaitre ? Je n’ai aucune réponse à ses questions, et ne pas savoir est bien pire que de se savoir en danger. Je ne sais pas et je n’ai aucune idée de comment anticiper cela.
Ces questions finissent même par atteindre mes rêves, impacter mon quotidien et mon mental d’acier. Lentement, mais sûrement, la solidité de mon esprit s’érode. Des pensées négatives m’envahissent, me tourmentent et m’empêche d’être vraiment apaisée. Mon sommeil se dégrade rapidement, mon familier s’inquiète de plus en plus de mon état, les cauchemars deviennent de plus en plus violents et noirs, et mon corps finit par en pâtir.
Je me fatigue, m’épuise, je n’arrive plus à travailler correctement. Je fais des erreurs, commence à me blesser et je n’arrive plus à me concentrer. Mon état devient préoccupant, et même si mon maître ne me demande pas directement ce qui ne va pas et ne cherche pas à creuser, il se rend compte qu’il ne peut pas me laisser ainsi.
Tout s’achève quand je viens à réellement me blesser à la forge.
Pris de panique, Lyle m’assiste et m’aide à me soigner. Grâce à ma magie, je résous cela rapidement, mais le mal est déjà fait. Mon maître se rend alors compte qu’il ne peut plus me laisser entrer dans la forge. Ce jour-là, il me force à arrêter de travailler et me reposer. Interdiction de sortir de ma chambre, je dois dormir absolument et il s’occupe de cuisiner pour me nourrir. Cela ne m’aide pas vraiment et me frustre plus qu’autre chose, mais il essaye. À sa manière.
Le lendemain la décision tombe : je n’ai plus le droit d’entrer dans la forge.
J’ai l’impression de me briser un peu plus de l’intérieur, que l’on me retire ce qui fait mon essence. Je n’ai plus le droit de forger. Sa condition pour que je puisse à nouveau approcher un fourneau : que les cernes sous mes yeux disparaissent et que je retrouve de la couleur. En attendant, je suis limitée à la boutique et au petit atelier. Rien de plus. Même si je peux encore travailler, j’ai l’impression que l’on me punit de quelque chose que je ne maitrise pas. Mon moral est au plus bas et je commence à avoir des idées noires.
Je tiens ainsi un moment, plusieurs jours, quelques semaines, mais je commence à doucement perdre toutes saveurs de la vie. Je ne parle plus à Lyle, je m’isole. Seul mon familier arrive encore à illuminer un peu la noirceur dans laquelle je me maintiens prisonnière. Mon état se dégrade et bientôt je ne sors plus de ma chambre et de mon lit.
Je me flétris.
Après quelques jours
*Sia...*
Je renifle légèrement, essuyant le coin de mon œil valide. Je regarde de manière fixe un morceau de pain que mon familier m’a apporté. Je suis reconnaissante qu’il essaye de s’occuper de moi, mais cela ne passe pas.
*Sia doit manger. Sia doit être forte.*
Je souffle un rire amer. Je suis loin d’être forte et je rejette la nourriture avant de me rouler en boule sous mon drap. Je sens la chaleur du petit dragon qui essaye de se glisser sous le tissu pour se blottir contre moi. Je pourrais à nouveau pleurer, mais je n’en ai plus la force. Je suis épuisée, mais je n’arrive pas à dormir. Je veux manger, mais tout me dégoûte. J’ai envie de forger, mais je n’en ai pas le droit.
On frappe à ma porte et j’entends vaguement la voix de mon maître. Je ne sais ce qu’il dit, Pixidis étant le seul qui réagi. Il sort de la chaleur des draps et s’occupe d’aller ouvrir. J’entends des pas, des objets que l’on déplace, puis de nouveau des pas avant que la porte ne se referme.
*À manger pour Sia.*
Je me roule un peu plus comme pour ne plus pouvoir sortir de mon cocon.
*De l’eau chaude aux légumes. Sia doit manger !*
Je ne veux pas. Je ne toucherais pas au plat et reste ainsi jusqu’au soir. Mon dragon se déplacera tout l’après-midi, essayant de me tenir la conversation et me faire sortir. Sans réussite. Je sais que le soir est de nouveau là, car on frappe à nouveau à ma porte pour m’apporter le diner. Je n’ai rien avalé depuis des jours à part un peu d’eau. Un long soupir se fait entendre et la voix inquiète de mon dragon dans mon esprit.
*Lyle pas bien.*
Je souffle un autre rire amer. À vrai dire je pars même pour un vrai rire mauvais. Un de ces rires nerveux que l’on a quand on est énervé. Au fond de moi, je sais qu’il fait de son mieux, qu’il me gère comme il peut, mais en cet instant, je lui en veux terriblement. Ma gorge est sèche et ma voix rauque, enraillée, mais les mots qui sortent de ma bouche son venimeux, emplis d’une colère rare.
« C’est ta faute si je suis comme ça. C’est toi qui m’as enfermé. Dégages maintenant. »
Quand je prononce ces mots, je les pense sincèrement. Il est celui qui me retire ce dont j’ai besoin, celui qui me prive de ma passion.
*Pourquoi Sia méchante ?*
Les larmes arrivent à nouveau et cette fois, je ne les retiens pas. Je sens la présence du petit familier à mes côtés alors que les pas repartent vers l’extérieur de mon espace privé. Ce soir-là, je ne mange pas non plus et pleure jusqu’à m’endormir complètement épuisée. Une nouvelle chose en moi s’est brisée, mais pas seulement. Cette fois, les dégâts sont peut-être irréparables.
« Adam, j’aimerais vivre avec toi. »
Le visage de mon ami devient semblable à celui d’une tomate et j’ai l’impression d’entendre le vieil Ivan s’étouffer à côté. Je cligne légèrement de l’œil avant de me rendre compte de l’ambiguïté de ce que je viens de dire. Je me frotte le visage, les traits tirés et particulièrement fatigués. Un long soupir m’échappe, me rattrapant avant que le blond n’arrive à bégayer quelque chose.
« Tu te souviens de ta proposition ? Que si j’ai besoin, tu peux m’accueillir. J’en aurais besoin maintenant. »
Cette fois, je le vois passer par plusieurs émotions, ne sachant trop laquelle choisir avant de lentement hocher de la tête. Il doit avoir énormément de questions, mais n’en pose pas. En revanche, ce n’est pas le cas d’Ivan qui se décide à sortir de derrière son comptoir. Le vieil armurier est toujours là pour aider mon ami et l’aider à réfléchir, et depuis que je les connais tous les deux il m’est arrivé qu’il en profite pour me donner aussi un peu de bon sens.
« Attends un peu Sia, tu ne vivais pas avec Lyle ? Si c’est juste une dispute de couple, je suis sûr que...
- Nous ne sommes pas un couple et je ne veux plus vivre avec lui ! »
Ma voix résonne à travers la petite échoppe des deux armuriers, faisant légèrement vibrer certaines armures métalliques disposées non loin. Je vois l’étonnement de l’homme alors que j’affiche visiblement une réelle colère, ma voix exprimant un mélange de haine et de profonde peine. Ma vue se brouille légèrement, les larmes montant alors que je sers les poings à m’en faire entrer les ongles dans les paumes.
À ce moment, Pixidis sort de ma capuche et vient frotter sa petite tête écailleuse contre moi, comme pour essayer de me remonter le moral. J’essuie rageusement ma joue où glisse une larme. Le jeune hybride semble s’attendrir en voyant mon état, posant sa main couverte de poussière sur mon avant-bras, le serrant comme pour m’intimer à sortir ce qui me pèse. Je renifle alors que d’autres larmes roulent, ma voix devenant tremblotante.
« Il m’a interdit de forger. Je n’ai plus le droit de travailler. Je me meurs, Ivan. J’ai besoin de changer d’air. »
Mon dragon vient lécher une de mes larmes, secouant la tête à son goût salé avant d’à nouveau se frotter pour essayer de calmer le flot qui s’écoule de mon œil. Un long soupir vient d’Ivan qui se gratte la tête, l’air à la fois gêné et concerné.
« D’accord... Je sais pas ce qu’il s’est passé entre vous et je ne veux pas m’en mêler. Tu l’as prévenu au moins ? »
Je hoche de la tête en essuyant de nouvelles larmes du dos de ma main.
« Bon alors je pense que le gamin peut bien te faire une place. Et si tu as tant besoin de travailler, je vais pas refuser ton talent. Je suis sûre que tu t’es encore aiguisée depuis la dernière fois que j’ai vu ton travail. »
Face à son petit sourire moqueur, je lâche un léger rire qui semble arrêter mon envie de pleurer. Il se frotte un moment les mains, réfléchissant sûrement à certains détails.
« Tu as tout ce qu’il te faut ? Je pense qu’il faudrait que tu prennes le temps de t’installer et te reposer. Tu as une mine horrible. Et j’entends ton estomac faire un véritable concert. T’as pas mangé depuis combien de temps ? »
Le vieil homme se retourne et se dirige dans un espace qui mène à l’arrière-boutique. J’arrive enfin à sourire légèrement alors que mon ami reste avec moi. Je l’ai visiblement arrêté en plein travail, la crasse le recouvrant en attestant, mais il n’a pas hésité à s’interrompre pour venir voir ce dont j’avais besoin. Je suis tellement reconnaissante de ce qu’il a déjà fait pour moi et ce qu’il s’apprête encore à faire.
Dans un élan d’affection, je viens prendre Adam dans mes bras et le serrer contre moi dans un câlin des plus sincères. Je sens qu’il est légèrement tendu de cette marque d’affection soudaine, se détendant légèrement pour me serrer à mon tour et me frotter le dos. Nous restons ainsi jusqu’à ce que je me décide à me reculer pour essuyer ce qu’il reste de mes larmes. Il vient même en essuyer une de ses doigts crasseux qui laissent une marque sur ma peau claire.
« Mince... Attends... Je... »
Je ris à nouveau en voyant l’état de panique dans lequel il rentre rapidement. Je pourrais presque voir ses oreilles rabattues sur sa tête si elles étaient sorties.
« Merci Adam... Vraiment, merci pour tout... »
Ce moment légèrement gênant passé, il me guide pour que je puisse m’installer et avoir droit à une petite chambre improvisé. Je prends le temps de m’installer et me laisse tomber sur le couchage qui va me servir de lit pour les prochains jours. Mon dragon vient rapidement s’installer sur mon oreiller alors que je sors au fur et à mesure plusieurs affaires de mon sac sans fond.
Comment en suis-je arrivée à devoir ainsi m’enfuir ?
Quelques heures plus tôt, le matin
Encore une journée morne qui s’annonce. J’arrive à mes limites. J’ai arrêté de compter le nombre de jours depuis lesquels je me suis ainsi cloitrée. Lyle a arrêté de m’apporter à manger et je me relève parfois la nuit pour grignoter juste un peu. Nous ne nous sommes plus croisés depuis ces mots blessants que je lui ai donné.
Je n’en peux plus de cette situation. Je suis terriblement frustrée, sentant la colère prendre le dessus sur mes autres émotions. Je me relève et vient observer plusieurs schémas et croquis disposés sur mon bureau.
D’un coup, la rage éclate.
Je fais voler le tout d’un geste violent, hurlant ma colère et mon désespoir à pleins poumons. J’envoie voler tout ce qui me passe sous la main. Mon oreiller est récupéré et déchiré, les plumes volant au plus grand bonheur de Pixie qui joue avec dans son coin. J’ai envie de tout briser et ma colère vient se porter sur le seul objet que mon maître m’a offert. Mon sceau de forgeronne. Je m’empare du tampon et essaye de le briser, de l’abimer et le tordre. Je m’en fais mal aux mains, n’ayant clairement pas la force d’ainsi briser à mains nues un objet métallique. Tout au plus, réussir à séparer la partie métallique de son manche en bois.
Je me laisse glisser contre un mur, observant mes mains tremblantes que j’ai ouvertes à ainsi m’énerver et les dégâts autour de moi. J'utilise le peu d’énergie magique que j’ai encore d’accumulé en moi pour refermer les blessures sur mes paumes, la douleur s’arrêtant presque aussi vite que le saignement. Je reste ainsi plusieurs minutes, complètement immobile.
Je réfléchis, sentant que je ne peux plus rester ainsi. Je me relève avec un long soupir.
« Pixidis, nous partons. »
*Partir ?*
« On va aller chez Adam. »
C’est parfaitement irréfléchi et immature, mais je sens que c’est la meilleure solution à ma situation actuelle. Je récupère mon sac sans fond et y glisse nombre de mes affaires. Tout ce qui me semble important pour vivre loin d’ici pendant plusieurs jours. Je m’habille rapidement prenant aussi des affaires pour mon familier, puis quand je parais prête, je récupère juste de quoi écrire et mon sceau de forgeronne.
Accompagnée de mon dragon, je sors enfin de ma chambre, gagnant le petit souloir pour me rendre dans la petite salle à manger. Là je m’y installe et commence à écrire. Le rouquin n’est pas dans les parages, certainement enfermé dans sa maudite forge comme à chaque fois que quelque chose ne va pas.
Avec une certaine colère, je commence à écrire. Mon écriture et légèrement précipité, m’y reprenant parfois pour écrire certains mots et faisant des ratures. Quand la lettre est terminée, je la laisse à cet endroit que je sais bien visible et pose mon sceau dessus pour que la feuille ne s’envole pas. Lorsque tout est bon, je récupère mon sac et me dirige vers l’extérieur ainsi que ma liberté.
Lettre adressée à @Lyle Obsid :
Je n’en peux plus. J’ai l’impression de n’être qu’une prisonnière. Je ne tiens plus, je ne veux plus être ici pour rester enfermée.
Je m’en vais. Je ne sais pas quand je reviendrai, mais j’ai besoin d’aller ailleurs, voir du monde.
Si un jour tu te décides à sortir de ton foutu trou et me montrer que tu en as un peu dans les tripes, trouves Adam ou Ivan à la Forteresse.
Je te laisse mon sceau. Je risque de pas vouloir l’utiliser pendant un moment.
Peut-être à jamais.
Sia
2 petites semaines plus tard
Pouvoir à nouveau forger. Voilà ce qu’il me fallait vraiment. Je me sens revivre. J’ai progressivement pris le temps de me reposer, reprendre des repas réguliers et récupérer globalement de l’énergie et un teint s’approchant de celui d’un vivant. Après quelques jours d’un véritable repos, j’ai pu intégrer la forge et travailler en compagnie de mon ami. Petit à petit, je me suis sentie redevenir moi-même. Les mauvais rêves se sont éloignés, ma concentration est revenue et j’ai retrouvé le sourire.
Ce temps en compagnie d’Adam m’a permis de me rapprocher de lui. Bien qu’on s’entendait déjà incroyablement bien, nous avons développé une certaine complicité. J’ai commencé à me livrer un peu plus à lui, à lui ouvrir mon cœur et lui dire ce qui me pèse. Cela a touché l’hybride qui a lentement commencé à faire de même. Cette complicité a commencé à se faire sentir en travaillant, nous accordant l’un à l’autre. Sa présence est devenue une véritable bouée de sauvetage, m’aidant à maintenir ma tête hors de l’eau.
Je suis redevenue la Sia plus chaleureuse et joyeuse que j’étais il y a un peu plus d’une lune. Je me suis bien vite intégrée à la vie avec Ivan et Adam, ne me voyant bientôt plus rentrer et rester ainsi avec eux. Mes soucis se sont éloignés, les oubliant en profitant de ce moment de quiétude en leur présence. Mais tout a une fin.
« Lyle est passé aujourd’hui. »
Ivan s’adresse à moi tout en s’occupant d’inspecter son carnet de commande alors que je sors de la forge avec Adam. Il me regarde tout juste en coin alors que mon ami se fait discret derrière moi. Un soutien moral présent si j’en ressens le besoin. Je prends une grande inspiration alors que l’armurier se redresse et vient me faire face. Il dépose un objet dans mes mains.
« Il voulait te parler, mais il t’a vu travailler et il a eu l’air de changer d’avis. Il m’a dit de juste te donner ça. Et il est reparti. »
Je regarde l’objet, reconnaissant rapidement mon sceau de forgeronne que j’avais laissé volontairement chez Lyle. Je déglutis et serre la mâchoire. Le vieil homme pousse un nouveau soupire, ne sachant pas trop quoi dire ou faire avec cette situation.
« Sia, écoute, il serait peut-être temps de...
- Non.
- Mais si tu restes bornée comme ça, tu...
- Non Ivan. S’il voulait vraiment me parler, il serait venu le faire. S’il n’a pas pu me parler pour je ne sais quelle raison, alors qu’il aille se faire voir.
- Sia...
- Je vais me laver. »
Sans un mot de plus, je tourne les talons et me dirige vers la zone de repos. Je laisse les deux hommes en plan alors que j’avance d’une allure rageuse, chassant les larmes qui montent alors que mes doigts se pressent sur le tampon métallique au point de m’en faire mal.
Mon petit moment de bonheur vient de s’achever.
Le soir même
« Merci Emerald... Ça me fait réellement du bien d’avoir pu discuter avec toi...
- C’est normal ma petite Edelweiss. N’oublie pas, tu auras toujours une place dans mon manoir, je peux même te donner un double des clés ! »
Un petit rire s’échappe de mes lèvres alors que j’essuie une larme qui perle sur ma joue. J’approche un peu mon cristal de communication de mon visage alors que je me laisse tomber sur mon couchage.
« Je vais te laisser dormir. Il est déjà tard.
- Oui, tu as besoin de repos. Et n’oublie pas qu’avant d’être ton associé, je suis aussi ton ami.
- Je ne l’oublie pas, c’est promis. Bonne nuit Emerald.
- Bonne nuit Sia. »
Parler au noble m’a fait un bien fou. J’ai hésité à appeler plutôt ma sœur, mais j’avais besoin d’un avis plus mature que le sien. J’ai complètement vidé mon sac avec mon ami, lui racontant tout ce qui m’est arrivé dernièrement et que je n’avais pas eu le courage de raconter à qui que ce soit. Il a été une oreille très attentive et surtout il a pris le temps de me conseiller, de me faire réfléchir sur mes actions et mes choix. Selon lui, j’ai encore le temps de corriger mes erreurs, essayer de réparer ce qui semble impossible à réparer.
Je range mon cristal avant de récupérer mon dragon endormi. Ce dernier ronfle, bougeant à peine quand je le prends dans mes bras. Tenant ma lampe magique d’une main et vêtue uniquement de ma robe de chambre, je sors de ma chambre. Je rejoins rapidement l’entrée de celle d’Adam et frappe. Quand j’entends la voix de mon ami, je glisse la tête à l’intérieur en éteignant ma lampe pour ne pas l’éblouir avec la pénombre ambiante. Ce dernier ne parait pas encore dormir, certainement en train de lire ou étudier un projet qu’il a.
« Tu ne dors pas ?
- Toi non plus. »
Je souffle de manière amusée face à cette vérité. Je me permets d’entrer accompagnée de Pixie. Je referme derrière moi et viens ensuite m’asseoir sur son lit en déposant mon familier sur mes genoux, le grattouillant distraitement.
« J’ai besoin de te parler. »
L’armurier me regarde en face, m’invitant alors à exprimer ce qui me ronge. Je lui déballe tout, lui racontant la même histoire que celle que j’ai raconté à Emerald plus tôt. Je lui dis tout ce que j’ai gardé pour moi jusqu’à maintenant, exposant aussi mes erreurs et ce que je regrette dans mes actes. Il ne dit rien, ne m’interrompant pas une seule fois.
« Selon Emerald, je devrais aller le voir. Il pense qu’il a eu le courage de venir me chercher, mais que quelque chose l’a peut être découragé au dernier moment. Peut-être qu’il s’est rendu compte qu’il a fait des erreurs et a préféré me laisser ici au lieu de me récupérer.
- Et toi, tu veux faire quoi ? »
J’hésite un moment. Je ne sais pas trop. Je n’arrive pas à trouver la réponse à cette question. Je commence à sincèrement m’en vouloir, regretter certains de mes actes et j’ai envie de m’excuser. J’ai envie de le regarder en face et lui dire ce que je pense. Et dans le même temps, j’ai peur qu’il ne soit déjà trop tard.
« Je crois que j’ai besoin de lui parler... Mais je ne me sens pas d’y aller seule. Tu veux bien m’accompagner ? »
Mon ami semble légèrement surpris, mais il finit par accepter avec un sourire.
« On ira à notre prochain jour de congé si tu te sens. On l’a dans un peu moins d’une semaine.
- Et ça rassurait Ivan que pour une fois on essaye pas de travailler en plein jour de congé. »
Nous partons tous les deux d’un petit rire. Pixidis parait avoir entamé sa nuit, son sommeil étant particulièrement profond alors que l’on discute sans chercher à être discrets. Il y a un petit silence entre nous que je finis par briser.
« Dis Adam, tu veux bien me faire une faveur ? Je ne me sens pas d’être seule pour dormir ce soir... »
Bien que gêné par cette demande, mon ami accepte, sûrement à cause de mon air suppliant. Ce soir-là j’ai eu droit à une véritable nuit reposante, sans mauvais rêve et avec les présences rassurantes du blond et de mon familier. Les deux êtres qui m’ont permis d’aller mieux.
Quelques jours plus tard
Je marche d’un pas très déterminé, le bruit de mes pas crissant sur la neige alors qu’Adam peine à tenir le rythme en me suivant. Je ne me rappelle pas avoir déjà remonté ce chemin à une telle vitesse. Mon cœur bat la chamade alors que dans ma tête je refais tout le discours que je veux faire à Lyle. J’en ai longuement discuté avec mon ami et Emerald. Je me suis décidée : je vais m’excuser auprès de mon maître s’il souhaite encore de moi, lui raconter tout ce qui m’est arrivé et aussi lui avouer mes sentiments et lui expliquer pourquoi ses choix m’ont tant blessé. Il risque de ne pas avoir vraiment le temps d’en placer une pendant que je vais parler.
Quand le petit bâtiment de la forge pointe enfin sur le chemin, je me mets à presque courir alors que l’hybride m’appelle pour me dire de me calmer. Un large sourire éclaire mon visage alors que je me sens enfin prête de tout déballer. Je suis stressée, mais aussi incroyablement impatiente. Au fond de moi, j’ai juste envie de passer à autre chose.
Mon sourire s’évanouit cependant rapidement. Quelque chose ne va pas.
Je m’arrête net sur le chemin, laissant le blond me rattraper. Quand il est enfin à ma hauteur, il me demande ce qu’il m’arrive, me répétant qu’il est là si j’ai besoin.
« Adam. Quelque chose ne va pas. Tout est éteint. »
Pas une cheminée allumée. Ni celle de la maison, ni celle de la forge qui est un peu plus haut et que l’on aperçoit à peine. Mon cœur se resserre alors que je me dirige vers la petite habitation. Dès que j’arrive à la porte, j’essaye d’ouvrir, en vain. La porte est verrouillée. Un frisson me traverse, mon cœur s’affolant.
« Pixie. Envole-toi et regarde les alentours. Trouve Lyle. »
Alors qu'il sent mon inquiétude, le dragon ne proteste pas et s’exécute.
« Sia... Il est peut-être juste parti faire un tour... »
Je ne l’écoute pas et commence à faire le tour de la maison, regardant à travers les fenêtres. Rien ne bouge. Je sens mes mains trembler et j’utilise ma petite clé pour déverrouiller l’entrée de la maison, me rendant à l’intérieur. Tout est froid, comme si l’endroit n’a pas été chauffé depuis plusieurs jours. Je me rends directement en direction de la cuisine, la salle à manger, le salon de thé. Vide. Tout est vide. Sa chambre, la boutique, pas âme qui vive. Tout est rangé impeccablement, nettoyé de fond en comble et tout ce qui pourrait s’abimer est soigneusement à l’abri. Seule une lettre est posée sur la table de la salle à manger, visiblement pour moi.
Le sceau d'un forgeron est un symbole de son identité.
Ce sceau est le tien et celui d'une future très grande forgeronne.
En espérant un jour le voir à nouveau sur l'épée d'un aventurier.
Une boule se crée dans mon ventre et ma gorge alors que je sens l'inquiétude me gagner. Je commence à savoir ce qu'il se passe, mais préfère me leurrer. Le garde-manger a été grandement vidé, ne restant que des choses pouvant se conserver longtemps. Je repère aussi l’absence de plusieurs affaires personnelles de mon maître. Je sens l’inquiétude s’emparer de moi de plus en plus fort.
« Sia ! »
Je n’écoute pas l’hybride, sortant de la maison pour m’élancer en direction de la forge. Je suis presque à bout de souffle quand j’atteins le petit bâtiment. Ce dernier est aussi verrouillé et j’ai un mal fou à l’ouvrir tant mes mains tremblent. Lorsque enfin j’arrive à l’intérieur, tout est aussi froid et propre que la maison. Tout a été nettoyé de fond en comble et le fourneau semble éteint depuis plusieurs jours, complètement froid et vidé de ses cendres. Je sens les larmes monter, réalisant ce qui arrive. Je ne veux pas me l’avouer, pas encore. J’ai encore de l’espoir.
Il me reste un endroit à vérifier. Je quitte la forge et rejoins rapidement les bois. Je cours à travers les arbres, les laissant me fouetter le visage alors que je me remémore vaguement le chemin jusqu’au petit sanctuaire de mon maître. Quand enfin je reconnais le chemin, je m’élance jusqu’à la petite clairière. Pendant un instant, je revois ce souvenir du rouquin assis devant cette pierre noire, la beauté de la vue. Cette image est remplacée par celle bien plus terne de ce qui présente devant moi. La neige est immaculée, recouvrant l’endroit et même la noirceur du minéral.
Je ne sais trop ce qui s’est passé ensuite. Je n’ai ressenti qu’un grand vide et j’ai oublié comment, mais je suis revenue au niveau de la forge où Adam m’attendait. Pixidis est aussi là, tous deux visiblement inquiets.
*Lyle pas là.*
Les paroles du reptile finissent de confirmer ce que je craignais. Je me laisse alors tomber à genoux dans la neige, comme si d’un coup tout s’effondrait autour de moi. Adam se précipite sur moi, m’implorant de dire quelque chose alors que les larmes commencent à rouler silencieusement sur ma joue. Je pleure, mais pas un sanglot ne s’échappe de mes lèvres. Quand enfin je réagis, je tourne un regard vide vers mon ami alors que ma voix se brise.
« Il est parti... »
Plusieurs heures plus tard
Il m’a fallu un moment pour me calmer. Adam n’a pas réussi à me consoler, je n’ai fait que pleurer jusqu’à m’endormir. Il s’est occupé de m’installer dans mon ancienne chambre et me préparer un petit repas chaud pour quand je me réveille. Lorsque j’émerge, la nuit est déjà tombée. J’ai le visage rougi d’avoir tant pleuré et ressens cet incroyable vide qui me laisse sans émotion.
Je mange le repas préparé par mon ami sans aucun appétit et l’écoute à peine pendant qu’il me parle. Je ne réagis presque pas. Dès que j’ai fini mon assiette, je le laisse s’occuper de tout alors que dans mon esprit, je réfléchis à ce que je vais devenir désormais.
« Adam. Ne me laisse pas ce soir...
- Je suis là Sia... »
Alors que je pensais avoir fait sortir toutes les larmes présentes dans mon corps, je pleure à nouveau. Nous nous installons sommairement dans ma chambre et mon petit lit et dormons comme nous pouvons. La nuit est rythmée par mes pleurs et mes siestes quand je n’arrive plus à avoir l’énergie de pleurer.
Au petit matin
Quand je me réveille à nouveau, Adam est endormi contre moi et le jour perce à travers la petite fenêtre de ma chambre. Je me contorsionne pour arriver à me relever sans le réveiller. Mes pas me mènent en direction de la chambre de mon maître, rejoignant son lit où je perçois encore vaguement son odeur. Je m’installe sur le grand lit qui nous avait accueilli une fois et imagine la présence du rouquin dans ces lieux.
Je reste ainsi un moment, le regard dans le vide sans faire un seul bruit. C’est Pixidis qui me trouve plusieurs heures plus tard, rapidement suivi du blond qui me force à me relever et rejoindre ma chambre. Il fait son possible pour m’arracher des réactions et s’occuper du cadavre que je suis.
« Vidons ma chambre. »
Ma voix est faible et enrouée, ayant du mal de parler après avoir tant pleuré. Adam me fait alors répéter mes mots.
« Vidons ma chambre. Et refermons tout comme on l’a trouvé. Je vais m’installer avec toi jusqu’à trouver un nouveau chez moi. »
Mon regard est perdu dans le vide, mon ami venant se placer devant moi pour me forcer à la regarder.
« Tu es sûre ? »
Je hoche lentement de la tête. Je récupère mon sac sans fond, l’ouvrant en grand et me dirigeant vers mon armoire que je vide. Je récupère tous mes vêtements restants, les enfouissant dans le sac sans même trier. Je récupère tout ce qui m’appartient et tout est vidé. Mon armoire, mon bureau, mes étagères, le coffre au bout de mon lit et même mon lit. Tout ce qui a fait que ce que ma chambre a été un jour la mienne est retiré. Elle redevient le lieu vide et impersonnel dans lequel j’ai débarqué à mon arrivée ici.
Quand nous avons fini de vider les lieux, c’est déjà la fin de matinée. J’ai un dernier regard pour ma petite chambre, le salon de thé, la cuisine, la salle à manger et même la chambre de mon maître où j’ai tant de souvenirs. Je vérifie la boutique et le petit atelier avant de quitter la maison. Je la verrouille à nouveau, allant ensuite cacher la clé là où il m’avait montré la cachette un jour. Je retourne ensuite vérifier que la forge est bien verrouillée et descends pour rejoindre le chemin où m’attendant Adam et Pixidis.
Avant de partir, je me tourne une dernière fois vers ce lieu qui m’a accueilli pendant plusieurs lunes. Moi qui suis arrivée en fin de saison douce l’année dernière, j’ai vécu de nombreuses choses ici. J’ai évolué et même connu mon premier amour. Je viens aussi d’y vivre ma première peine de cœur et l’impression d’être réellement abandonnée.
« Allons y, Sia... »
Mon ami me tire par la main, me forçant à prendre la route alors que je n’arrive pas à quitter l’endroit du regard et sans réussir à m’enlever les divers souvenirs que j’ai en parcourant ce chemin.
Quelques heures plus tard
Adam s’est occupé de tout raconter à Ivan à notre retour. Il m’a installé dans ma chambre et j’ai dormi une partie de la journée. Je n’ai plus la force de pleurer et je cherche tous les moyens pour m’oublier. Je n’ai même pas pris la peine de vider mon sac sans fond. Je suis restée complètement inerte, somnolant quand je ne fixe pas juste le plafond.
Lorsque je bouge enfin, le jour commence à diminuer. Je rejoins l’armurerie et trouve Ivan et Adam ensemble. Je perçois l’inquiétude des deux hommes, mais aucun des deux n’ose me demander comment je vais.
« Adam, tu veux bien garder Pixie pour moi ? J’ai besoin de sortir. Ne m’attendez pas ce soir, je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer. »
Je vois bien que mon ami a envie de me retenir, mais je l’en dissuade avec un regard noir. La seule chose qui me fait hésiter sur le pas de la porte, c’est un message télépathique de mon familier qui m’exprime sa détresse face à ma situation.
*Ça va aller Pixie. Reste avec Adam. Je reviens.*
Je lui mens autant que je me mens à moi-même. En cet instant, je ne pense pas rentrer. Mes pas me dirigent vers la guilde qui attaque sa dernière heure d’ouverture avant la fin de journée. Dès que j’arrive sur place, j’inspecte les demandes, mon regard se portant sur les plus dangereuses. J’évalue celles que l’on peut accepter de me donner si je suis seule, mais qui pourraient aussi me mettre dans une situation pour voir à quel point je peux tromper la mort.
Si t’es là espèce de parasite, t’as qu’à m’empêcher de faire ce que je vais faire.
Une pensée pour l’être qui est venu hanter mes nuits pour tout simplement disparaitre. Aucune réponse. Mon choix se porte alors sur une chasse au minotaure. Quand je m’apprête à arracher le papier, une autre main s’en empare. Alors qu’une colère s’empare de moi, une voix familière vient me taquiner.
Sileas.
Ce jour-là, sans le vouloir, le borgne m’a empêché de faire un acte peut être impardonnable. Pixidis ne m’aurait pas pardonné, ni Adam, ni Ivan, ni Emerald, ni Kim, ni Rid, ni Sio, ni mon père, ni ma mère. Ce soir-là, j’ai préféré boire jusqu’à l’oubli et m’endormir dans les bras de l’aventurier plutôt qu’aller me jeter dans la gueule d’un monstre. Ce soir-là, je me suis endormie en sachant que mon premier amour n’aurait plus d’avenir. Ce soir-là, ma dernière pensée a été :
Maintenant, je suis seule.